Par Normand Lester (revue de presse : Le Journal de Montréal – 3/7/21)*
Le criminel de guerre Donald Rumsfeld s’est éteint à l’âge de 88 ans dans son ranch de Valdez, au Nouveau-Mexique, entouré de sa famille. Secrétaire à la Défense de 2001 à 2006, Donald Rumsfeld aurait dû, dans un monde de justice, mourir dans une cellule de prison après avoir été condamné pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale de La Haye. Mais rassurez-vous, il n’avait rien à craindre: les États-Unis ne reconnaissent pas la compétence de la CPI, même chose pour la Russie, la Chine et Israël, entre autres. Je me demande pourquoi…
Comme celui de son patron George W. Bush, son nom ne sera pas seulement associé à des crimes de guerre, mais aussi à ce qui est, pour l’instant, la plus grave erreur géopolitique du XXIe siècle: les invasions et occupations d’Irak et d’Afghanistan qui vont déstabiliser la région pour des décennies.
Revendiquant fièrement la responsabilité de ces épouvantables catastrophes, Rumsfeld a notamment déclaré que la destitution de Saddam Hussein avait «créé un monde plus stable et plus sécuritaire».
Avec ses principaux complices, son secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz et le vice-président Dick Cheney, il a convaincu l’idiot George W. Bush, un individu tout aussi ignorant mais moins perfide que Trump, de leur donner carte blanche au Moyen-Orient.
Plutôt que de concentrer leurs efforts sur l’Afghanistan pour rapidement y écraser les djihadistes, ils ont stupidement divisé leurs forces pour renverser Saddam Hussein, leur allié contre Téhéran. Dans les années 80, Rumsfeld, alors au service de Reagan, l`avait rencontré pour organiser leur coopération militaire secrète contre les Iraniens.
Le menteur sériel Rumsfeld et ses acolytes va-t-en-guerre ont affirmé — ce qui était absolument faux — que Saddam avait des armes de destruction massive et qu’il était l’allié de Ben Laden. C’était leur casus belli.
Malheureusement, il faut le dire, la plupart des grands médias américains ont cautionné leurs mensonges, par crainte de la réaction de l’opinion publique, que le gang de menteurs autour de Bush avait réussi à captiver, comme le fera plus tard un autre charlatan républicain, Donald J. Trump.
Le New York Times et le Washington Post, les deux principaux médias de référence aux États-Unis, ont présenté des nécrologies, par trop avenantes à mon avis, de l’odieux personnage. Voici des statistiques sur les conséquences des décisions de Rumsfeld fondées sur des menteries. Selon la recherche de la Brown University sur la guerre en Irak, en 2018, on y comptabilisait de 267 792 à 295 170 morts dus à des opérations militaires depuis l’invasion de 2003: entre 182 000 à 204 000 civils, plus de 41 000 soldats et policiers irakiens et 4550 militaires américains.
Avec sa suffisance légendaire, l’arrogant Rumsfeld avait prédit en novembre 2002 une guerre rapide et facile en Irak. «Cinq jours, cinq semaines ou cinq mois. Mais ça ne va certainement pas durer plus longtemps que ça.» Des militaires américains y combattent toujours: le président Biden y a encore ordonné une frappe aérienne de riposte la semaine dernière.
Autre crime de guerre. Rumsfeld a aussi approuvé l’usage de la torture à Guantanamo et à Abou Ghraib. Une enquête de la commission sénatoriale des forces armées a conclu que «l’autorisation par Rumsfeld des techniques d’interrogatoire était une cause directe d’abus de détenus». Il a ainsi émis une directive refusant des soins médicaux aux prisonniers interrogés blessés par balles, tant qu’ils n’auraient pas parlé. Et des prisonniers ont été torturés à mort dans des «sites noirs» ailleurs dans le monde.
Le successeur de W. Bush, Barack Obama, n’a jamais voulu ouvrir une enquête criminelle sur Rumsfeld et Cie, comme le réclamait Human Rights Watch. Il refusait, disait-il, de «regarder en arrière». C’est une longue tradition présidentielle américaine que de fermer les yeux sur les crimes qui ont été commis par des administrations précédentes, et même de gracier leurs auteurs.
La règle générale sur les criminels de guerre est simple: seuls ceux qui proviennent d’États faibles ou d’États vaincus sont poursuivis. Ceux issus d’États gagnants ou d’États puissants vont éviter de devoir répondre de leurs actes.
*Source : Le Journal de Montréal