France, Montpellier, 2014 – Manifestation pour le boycott des produits issus
des colonies israéliennes établies sur les terres palestiniennes – Photo : Archives

Par Bahassou Reda

 

La manière dont la question est posée peut prêter à sourire, susciter la raillerie voire l’indignation selon les cas, mais à y regarder de plus près, la situation des peuples opprimés à Gaza et celle des Français de France et de Navarre est similaire sur bien des aspects.

Nous allons voir comment la juxtaposition de plusieurs facteurs qui découlent d’un imbroglio juridique, un vide politique et un sectarisme religieux combiné à un ethno-nationalisme exacerbé concourent indépendamment des particularismes locaux et de la disparité géopolitique politique à ébaucher l’esquisse d’un rapprochement.

Le drame palestinien est sans conteste un cas unique dans l’histoire contemporaine, et son histoire est jalonnée d’une longue litanie de massacres (Deir Yassin, Jénine et Gaza etc.), de Nakba, de punitions collectives, de privation, de checkpoints, et d’assassinats ciblés…

Le tout sous le regard impuissant sinon complaisant des instances internationales (CPI, ONU, Ligue arabe, OCI…) et les politiques de tout bord, qui renvoient agresseurs et agressés à leur responsabilité réciproque, sans égard pour la disproportion inégalée des forces en présence et sans soulever la question épineuse de la colonisation qui demeure le nœud du problème.

Néanmoins le récent soulèvement dans la vieille ville de Jérusalem indique un changement inédit, une nouvelle donne dans la distribution des cartes avec de nombreuses inconnues, agitant le spectre de l’ouverture d’un front à l’intérieur d’Israël dans un conflit asymétrique, la hantise du Shin Bet, le renseignement intérieur israélien.

Comment fera l’État Hébreu si demain se soulèvent les Arabes israéliens (les Arabes détenteurs de la citoyenneté israélienne qui s’identifient en tant que Palestiniens), ceux de villes mixtes (Lod, Haïfa, Saint-Jean d’Acre…), citoyens de seconde zone relégués à la marge, et plus particulièrement les familles de Sheikh Jarrah, un quartier à majorité palestinienne de Jérusalem-Est, sous la menace d’une éviction par la cour suprême israélienne pour renforcer le caractère juif de la ville sainte comme le stipulent les lois rétroactives à 1948.

Dos au mur et lassés par l’humiliation au quotidien et par le racisme institutionnel, les Arabes israéliens se joignent à la bataille, en se livrant à une guerre subversive contre tous les symboles de l’État (sabotage d’édifices publics, stations d’épuration, déraillement de trains, feux de forêts et de raffinerie…) comme pendant la guerre d’Algérie sous la houlette d’un certain Mohamed Boudia ?

Comme pour accentuer le caractère shakespearien de la tragédie, d’autres facteurs peuvent venir envenimer une situation déjà explosive, précipitant toute la région dans le chaos et la désolation.

On peut faire de la prospective et supposer comme le font les instituts d’études stratégiques :

1) Qu’un mollah vieillissant décide de se jeter à corps perdu dans la bataille pour la “libération d’Al Qods” ou tout du moins en usant de la stratégie de la triangulation par le truchement d’une organisation chiite d’Irak, de Syrie ou du Sud Liban, animé par la seule volonté de restaurer le prestige de l’Iran, du monde musulman à l’Arabie Saoudite, l’autre puissance régionale sunnite.
2) Que le conflit gagne en intensité si bien que les différentes factions surmontent leur clivage idéologique et scellent une union sacrée contre l’ennemi commun.

Et le lien avec la France me direz vous?

Contre toute attente, les nombreux points de convergences entre les Palestiniens et les Français sont nombreux, d’abord la situation sur le terrain dans les territoires occupés, met en échec la velléité de certains en France (Éric Ciotti, Christian Estrosi…) de nous vendre la solution clé en main dite “du réflexe à l’israélienne”, autrement dit, transformer l’espace public en citadelle imprenable, un pré carré sanctuarisé à grand renforts de caméras de reconnaissance faciale, portiques de sécurité, plots en béton armé, généralisation du QR code, massification des drones de surveillance etc.

Ensuite, la résistance palestinienne qui soumet pour la première fois tout le territoire israélien à la portée de ses roquettes et fusées Fajr, Shahab, et Ayach – malgré la puissance de feu et la réactivité du système de défense aérienne mobile israélien (Dôme de Fer) – qui agit comme un piqûre de rappel pour ces généraux factieux en France qui veulent tribune après tribune “s’inspirer des méthodes israéliennes” pour disent-ils “reconquérir les banlieues entre les mains des hordes de banlieues et de l’islam militant” (voir la déclarions d’Eric Zemmour au sujet de l’opération “Ronces”).

Par ailleurs, le slogan “Ni keffieh ni kippa” agité par une partie de la droite comme un mantra, pour réaffirmer la neutralité des nationalistes dans le conflit israélo-palestinien au motif “que ça ne les regarde pas” n’est pas tenable, dans la mesure où le gouvernement français hostile à sa population ici dans l’Hexagone et qui s’est distingué par une violence inouïe à l’encontre des Gilets jaunes, a d’ores et déjà choisi sans camp, à savoir l’extrême droite israélienne représentée au plus haut niveau par le Likoud de Benjamin Netanyahu.

Un mot d’ordre d’une grande vacuité intellectuelle, comme s’il s’agissait de claironner en 40 “ni salopette bavaroise, ni béret, ni binious” pour paraphraser BHL.

Au demeurant, seule une politique de réconciliation nationale qui promeut l’égalité des droits entre citoyens ici et ailleurs, le respect du pluralisme religieux, la liberté d’expression, la gouvernance partagée, l’éradication du racisme et des ségrégations en tout genre… sont à même de concrétiser une paix durable et l’entente entre les peuples, tout le reste n’est qu’un songe creux, une faribole.

Aviv Kokhavi le chef d’État major de Tsahal et les généraux signataires du manifeste en France doivent méditer cette citation de Sun Tzu : « La guerre est semblable au feu, lorsqu’elle se prolonge elle met en péril ceux qui l’ont provoquée ».

Auteur : Bahassou Reda

* Bahassou Reda est écrivain franco-marocain. Il a fait des études de sociologie à l’Université de Lorraine et il est l’auteur de l’essai Nass El-Ghiwane, les Rolling Stones de l’Afrique, à paraître chez « La Croisée des Chemins » au Maroc.

18 mai 2021 – Transmis par l’auteur.

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…