Palestine mon amour
25 mai 2021
Palestine mon amour
Publié le 24/05/2021
Ronnie Kasrils*, Johannesburg
Un film français évocateur, dont l’action se déroule dans un Hiroshima détruit par la bombe atomique américaine, me hante depuis ces terribles jours de carnage à Gaza. Je veux parler du chef-d’œuvre anti-guerre de 1959, Hiroshima mon amour. Il résonne avec le nettoyage ethnique et le génocide progressif des Palestiniens depuis la Nakba (Catastrophe) de 1948 en explorant les questions de mémoire, de vision et de responsabilité. Les bombardiers israéliens qui démolissent un centre de télévision, inventant une présence du Hamas, dans le but d’empêcher la révélation de leurs crimes en cours, m’ont fait comprendre cela.
La vérité doit prévaloir. On ne peut pas l’ignorer. Elle ne doit pas être déformée pour rendre la victime responsable, blanchir l’auteur du crime et fournir un écran de fumée à ses partisans.
Comment percer le brouillard et le bruit de la guerre ? Qui a raison ? Qui a tort ? Le monde ne devrait-il pas être neutre et impartial dans la résolution du problème ?
Le commun des mortels, au-delà de la zone de contestation, recule dans la confusion et l’horreur. L »obscurcissement des faits et la désinformation pratiquée par le courant dominant ne rend pas service à l’humanité, non plus que la stratégie de diversion d’Israël et de ses alliés occidentaux.
Comprendre la source du problème est la condition préalable à la recherche d’une solution durable et juste.
Il faut s’attaquer à la cause profonde de la Nakba de 1948 et des accords franco-britanniques antérieurs conclus après l’effondrement de l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale.
Le nœud du problème est le détournement par les sionistes de la terre d’un autre peuple.
L’injustice flagrante de cette situation est clairement perçue par ceux qui ont souffert de la domination coloniale des colons, notamment en Algérie, en Angola, en Irlande, au Kenya, au Mozambique, en Namibie, en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Cela a rendu les luttes anticoloniales beaucoup plus difficiles, complexes et sanglantes que dans les possessions où la présence des colons était insignifiante. Les luttes pour l’indépendance qui en ont résulté ont été qualifiées de luttes de libération, et non désignées comme des conflits, comme s’il y avait deux camps opposés avec des revendications raisonnables. Une fois que le facteur colonial est compris, tout le reste se prête au commentaire.
Ceux qui ont une mentalité coloniale, les anciennes puissances qui ont divisé le Moyen-Orient, telles que la Grande-Bretagne et la France, l’intrusion ultérieure des États-Unis, avec leurs antécédents de dépossession et leurs intérêts impériaux, ne peuvent jamais comprendre le droit d’un peuple à lutter pour sa terre et sa liberté. Les colons juifs, conditionnés par le récit colonialiste, ne peuvent admettre les revendications des Palestiniens. Pour eux, les indigènes sont des gens inférieurs, et constitiuent une menace pour leur bien-être. Ils ont le droit « divin » de s’emparer de la terre et d’expulser les Palestiniens de la surface de la terre. La psychose de l’oppresseur inculque un racisme extrême qui ronge l’âme. Leur doctrine militaire consiste à punir les Palestiniens jusqu’à la soumission ou la mort. La subsistance de l’espoir doit être chassée des esprits palestiniens.
Trois décennies après les accords d’Oslo, on aura vu la situation des Palestiniens se dégrader infiniment. Oslo et l’option des deux États, qui a vu les dirigeants palestiniens se contenter d’un État réduit à 22 % de leur territoire, se sont révélés être un canular. Ceux qui ont subi l’oppression savent que la seule façon de forcer les colonisateurs à un changement significatif est la résistance. Demandez à Cuba et au Vietnam.
Malheureusement, la liberté a un prix très élevé.
Des images telles que celle du jeune homme blessé faisant un signe de victoire alors qu’il est sauvé des décombres d’un immeuble démoli à Gaza. La jeune fille terrifiée qui court dans les bras de sa mère après une frappe aérienne israélienne toute proche qui a fait trembler leur immeuble, en pleurant : « Je veux être courageuse, maman, mais je ne sais pas comment faire quand la mort est si proche ? »
Comme dans un jeu de basket apocalyptique, l’élite dirigeante d’Israël jubile alors que le nombre de morts augmente – 249 à 12 en leur faveur à Gaza (70 enfants, 29 femmes). Des familles entières incinérées ou écrasées à mort. Un coup de maître ! 27 autres massacrés en Cisjordanie. D’autres sont tués par la police et les lyncheurs à Jérusalem-Est occupée et en Israël.
Les stormtroopers se tapent dans le dos en faisant des high-five avec leurs fans assoiffés de sang.
Des hôpitaux, des écoles, des cliniques, l’unique centre Covid-19, des milliers de maisons, des infrastructures vitales réduites en ruines.
Le phénix renaît de ses cendres. Comme l’observe Omar Barghouti, l’un des leaders du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) : « C’est la définition des Palestiniens… Nous protestons parce que nous voulons vivre ».
L’apartheid israélien est en train de perdre la guerre. Donald Trump prétendait que Jérusalem, où il avait ouvert l’ambassade américaine, n’était plus un sujet de débat. Eh bien, la question de Jérusalem est de nouveau sur la table grâce à la résistance à Shaik Jarrah. Slam dunk ! La soi-disant offensive de normalisation entre Israël et les régimes arabes serviles est remise en question, comme l’avait prédit le tollé de la rue arabe.
Le colonisateur est effrayé et perplexe. Cet assaut a uni les Palestiniens comme jamais auparavant. Ceux des parties fragmentées, de Gaza à la Cisjordanie, à Jérusalem et en Israël, des camps de réfugiés pour la diaspora, ont redécouvert leur sens de l’unité nationale et se sont levés pour ébranler la détermination des colons. La stratégie consistant à diviser pour régner est en lambeaux. Une grève des Palestiniens à travers Israël et Jérusalem a bloqué les magasins et les entreprises – le plus grand événement de ce type depuis 1936. Tel Aviv a connu un important rassemblement de Juifs et d’Arabes réclamant la paix. Des marches massives à Londres, Paris, Berlin, New York ont vu des foules sans précédent soutenir la cause palestinienne, et l’unité entre Black Lives Matter et Free Palestine Movement revêt une importance considérable. Partout, les Palestiniens font la fête.
La société civile palestinienne a mis au défi la communauté internationale d’égaler le courage des Palestiniens en faisant pression sur les gouvernements occidentaux pour qu’ils retirent leur soutien à Israël. Les États-Unis fournissent à Israël une aide annuelle de 4 milliards de dollars. La réponse du président Biden à l’agression d’Israël est de 750 millions de dollars, pour améliorer la technologie des bombardements. Quelle honte !
Biden est confronté à une protestation sans précédent dans tous les États-Unis pour changer de cap. C’est pourquoi il a fait pression sur Netanyahu pour qu’il cesse le bombardement de Gaza.
Nous devons élever la campagne non-violente BDS à des sommets inégalés. Son succès a vu Israël désigner la campagne comme une menace stratégique pour son existence.
Le succès de la campagne BDS contre l’Afrique du Sud de l’apartheid, avait renforcé la résistance du peuple et contribué à la victoire, à la création d’un État unitaire, démocratique, non raciste, non sexiste et laïque.
Nelson Mandela a déclaré de façon célèbre que « la liberté de l’Afrique du Sud était incomplète sans la liberté des Palestiniens ».
Il comprenait ce qui était bien et ce qui était mal.
La population sud-africaine demande instamment au gouvernement de l’ANC d’être fidèle à la déclaration de Mandela, de rompre tous les liens avec l’Israël de l’apartheid et de montrer la voie au monde en mettant en œuvre l’action BDS.
Espérons que la dernière déclaration du ministre sud-africain des affaires étrangères, Naledi Pandor, est bien un signe avant-coureur des choses à venir :
« Les bombardements cruels et les meurtres d’innocents auxquels nous avons assisté ces deux dernières semaines sont un triste témoignage de l’impunité cruelle que le monde a accordée à Israël. La communauté internationale doit mettre fin à cette impunité. L’Afrique du Sud doit soutenir la Cour pénale internationale dans l’enquête prévue sur les violations des droits de l’homme par le gouvernement israélien. Nous espérons que des sanctions et autres mesures visant à montrer l’indignation du monde face à cette brutalité seront bientôt des décisions justifiées et que ce sera évident pour tous. »
Comme dans le reste du monde, l’Afrique du Sud a été le théâtre de scènes de solidarité sans précédent avec la Palestine, sous l’impulsion de la Coalition nationale BDS. Des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, mais surtout des dockers, des syndicats et des groupes de solidarité sur le front de mer de Durban, pour protester contre le déchargement d’une cargaison d’un navire israélien. Des milliers de personnes y ont participé. Cette action fait suite aux actions des dockers sur la côte ouest de l’USDA. Un piquet de grève international des navires israéliens pourrait suivre.
Palestine mon amour. Tu n’es pas seule, et nous te suivons.
* Ronnie Kasrils a occupé de nombreux portefeuilles gouvernementaux (1994-2008) en République sud-africaine, notamment celui de ministre du renseignement. Il est auteur et activiste.