Par Jean Geronimo

 

Il y a 35 ans, la catastrophe de Tchernobyl a marqué l’histoire en révélant au monde les dangers de l’atome et l’incapacité du régime soviétique, lâché par l’Occident, à y faire face. Elle a aussi marqué à jamais notre inconscient-collectif sur la peur du nucléaire, terrible menace pesant sur le destin de l’humanité – comme une malédiction. Retour sur le passé.

26 avril 1986, 1 h 24 : l’explosion du réacteur n°4

Le quatrième réacteur de la centrale ukrainienne de Tchernobyl – dite « centrale Lénine » – explose accidentellement lors de la réalisation d’un essai technique, à 1h24 du matin. Une série de maladresses incroyables des responsables de la centrale provoque une explosion.  L’explosion libère dans l’air un nuage de produits radioactifs – césium 137 – qui, progressivement, va se déplacer et contaminer une partie des espaces soviétique et européen. L’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) tente de cacher puis de minimiser l’accident, avant de révéler au monde sa gravité, le 4 mai 1986.

Dans la mesure où il s’agit d’un dossier politiquement sensible, on peut comprendre que les autorités soviétiques ont réagis très tardivement. Elles ont évacué des centaines de milliers de personnes après l’accident : 250 000 personnes sont évacuées des territoires des républiques soviétiques touchées, c’est-à-dire l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie. Les moyens technologiques mis en œuvre semblent alors dérisoires face à l’ampleur humaine de la catastrophe. Les sols sont contaminés sur 155 000 kilomètres carrés. Cette contamination sera très longue à disparaitre.

Une vaste zone de 30 kms autour de la centrale – zone la plus contaminée – y a été laissée en friche, à l’abandon : c’est la zone d’exclusion, interdite d’accès. Peu à peu, la nature y a repris le dessus : la forêt s’est étendue, de nouvelles formes de vie végétale et animale se sont développées, en s’adaptant aux conditions particulières d’un environnement radioactif. C’est cette zone qui sera, bien plus tard et à deux reprises – aux printemps 2015 et 2020 –, menacée par un vaste incendie. Et ce sont ces incendies qui vont réactiver la radioactivité et, ainsi, réveiller le vieux fantôme de Tchernobyl.

De 1986 à 1991 : le sacrifice des « liquidateurs »

A la suite de la catastrophe nucléaire de 1986, entre 600 000 et un million de « liquidateurs » (premiers intervenants civils et militaires) sont mobilisés pour éteindre l’incendie, puis décontaminer et consolider le site en l’enfermant dans un sarcophage en béton. De nombreux déchets radioactifs sont simplement enfouis dans le sol et recouverts de terre, de gravats et de ciment. Un énorme sarcophage a été construit au-dessus du réacteur accidenté en 1986 . Le problème de l’hyper-radioactivité de la région n’était donc pas réglé mais simplement endormi et reporté sur les générations futures. Cependant, le sarcophage de Tchernobyl menaçait de s’effondrer et depuis le 29 novembre 2016, un immense dôme – haut de 108 mètres et large de 162 mètres – le recouvre. L’arche doit sécuriser le site pour un siècle – mais, après ? Une véritable bombe nucléaire à retardement.

En 1986, les « liquidateurs » ont travaillé sans réelle protection et ont été envoyés par le pouvoir soviétique à une mort certaine. Toutefois, bien que conscients du danger, certains étaient volontaires et ont agi pour sauver les populations locales. Par ailleurs, d’autres ont même agi pour des valeurs plus politiques et se sont consciemment sacrifié au nom de l’idéologie communiste, qui était l’idéologie officielle de l’URSS. Une sorte de sacrifice suprême.

Selon le physicien biélorusse, Gueorgui Lepnine, qui a travaillé sur le réacteur numéro 4, le nombre de « liquidateurs » décédés atteindrait aujourd’hui 100.000 personnes. Selon les sources, ce nombre varie entre 60 000 et 100 000 décès. Ce chiffre a été peu diffusé et révélé très tard, on comprend pourquoi …

Le silence des autorités : au nom de l’idéologie et du pouvoir

Ancrée dans le marxisme-léninisme, l’idéologie communiste était l’idéologie fondatrice du régime soviétique. Les dirigeants soviétiques justifiaient leur pouvoir par la supériorité supposée de leur système par rapport à l’adversaire capitaliste – c’était la « Guerre froide ». Pour préserver la légitimité de leur pouvoir, les dirigeants devaient donc à tout prix filtrer et manipuler les informations pour montrer un fonctionnement idéal de leur société. En d’autres termes, la désinformation visait à assurer la reproduction du système de pouvoir contrôlé par la vieille Nomenklatura – bureaucratie – soviétique et qui, en quelque sorte, a détourné l’idéologie à son seul profit. Pour rappel, la Nomenklatura était l’élite dirigeante en URSS.

Dans cette optique, toute information montrant la faiblesse du système soviétique devait être écartée – on parlait de « secret d’Etat ». La terrible catastrophe humaine et technologique de Tchernobyl, en dévoilant les défaillances de l’industrie nucléaire soviétique, faisait partie de ce type d’information sensible. Dans ce domaine précis, elle montrait en effet l’infériorité de la société – donc du régime – soviétique et, par ricochet, la faillite de l’idéologie communiste et l’incompétence de ses dirigeants. Une réelle menace pesait alors sur la légitimité du régime. Cela explique le long silence des autorités soviétiques et leur réaction tardive, voire maladroite. L’accident est officiellement dévoilé au peuple soviétique, le 4 mai 1986.

Le 14 mai 1986, le discours du secrétaire général du PCUS (Parti communiste de l’Union soviétique), Mikhaïl Gorbatchev, marque la fin de l’inquiétant silence des autorités. Devant son pays, Gorbatchev reconnait alors pour la première fois qu’en explosant, le réacteur 4 avait relâché des « substances dangereuses » dans le ciel de l’Ukraine, de la Biélorussie, de la Russie et, même, dans une grande partie de l’hémisphère Nord – le continent européen. Il profite alors de l’occasion pour dénoncer les dérives bureaucratiques et totalitaires du système et souligne l’urgence d’une réforme radicale, appelée « Perestroïka » (Restructuration). Sans doute, en s’inscrivant dans l’érosion de l’idéologie officielle et de la légitimité du pouvoir, le drame de Tchernobyl a accéléré les réformes et précipité la fin de l’Union soviétique. C’est mon hypothèse centrale.

Décembre 2000 : l’arrêt définitif des réacteurs nucléaires

Le 15 décembre 2000, le dernier réacteur nucléaire qui fonctionnait encore après la catastrophe de 1986 – le réacteur n°3 – est arrêté. Il sanctionne l’arrêt complet de tous les réacteurs de la centrale de Tchernobyl et la fermeture définitive du complexe nucléaire, 14 ans après l’accident meurtrier. Un constat choquant est l’attentisme des puissances occidentales – pour raisons politiques –, dont l’aide technologique aurait pourtant été précieuse. Par la stratégie du containment, l’objectif américain était d’isoler et affaiblir la puissance communiste, quel qu’en soit le prix : il était hors de question d’aider « l’ennemi historique». Le bien-être de l’humanité a été sacrifié sur l’autel idéologique de l’anti-communisme. A ce jour, le mur de la Guerre froide n’est pas encore tombé dans toutes les têtes. Comprenne, qui pourra…

Le bilan de la catastrophe est toujours en débat. Mais, on peut estimer que le nombre total de morts – directs et indirects – est proche de 100 000. L’accident a été classé au niveau 7 sur l’échelle internationale des événements nucléaires (INES) qui en compte 7, soit le niveau maximum. Tchernobyl est donc classé comme « accident majeur » selon cette échelle. Aujourd’hui, dans un rayon de 10 kilomètres autour de la centrale, le niveau de radiation atteint toujours un chiffre de 10 à 35 fois supérieur à la norme.

Une bonne partie de l’Europe a été atteinte : selon certaines estimations considérées comme fiables, jusqu’aux trois-quarts de l’Europe auraient été contaminés.

Radioactivité : une menace, réactivée par l’incendie de 2020

Début avril 2020, des incendies ont ravagé la région de Tchernobyl, en progressant sur la zone d’exclusion autour de la centrale accidentée. En raison de l’ampleur des incendies détruisant des forêts entières, il y a eu une retombée des cendres – de bois – radioactives sur le sol. Ces cendres ont provoqué une hausse sensible de la radioactivité dans la région. Le feu s’est approché jusqu’à 1,5 km de l’arche recouvrant le réacteur 4 ayant explosé lors de l’accident du 26 avril 1986.

Les masses d’air contaminées se sont diffusées dans l’atmosphère et, poussées par le vent, les particules radioactives se sont à nouveau déplacer vers l’ex-URSS et, à un degré moindre, vers l’Europe. Officiellement, cette contamination par l’air ne présente pas une réelle menace pour les populations. Officieusement, au regard des déclarations contradictoires et des expériences passées, il y a un gros doute… Au regard des informations dont je dispose, je suis personnellement très sceptique.

Grenoble, le 29 avril 2021

Jean Geronimo

Docteur en sciences économiques

Spécialiste de l’URSS et des questions russes

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