Reconstruire ce qu’Israël a détruit à Gaza au mois de mai prendra deux ans et coûtera jusqu’à 500 millions de dollars. (Mohammed Zaanoun / ActiveStills)
Par Maureen Clare Murphy
Une nouvelle étude sur les besoins nécessaires à la reconstruction de Gaza, publiée par l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale, démontre à nouveau le rôle nuisible joué par ces institutions en Palestine.
Les auteurs de l’« évaluation rapide des dégats et des besoins », comme l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale appellent leur étude, se donnent beaucoup de mal pour minimiser la responsabilité d’Israël dans la situation catastrophique de Gaza, exacerbée par le dernier épisode des bombardements de mai.
Ils utilisent partout la forme passive dans une tentative évidente pour minimiser le rôle d’Israël dans la destruction, et dont la reconstruction va coûter quelques 345 à 485 millions de dollars et nécessiter deux ans.
Ceci en supposant qu’Israël ne fera pas obstacle à toute occasion.
Les dirigeants israéliens ont cherché à conditionner la reconstruction au retour des Israéliens détenus à Gaza. La reconstruction a démarré à la vitesse d’un escargot après la dernière guerre. Il y a donc toutes les raisons de penser que cela retardera et entravera une fois de plus la reconstruction.
Les auteurs de l’« évaluation rapide » déclarent que « le conflit de mai 2021 a causé des dommages » aux rues de Gaza comme s’il s’agissait de quelque malheureuse action divine plutôt que du résultat de missiles délibérément tirés par l’armée israélienne sur des infrastructures civiles.
Dans l’une de ces attaques, une frappe israélienne a creusé un cratère géant dans l’une des rues principales menant à l’hôpital al-Shifa, le plus grand établissement médical de Gaza, bloquant la circulation des ambulances.
Al-Haq, association palestinienne de défense des droits de l’homme, a dit qu’attaquer les principales rues menant à al-Shifa « équivalait à faire de l’hôpital l’objet de l’attaque ».
Israël a tué plus de 40 Palestiniens dans cette série de frappes sur la rue al-Wihda de Gaza ville.
Mais ces détails ne figurent pas dans l’« évaluation rapide », « qui décrit en détail les besoins des Palestiniens mais traite la responsabilité d’Israël de façon abstraite, si tant est qu’ils le fassent ».
Il est impossible d’ignorer le siège israélien et ses effets délétères sur tous les aspects de la vie à Gaza, même pour l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale.
Mais ces institutions internationales légitiment le siège israélien sur Gaza en déclarant qu’il a été « imposé par des raisons de sécurité ». Cependant, les auteurs de l’étude n’attribuent pas ceci à une revendication du gouvernement israélien mais, à la place – et c’est choquant – le présentent comme un fait acquis.
Ceci blanchit honteusement un siège évidemment cruel et immoral, dont le Comité International de la Croix Rouge a affirmé qu’il équivaut à une punition collective « imposée en violation évidente des obligations d’Israël selon le droit humanitaire international » – c’est-à-dire un crime de guerre.
Comme l’écrit al-Mezan, association de défense des droits de l’homme basée à Gaza, la politique israélienne de bouclage « ne peut se justifier en aucune circonstance ». La politique d’Israël à Gaza peut « s’apparenter à des crimes contre l’humanité de persécution et autres actes inhumains ».
En acceptant le postulat que « des raisons de sécurité justifient le siège », l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale font preuve d’un empressement à sanctifier l’assujettissement par Israël des Palestiniens qui vivent sous don régime de colonisation de peuplement.
Le véritable but du siège de Gaza n’est pas de protéger la sécurité d’Israël. C’est plutôt d’obtenir un changement de régime en mettant l’économie de Gaza à genoux pour affaiblir le Hamas, la faction dotée d’une branche armée qui gouverne les affaires intérieures du territoire depuis 2007.
Israël a admis depuis longtemps que le siège de Gaza est une « guerre économique ».
Après tout, il est vraiment difficile de voir comment compter les calories qu’Israël autorise à Gaza pourrait raisonnablement être considéré comme une mesure de sécurité.
Des décennies de blocus israélien
Gaza subit jusqu’à un certain degré le blocus israélien depuis ce dernier demi-siècle – des dizaines d’années avant que le Hamas entre en scène.
Israël a longtemps isolé Gaza, faisant de ce territoire « une colonie ségréguée, débilitée et subjuguée », comme l’a fait observer Ron Smith en 2019.
« Israël fabrique avec son siège des crises humanitaires pour créer un enclavement et une privation permanentes, soutenues par la communauté internationale par le fait qu’elle est politiquement inactive et qu’elle pourvoit de l’aide humanitaire malgré les obligations juridiques du gouvernement israélien », c’est ce que dit Smith.
Israël agit ainsi parce que la majeure partie des deux millions de Palestiniens de Gaza sont des réfugiés qui réclament de pouvoir retourner sur leurs terres dans ce qu’on appelle maintenant Israël – revendications soutenues par le droit international.
Mais pourquoi l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale soutiendraient-elles l’excuse des « raisons de sécurité » pour une politique qui a plongé les deux millions de résidents de Gaza dans des abîmes profonds de pauvreté, de dépendance à l’aide, d’insécurité alimentaire et de chômage », comme décrit par Al Mezan ?
Parce qu’elles partagent le même objectif de changement de régime qu’Israël, comme expliqué clairement dans le rapport sur « l’évaluation rapide ».
Ces institutions internationales qui se sont attribué le rôle de reconstruire Gaza veulent voir la restauration du régime de l’Autorité Palestinienne dans ce territoire, ainsi que « la réconciliation des Palestiniens en interne » et une « Autorité Palestinienne démocratiquement élue ».
Les Palestiniens de Cisjordanie (à l’exception de Jérusalem Est où Israël interdit toute présence de l’AP) et de Gaza n’ont pas participé à un suffrage universel depuis les élections législatives de 2006. Le Hamas en était sorti vainqueur par surprise.
Israël et ses alliés, principalement les États Unis, n’ont pas épargné leurs efforts pour saper le nouveau gouvernement de l’AP dirigé par le Hamas afin de redonner le pouvoir exclusivement à Mahmoud Abbas, le président de l’AP basé en Cisjordanie dont le parti le Fatah avait perdu les élections.
Lorsque le Hamas a fait partir les milices soutenues par les États Unis hors de Gaza en 2007, lui permettant de prendre les rênes du gouvernement, son administration a été jugée illégitime à cause de son refus « de reconnaître les exigences du Quartet pour le Moyen Orient (EU, Fédération de Russie, ONU et États Unis) d’accepter tous les accords antérieurs, reconnaître le droit d’Israël à exister et renoncer à la violence ».
Ces parties n’ont pas eu les mêmes exigences envers Israël, dont les dirigeants criminels de guerre et partisans du génocide sont chaleureusement congratulés et accueillis par les responsables de l’ONU et de l’UE.
Mais les droits de l’homme ne sont pas leur priorité.
La différence essentielle entre l’Autorité Palestinienne conduite par Abbas à Ramallah et la direction du Hamas à Gaza, c’est que la première considère la coordination sécuritaire avec Israël comme « sacrée » et que la deuxième insiste sur le droit des Palestiniens à résister à l’occupation et à la colonisation de leur terre.
L’AP de Cisjordanie, il faudrait le noter, a été récemment réprimandée par la Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU pour avoir violemment réprimé les manifestations qui ont suivi la mort de Nizar Banat, éminent opposant, après qu’il ait été battu dans les lieux de détention de l’AP.
Les Palestiniens devaient avoir une élection en mai, mais le vote a été reporté par un décret émis par Abbas qui invoquait les restrictions israéliennes sur le vote des Palestiniens à Jérusalem. Mais ceci fut largement considéré comme une excuse pour éviter que le Fatah perde une fois de plus face au Hamas.
Capitulation
L’ONU, l’UE et la Banque Mondiale veulent que les Palestiniens capitulent face à Israël et se soumettent à sa domination.
Elles demandent une Autorité Palestinienne démocratiquement élue « en charge de toutes les fonctions gouvernementales essentielles sur tout le territoire palestinien ».
Ils l’ont obtenu en 2006, mais les Palestiniens ont fait l’erreur d’élire le mauvais gouvernement du point de vue de ces institutions internationales.
Si les Palestiniens devaient tenir des élections aujourd’hui, l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale ne seraient vraisemblablement pas contentes du résultat, étant donné l’approbation généralisée du Hamas et l’impopularité du Fatah, le parti d’Abbas, après l’escalade du mois de mai.
Dans leur étude, l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale soulignent « le manque de gouvernement internationalement reconnu à Gaza depuis plus de dix ans » comme l’un des « facteurs structurels » qui contraignent l’économie palestinienne.
Elles ne parviennent pas à admettre leur propre contribution à ce « facteur structurel » en refusant de reconnaître le gouvernement du Hamas à Gaza, qu’elles cherchent à mettre sur la touche dans le processus de reconstruction.
En attendant, Israël a resserré le siège après l’offensive du mois de mai.
Plutôt que de demander explicitement à Israël de lever les restrictions, l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale sont à la recherche d’efforts au niveau international pour « soutenir, réformer et renforcer le mécanisme pour faciliter et accélérer l’importation de produits et matériaux sensibles nécessaires à la reconstruction « de l’infrastructure économique et du secteur des affaires ».
C’est une référence quelque peu biaisée au scandaleux Mécanisme de reconstruction de Gaza soutenu par l’ONU, conçu après l’offensive de 2014, autorisant Israël à exercer un contrôle total sur quels matériaux de construction sont autorisés à entrer dans le territoire.
En d’autres termes, l’ONU, l’UE et la Banque Mondiale veulent « soutenir, réformer et renforcer » les restrictions israéliennes sur l’économie palestinienne, particulièrement à Gaza, plutôt que les supprimer complètement.
Ces institutions font cependant la promotion d’une approche du « Reconstruire Mieux », assurant que « les efforts de récupération et de reconstruction sont facteurs de résilience et de durabilité » et « réduisent les vulnérabilités de Gaza ».
Mais, pour que cela se produise réellement, il faut que les Palestiniens soient libérés de la domination coloniale israélienne et de l’agenda des institutions internationales qui la soutiennent.
Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
Source : The Electronic Intifada
Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine
Source : Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/…