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26 avril 2024

Sarkozy-Kadhafi : comment l’ONG Sherpa a accès au dossier sans en avoir le droit


Sarkozy-Kadhafi : comment l’ONG Sherpa a accès au dossier sans en avoir le droit

Depuis plus d’un an, l’ONG Sherpa a libre accès au dossier sur le prétendu financement libyen de Nicolas Sarkozy sans avoir le droit. Que cela cache-t‑il?

Le président-fondateur de l'ONG Sherpa, l'avocat William Bourdon, reconnaît un "défaut d'actualisation" vis‑à-vis des juges.
Le président-fondateur de l’ONG Sherpa, l’avocat William Bourdon, reconnaît un « défaut d’actualisation » vis‑à-vis des juges. (Sipa)

Lanceur d’alerte ou passager clandestin? Depuis six ans, l’association Sherpa est partie civile dans l’enquête sur le prétendu financement libyen de Nicolas Sarkozy, au nom de la « défense des populations victimes de crimes économiques ». À ce titre, son président-fondateur, l’avocat William Bourdon, dispose d’un accès permanent et intégral au dossier de l’affaire. Il est informé des actes de la procédure, prévenu des recherches des juges et de la ­police, autorisé à consulter les pièces (interrogatoires, documents, rapports, correspondances, etc.) et, sur simple demande, à en obtenir des copies. Problème : depuis plus d’un an et demi, il n’en a plus le droit.

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Créée en 2001, Sherpa est l’une de ces ONG – comme Transparency International ou Anticor – qui se donnent pour objet de participer à la lutte contre la corruption en dénonçant des faits ou des personnes à la justice ou en intervenant dans des affaires en cours. Depuis un décret de 2014, la condition est d’obtenir un agrément officiel du ministère de la Justice, qui doit être renouvelé tous les trois ans.

Les services de Nicole Belloubet n’ont pas renouvelé son agrément

En février 2015, Christiane ­Taubira, garde des Sceaux de François Hollande, avait signé elle-même l’arrêté relatif à Sherpa. À cette date, l’association s’était déjà constituée partie civile dans le dossier libyen. Mais trois ans plus tard, en février 2018, les services de ­Nicole Belloubet n’ont pas renouvelé l’accord. Curieusement, ni William Bourdon ni l’avocate de Sherpa, Marie Dosé, n’ont averti les juges d’instruction. Ils ont donc continué, en toute irrégularité, à accéder au dossier de l’enquête.

Les conditions de l’intervention de Sherpa dans le dossier libyen avaient déjà de quoi faire tiquer. Juriste engagé et militant des droits de l’homme, Bourdon a défendu l’un des fils de Kadhafi et l’ancien chef des services secrets libyens, ainsi que l’ex-femme de l’intermédiaire Ziad Takieddine, pivot de l’accusation contre Sarkozy dans cette affaire. Il appartenait aussi à l’équipe de campagne de François Hollande en 2012, quand l’affaire a été lancée – par un article de  Mediapart, dont Bourdon est membre du comité de soutien. L’addition de ces engagements pouvait susciter le doute quant à ses motivations. En 2013, le juge Serge Tournaire, alors chargé de l’enquête libyenne, l’a pourtant admis comme partie civile en deux jours, sur un simple courrier.

William Bourdon relativise son implication dans le dossier

Questionné samedi par le JDD, Me Bourdon a assuré que l’intervention de Sherpa dans cette affaire était due à son « caractère symbolique, compte tenu de la mise en cause de très hautes personnalités ». Il a toutefois tenu à relativiser son implication : « Nous n’avons pas été proactifs. Et à titre personnel, je me désintéresse de cette procédure depuis plus de deux ans, j’ai d’autres chats à fouetter. »

Fin 2017 pourtant, le rapport d’activité annuel de Sherpa revendiquait le suivi de la procédure et révélait le niveau d’information de ses représentants : « La procédure, était-il écrit, devrait être marquée début 2018 par des mises en examen, notamment celle de Nicolas Sarkozy. » C’est bien ce qui s’est produit : l’ancien chef de l’État a été mis en examen en mars 2018. Entre-temps, l’ONG de Me Bourdon n’était plus agréée mais la justice n’en a pas été avisée.

Nous n’avons pas besoin de cet agrément

« Nous n’avons pas besoin de cet agrément, expliquait samedi l’avocat. La jurisprudence nous autorise à agir dans les affaires de flux financiers illicites dès lors que nos statuts le prévoient. » En réalité, le décret de 2014 a justement été pris pour encadrer l’intervention de ce type d’organisations. Du reste, Sherpa a lancé en mars 2019 un appel ­public – relayé par Mediapart – dans ­lequel ses dirigeants s’alarmaient en ces termes : « Sans cet agrément, Sherpa pourrait ne plus se constituer partie civile en matière de corruption, ce qui est pourtant le cœur de son action. »

L’un des principaux donateurs de Sherpa poursuivi pour des délits financiers

Pourquoi le ministère de la ­Justice a-t‑il refusé de renouveler le précieux sésame? « Une histoire compliquée, je ne veux pas entrer dans les détails », élude Me ­Bourdon. C’est pourtant simple : l’un des principaux donateurs de Sherpa, dirigeant d’une fondation africaine, est lui-même poursuivi pour des délits financiers.

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« Nous retrouverons bientôt notre agrément », assure néanmoins l’avocat, confessant au moins un « défaut d’actualisation » vis‑à-vis des juges puisqu’il est encore mentionné dans tous les actes de l’affaire libyenne comme partie civile avec le titre de président, bien qu’il ait cessé de l’être en 2017. Son avocate s’est régulièrement tenue informée du cours des investigations. Le 6 août dernier, elle réclamait par écrit au juge Tournaire des rapports d’expertise au nom de « Sherpa, partie civile dans l’affaire » – qualité qu’elle n’avait pourtant plus.

Une requête de Thierry Herzog pour écarter Sherpa du dossier

« Il est anormal que l’association n’ait pas informé les magistrats, et il est surprenant que les juges ne l’aient pas vérifié », confiait en fin de semaine une source judiciaire. L’an dernier, la Cour de cassation avait déjà déjugé Tournaire en ­déclarant irrecevable la constitution de partie civile d’une autre ONG, Anticor, dans un autre dossier visant Sarkozy, l’affaire Bygmalion.

Mercredi, l’avocat de l’ancien président, Thierry Herzog, a écrit à la juge Aude Buresi (qui a pris le relais de Tournaire) pour exiger que Sherpa et ses représentants soient écartés du dossier. La cour d’appel doit examiner le 17 octobre sa requête déposée au nom de Sarkozy pour faire annuler l’ensemble de la procédure ; Sherpa a reçu une convocation à l’audience.

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