Par Denis Sieffert (revue de presse : Politis – 12/5/21)*
La cause des affrontements de ces derniers jours tient en un mot bien connu, toujours le même : colonisation. Ou si l’on veut être plus précis : judéïsation et même purification ethnique. Car c’est de cela qu’il s’agit à Jérusalem-Est.
Un peu partout on semble s’en étonner. Le conflit israélo-palestinien n’était donc pas réglé ! Depuis une semaine, les images d’affrontements sur l’esplanade des Mosquées ont de nouveau envahi nos écrans, comme les bombes israéliennes sur Gaza en réponse aux roquettes du Hamas. Le feu, en réalité, n’avait jamais cessé de couver sous la braise. Mais il n’y a pas si longtemps, Benyamin Netanyahou pouvait tenir ses conférences de presse sans dire un mot du conflit. Goguenard, il cédait ensuite la parole aux journalistes : « Et maintenant, vous pouvez me poser vos questions sur le conflit israélo-palestinien. » Fanfaronnade d’un homme qui était sûr d’avoir enterré cette affaire de sang et de larmes vieille de plus d’un siècle. Plus question d’État palestinien, mais d’un peuple réduit à une somme d’individus, abandonné par une Autorité palestinienne fantomatique qui vient, une fois encore, d’annuler des élections.
Il ne restait plus dans le discours officiel israélien que des « Arabes » sur un territoire qui n’est plus « occupé », ni même « disputé », mais « annexé ». En quelques mots, le Premier ministre israélien croyait entériner le triomphe du sionisme révisionniste, celui de ses ancêtres en politique, Zeev Jabotinsky et Menahem Begin, qui rêvaient d’un Grand Israël, de la Méditerranée au Jourdain, voire au-delà. C’était aussi le temps d’un Donald Trump qui croyait que tout pouvait s’acheter, même l’âme d’un peuple. Le sujet était à ce point marginalisé que M. Netanyahou, comme d’ailleurs ses principaux rivaux, pouvait mener quatre campagnes électorales en deux ans, sans presque l’évoquer. Or, voilà que ledit conflit est de retour. Et, en son lieu le plus sensible : Jérusalem. La Ville sainte, que les Israéliens ont annexée après la victoire militaire de juin 1967.
En quelques jours, cinq cents blessés, presque tous palestiniens, et à Gaza, une vingtaine de morts dont beaucoup d’enfants tombés sous les bombes israéliennes. Aussitôt, les grandes capitales ont repris leurs mauvaises habitudes et leurs communiqués faussement équilibrés. Comme ces journalistes (surtout d’audiovisuel) qui se lamentent devant les violences « de part et d’autre »… Répugnance à nommer les causes. On aimerait faire lire à ceux qui s’y essaient le livre remarquable, en forme de profession de foi, de Charles Enderlin, ancien correspondant de France 2 dans la Ville sainte (1). Car la vérité n’est pas symétrique. Le courage n’est pas de chercher la fausse objectivité du renvoi « dos à dos ». La cause des affrontements de ces derniers jours tient en un mot bien connu, toujours le même : colonisation. Ou si l’on veut être plus précis : judéïsation et même purification ethnique. Car c’est de cela qu’il s’agit à Cheikh Jarrah, ce quartier palestinien de Jérusalem-Est sur lequel les bandes du colon suprémaciste juif Itamar Ben-Gvir ont jeté leur dévolu. Ces gens peuvent arpenter les ruelles colorées et fleuries de ce faubourg aux cris de « mort aux Arabes » sans grands risques. S’ils viennent à être menacés, l’armée vole à leur secours. Car il y a un continuum idéologique entre ces milices racistes, un Premier ministre israélien qui vient de faire entrer leur chef à la Knesset, et un État régi depuis juillet 2018 par la loi de « l’État-nation du peuple juif » qui légalise l’apartheid. Avec cet outillage fascisant, fait d’arsenal juridique à sens unique, et de terreur, quelque 140 familles ont été chassées de Jérusalem-Est depuis début 2020, et des milliers de maisons sont sous la menace de destruction. Pour Cheikh Jarrah, la Cour suprême doit statuer. Mais, la loi n’est pas faite pour les Palestiniens. En toile de fond, bien sûr, il y a la crise politique. Quatre élections en deux ans, un gouvernement introuvable, et la fuite en avant d’un homme, Benyamin Netanyahou, qui doit se maintenir au pouvoir pour échapper à son sort devant des tribunaux qui le jugent pour plusieurs affaires de corruption. Ce faisant, il est lui-même l’otage consentant de ce que son pays compte de plus extrémiste et de plus raciste. Des gens qui étaient interdits en Israël il y a quelques années encore.
On en vient à la question hélas rituelle de l’attitude de la communauté internationale. À peu près les mêmes mots viennent de toutes les capitales occidentales. On invite Israël « à la retenue » et on fait part de sa « profonde préoccupation ». Courage, fuyons ! Le pire, c’est qu’Israël est sans doute le pays qui dépend le plus de ses soutiens internationaux, militaires et financiers, et donc le plus perméable aux sanctions. Mais l’État hébreu jouit d’une impunité qui ferait pâlir de jalousie Vladimir Poutine. Et ce n’est pas la France qui risque d’élever le ton. Notre pays est le plus prompt à poursuivre les militants qui demandent des sanctions. On se souvient même que François Hollande était allé jusqu’à déclarer son « amour aux dirigeants israéliens » lors d’un dîner offert par Netanyahou… Quant à Emmanuel Macron, il est trop soucieux d’entretenir le spectre de « l’islamo-gauchisme » pour se hasarder à défendre les Palestiniens. Car les connexions sont spectaculaires. Entre les inconditionnels de la droite israélienne et les contempteurs d’un supposé « islamo-gauchisme », le casting est souvent le même. Reste l’espoir Biden. Le Président états-unien a aujourd’hui le courage des mots quand il s’agit des Ouïgours et de Navalny. Aura-t-il celui d’affronter le lobby pro-israélien ? Et, pour lui, le jeu en vaut-il la chandelle ?
*Source : Politis
(1) Dans son livre De notre correspondant à Jérusalem (éditions Don Quichotte), Charles Enderlin se souvient des menaces et du harcèlement judiciaire dont il a été la cible. Le prix de la vérité.