La chronologie est éloquente. Il aura fallu attendre deux mois et demi pour que le nouveau premier ministre libyen, Abdel Hamid Dbeibah, nouveau visage d’une Libye réconciliée, se rende à Rome et à Paris, capitales des deux pays européens traditionnellement les plus impliqués dans la médiation en Libye. Dans la foulée de son investiture, le 10 mars, par un Parlement réunifié après plus de six ans de guerre civile, M. Dbeibah avait accordé la priorité de ses déplacements à l’étranger à l’Egypte, aux pays du Golfe, à la Turquie et à la Russie.
En le recevant à Paris, mardi 1er juin, Emmanuel Macron a affirmé avec solennité l’« engagement » de la France à « soutenir » la réconciliation en cours en Libye. Le décalage dans le temps entre les deux trains de visite souligne pourtant crûment le relatif effacement de l’Europe sur le théâtre libyen, au regard de l’emprise désormais de facto exercée par la Turquie et la Russie, les deux nouveaux tuteurs du pays.
Pour l’heure, ce glissement du curseur géopolitique est quelque peu occulté par l’embellie du climat des affaires. La fin des combats et la mise en place du gouvernement d’union nationale (GUN), où se retrouvent les forces de Tripolitaine (Ouest) et de Cyrénaïque (Est) qui s’affrontaient depuis 2014, ont permis un rebond de la production pétrolière à près de 1,3 million de barils par jour (contre 1,6 million avant 2011). Les investisseurs internationaux se pressent de nouveau autour du chantier de la reconstruction libyenne.
M. Dbeibah, accompagné d’une grosse délégation ministérielle, devait d’ailleurs rencontrer mercredi, à Paris, les patrons français du Medef pour parler contrats. Le nouveau premier ministre, qui a dirigé sous l’ancien régime de Mouammar Kadhafi une société d’Etat, la Compagnie libyenne d’investissement et de développement (Lidco), et fut ensuite le représentant en Libye de nombre d’entreprises turques, est lui-même très familier des coulisses du monde des affaires. « Il est d’abord dans la transaction », commente un observateur de la scène libyenne.
« Division du pays »
Un tel profil suffira-t-il à surmonter les écueils qui continuent d’hypothéquer une stabilisation aux assises encore fragiles ? Une conférence sur la paix en Libye, sous l’égide des Nations unies, conviée à Berlin le 23 juin – dix-huit mois après une première édition en janvier 2020 –, devrait être l’occasion d’évoquer un certain nombre de sujets en souffrance. Le plus aigu d’entre eux est le départ des forces étrangères du sol libyen, une demande maintes fois réitérée par les Occidentaux, mais qui bute pour l’heure sur l’influence sécuritaire exercée par la Russie (en Cyrénaïque) et la Turquie (en Tripolitaine).LE MONDE