Amérique Latine : misère des laissés pour compte
6 mars 2021
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Par Gérard Bad
« Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée. » Victor Hugo
“Pour des millions de gens ordinaires, il est de plus en plus difficile de vivre mieux grâce au travail.» Guy Ryder, Directeur général de l’OIT
La pandémie a en définitive révélé ce qui était encore sous-jacent dans de nombreux pays de ce monde. Il s’ agit de l’ expansion des surnuméraires, cette population dont le capital n’ a plus besoin et qui est contrainte de crever sur place, d’immigrer ou de se battre sur place.
L’OIT elle même est obligée de constater cette poussée des surnuméraires:
« En outre, le rapport Emploi et questions sociales dans le monde – Tendances 2020 montre que le nombre de chômeurs devrait augmenter d’environ 2,5 millions en 2020. Le chômage mondial est resté relativement stable au cours des neuf dernières années, mais le ralentissement de la croissance économique signifie qu’à mesure que la main-d’œuvre augmente à l’échelle mondiale, les emplois créés ne sont pas suffisamment nombreux pour absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail. »
Nous voyons très bien que ce qui se profil à l’horizon, ce n’ est pas la « relance verte » ni le « New deal numérique » mais bien la relance de la lutte de masse, telle qu’elle se déroule depuis quelques années et où le prolétariat bien que présent n’ arrive pas à s’affirmer en tant que classe révolutionnaire. Actuellement nous entendons souvent le mot « liberté » mais de quelle liberté s’agit-il ? et liberté pour qui ? Ce mot d’ ordre aujourd’hui manque de contenu et concerne essentiellement le confinement. Nous devons au final le considérer comme un éveil à double tranchant car venant de couches sociales s’ éveillant à la lutte, mais qui pourraient très bien se chercher un sauveur suprême.
Les mesures mondiales contre la pandémie ont déclenché ce besoin de respirer d’une grande majorité de citoyens, c’ est à dire d’individus isolés dans leur bulle, arborant chacun sa revendication ou sa haine des États et des flics. Ceci concerne principalement le monde occidental qui prend conscience qu’il ne dirige déjà plus le monde et que la division internationale du travail en pays riches et pays pauvres sur laquelle ont joué « les non alignés » et les « tiers-mondistes » est en passe de s’ effondrer, comme s’est effondré le pan-arabisme laïc du proche et moyen orient.
Ne sachant plus quoi faire, sauf de faire marcher « la planche à billet », le capitalisme essaye depuis 2008, de gérer tant bien que mal une situation de plus en plus chaotique et ce n’ est pas le repli sur l’ État national et le protectionnisme qui va arranger, même provisoirement la situation ( voir le Brexit). Les initiatives pour des relocalisations de l’emploi sont de la poudre aux yeux car pour concurrencer la main d’œuvre à bas prix, il faut des machines capables de remplacer cette main d’œuvre. Cette main d’œuvre est trop abondante dans le monde et la marchandise force de travail est toujours très concurrentielle surtout dans la production manufacturière (textile, appareils ménager…),comme le relève l’ OIT.
«Pour des millions de gens ordinaires, il est de plus en plus difficile de vivre mieux grâce au travail», a déclaré le Directeur général de l’OIT, Guy Ryder. «La persistance et l’ampleur de l’exclusion et des inégalités professionnelles les empêchent de trouver un emploi décent et d’accéder à un avenir meilleur. C’est un constat extrêmement préoccupant qui a des répercussions lourdes et inquiétantes sur la cohésion sociale.»
En effet, fin 2019 nous avons assisté à la frayeur que le réveil populaire de cinq pays d’Amérique latine a engendré. Ce n’ est certes pas la première ni la dernière fois que des révoltes éclatent en Amérique latine ( se souvenir de « ique se vayan todos »il faut qu’ils s’en aille tout de suite) de la crise Argentine de 2001.
Mais de nouveau plusieurs pays (1) de la zone sud américaine reprennent le chemin de la lutte des manifestations plus ou moins violentes vont s’ étendre au Chili, en Équateur, au Pérou, en Argentine, en Colombie , en Bolivie, au Guatemala au Venezuela…
Sont dans le viseur des manifestants , la pauvreté et la corruption, mais aussi les parlements et depuis la pandémie l’insécurité sanitaire.
Depuis plus de cinq ans, 17 millions de latino-américains sont montés sur le podium des personnes vivant dans l’ extrême pauvreté (2). En réalité cela équivaut à 63 millions d’ individus touchés. Quant aux salariés 42% (chiffre officiel) gagnent moins que le salaire minimum, les retraités touchent des pensions ridicules, surtout les femmes. Tout est devenu sensible en Amérique Latine et la moindre bavure policière déclenche des émeutes, une règle de solidarité non écrite au niveau planétaire.
Ces manifestations se produisent dans un contexte plus général d’essor de mouvement d’ampleur à l’échelle internationale depuis la fin de l’année 2018.Tous ces mouvements éclatent sur des revendications existentielles (la famine, la hausse du prix du ticket de métro au Chili, le prix de l’essence en France ou en Équateur…), pour se muter au cours des actions à des revendications touchant les pouvoirs en place.
La contestation féministe au Mexique de septembre 2020 sera suivi de manifestations en Équateur (en réaction à des mesures d’austérité), en Bolivie (à la suite de la réélection contestée d’Evo Morales), au Honduras (contre les liens entre le narcotrafic et le gouvernement) en Argentine (contre la politique économique et sociale du gouvernement) au Venezuela ( la population affamée victime de l’ embargo des États-Unis).
Le jour d’après = inflation, famine, émeutes, dictature Au Chili l’ombre de la dictature refait surface.
Depuis la mi octobre 2019, le Chili se trouve ébranlé dans ses fondements. Le régime politique et économique néolibéral hérité de la dictature de Pinochet et des Chicago Boys est de nouveau en crise globale. Le gouvernement du président Sebastián Piñera comme ses prédécesseurs n’ a pas fait autre chose que de répliquer par la force aux manifestations. Le bilan répressif de l’ après 18 octobre est lourd, on compte environ 30 morts, plus de 25 000 arrestations et détention provisoire et 3649 blessés selon l’Institut national des droits humains (INDH) ce même organisme affirme avoir recensé 405 blessures oculaires (33 éborgnements), 842 cas de violences en détention, 191 cas de violences sexuelles et 45 de tortures.
Comme c’est souvent le cas les grands mouvements spontanés prennent naissance sur des questions existentielles. Au Chili ce fut l’ augmentation du prix du métro et les actions de fraudes par les lycéens qui aura engendré un soulèvement massif de la population. C ‘est quand il fut décidé de mettre en action la « loi de sécurité intérieure de l’ État » un mauvais souvenir de la dictature, que le mouvement va s’étendre en périphérie, suivi de la mise en place de piquets de grèves et d’ affrontements avec la police . La réponse de Piñera ne s’est pas fait attendre il décrète « l’Etat d’urgence constitutionnel » contre le soulèvement dit le « santiagazo ».
Il aura fallu que la rue se déchaîne (bus incendiés,pillages de grandes surfaces, attaque des postes de police, incendie des bâtiments publics et que Piñera déclare « nous sommes en guerre » pour que la classe ouvrière entre en action aux côtés de la jeunesse. Le blocage des secteurs stratégiques va faire plier le pouvoir . En effet 90% des ports sont bloqués, les mineurs d’ Escondida qui avaient en 2017 fait 44 jours de gréve se sont de nouveau mis en grève menaçant de paralyser la plus grande mine de cuivre du monde. Pour qu’enfin le pouvoir recul et abandonne l’ augmentation des transports publics et autres.
https://www.youtube.com/watch?
https://information.tv5monde.
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En Colombie
le 9 septembre 2020 de violentes émeutes ont éclaté contre l’ assassina par la police d’un avocat de 46 ans comme l’indique ce communiqué:
« De violentes émeutes ont éclaté mercredi à Bogotá et dans d’autres régions de Colombie, après la mort d’un homme qui avait reçu des décharges électriques répétées administrées par des policiers qui l’immobilisaient au sol. La scène de l’arrestation, diffusée sur les réseaux sociaux et dans laquelle l’homme au sol et des témoins supplient les policiers d’arrêter d’administrer les décharges, a choqué le pays. »
Ce type de violence en Colombie n’ est pas une exception mais plutôt la règle depuis les années quatre-vingt, ce n’ est pas moins de 25 000 à 30 000 morts par an, faisant de la Colombie un des pays les plus dangereux au monde. Entre 1985 et 1996, le nombre d’assassinats était de 250 000 à comparer avec la décennie précédente 85 000 morts. Ce pays est en définitive en permanence au bord de la guerre civile, comme durant les années 1947-1943. L’assassinat par la police de l’ avocat s’inscrit malheureusement dans dans ce cadre. Javier Ordoñez est décédé à la suite de longues décharges de pistolets électriques. Cette description de violences policières dites « bavures » n’est que la gestion répressive d’ une insécurité sociale permanente.
Comme elle se manifeste aussi aux États-Unis par l’ assassinat de George Floyd, et quelque temps après de Keith Scott , De l’éborgnage de gilets jaunes en France, du nord au sud le citoyen est victime de l’égalité de répression et de la fraternité des corps d’ états, police justice ; quant à la liberté c’est celle qui «interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts» Anatole France (sic). N’oublions jamais que c’ est au nom de la liberté du travail que les forces de l’ordre du monde entier délogent régulièrement les grévistes.
Fin septembre 2020 révolte étudiante à Bogota
Des jeunes et plus particulièrement les étudiants de cinq établissements d’enseignement supérieur de Bogotá, sont descendus dans la rue pour dénoncer des cas présumés de corruption dans le système administratif de ces écoles et rappeler, par la même occasion, au conservateur Ivan Duque qu’il n’investit pas dans l’éducation comme il l’avait pourtant promis. Pour rappel, après les manifestations de novembre 2018, les étudiants ont reçu une promesse de budget, qui n’ est finalement pas allouer et exigent les 4,5 milliards de dollars promis. D’ abord pacifistes, les manifestations vont vite se terminer par des affrontements violents. Le bilan matériel de ces manifestions est de 300 bus vandalisés, par des « gens en capuche » inconnus des associations étudiantes.
En Équateur
En octobre 2019, les parlements deviennent la cible des manifestants où plusieurs manifestants ont envahi le Parlement contraignant le gouvernement à se réfugier dans la capitale économique du pays Guayaquil tout en imposant l’ État d’urgence pendant 60 jours.
Ce sont les mesures d’ austérité (3) que le FMI exigeait, et que Moreno à peine au pouvoir a voulu appliquer qui ont déclenché la réplique populaire. Pendant plus de 10 jours l’État sera confronté à des barrages routiers et d’imposantes manifestations avec des affrontements contre la police et l’armée dans les rues à Quito.
La hausse du prix de l’ essence +123% , va mettre le feu aux poudres, comme ce fut le cas pour les gilets jaunes en France. Tout le secteur des transports fut paralysé par la grève, bloquant le pays, des manifestations plus ou moins violentes finiront par déclencher l’ État d’urgence. Selon les autorités, le bilan était d’un mort, 73 blessés et 477 arrestations tandis que 19 des 24 provinces équatoriennes étaient encore bloquées.
Le mouvement indien allait prendre le relais des mobilisations en occupant trois installations pétrolières en Amazonie. L’organisation indigène a aussi appelé ses troupes à marcher sur Quito pour se joindre à la grande manifestation et à la grève générale convoquée par la plupart des syndicats. Le président de la Conaie, Jaime Vargas,4 a ainsi décrété «une mobilisation nationale indéfinie». Des milliers d’Indiens sont arrivés dans la capitale pendant que l’armée faisait évacuer le palais présidentiel de Carondelet.
Le 12 octobre 2019 a été le point culminant du soulèvement à Quito, où la population de la capitale est descendue en masse dans les rues, ce n’est pas un hasard si c’est ce jour-là qu’a eu lieu la répression la plus importante, avec des armes à feu et des snipers.
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De : les 7 du quebec <donotreply@wordpress.com>
Date: ven. 5 mars 2021 à 06:45
Subject: [Nouvel article] Amérique Latine: misère des laissés pour compte et luttes spontanées (1ère partie)
To: <grianala@gmail.com>