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23 avril 2024

Transmutation de la médiocrité de l’être en puissance


Transmutation de la médiocrité de l’Être en puissance par la seule force de l’Avoir

par Robert Bibeau

Par Khider Mesloub.

 

À l’ère de l’argent roi, n’importe quel vulgaire plébéien est assuré de se hisser aux cimes du pouvoir (j’allais écrire crimes du pouvoir, tant l’homologie des mots induit l’homogénéité des maux : « cime du pouvoir » rime avec le pouvoir du crime ; tout pouvoir (de classe) s’édifie sur l’amoncellement de cadavres politiques, économiques, sociaux) par la grâce de son compte bancaire alimenté par ses prédations.

 

N’importe quel médiocre roturier est capable d’accéder aux palais de la puissance politique (j’allais écrire la puissance phallique tant l’érection de tout pouvoir est une forme de sublimation érotique de l’impuissance sexuelle de tous les gouvernants) grâce à ses liasses de billets amassées à force de prévarications opérées par son esprit de prédation. Et par la grâce de sa puissance financière, se faire respecter, admirer, aduler, élire, obéir. Exiger des autres pour lui de mourir à la tâche à force de travail exténuant et aliénant, de se sacrifier sur le champ de la patrie, cette abstraction nationale régie par les grands argentiers pour leur seul profit, évoluant au sein d’une société marchande irriguée par les seules « eaux glacées du calcul égoïste ». De nos jours, pour reprendre à notre compte un dicton cité par Kant : « Tout homme a son prix pour lequel il se vend ». Aujourd’hui, avec la dégradation de sa valeur réduite à sa plus simple expression monétaire dévaluée, nous dirions : pour lequel il se brade, il se solde, au plus offrant.  

 

Quand l’argent se saisit de l’être, l’être se mue en son agent vil et servile. Il permet de blanchir l’âme la plus ténébreuse, d’absoudre les criminels de guerre, de disculper les puissants scélérats, les potentats du pouvoir et des affaires.

 

Il permet d’embellir la laideur par sa seule possession. De transmuer l’ignorance en intelligence tant l’argent rend brillant. Il s’impose comme l’argument d’autorité, voire l’autorité de régulation de l’argumentation, tant sa puissance exerce sur tous les sujets la censure. Il permet d’unir des individus aussi hétérogènes qu’antagonistes, former des couples aussi dissemblables qu’incompatibles, par son unique pouvoir d’aimantation transactionnelle vénale.

 

Il permet de vacciner une minorité de privilégiés contre le virus de l’infortune, au détriment de l’immense majorité de l’Humanité infectée par la pandémie d’indigence, ce covid de la misère chronique inoculé par la société marchande, dominée par les classes financières parasitaires qui vouent une vénération absolue à leur Dieu-argent couplée à une aversion atavique au peuple, nourri, par ces mêmes machiavéliques classes régnantes, à l’opium religieux, ce soporifique aliment qui a la puissance de soulager la misère sans dépenser le moindre argent.

 

La religion offre le luxe de supporter richement sa pauvreté, par la grâce du capital-croyance, cet opulent trésor divin source de la foi du pauvre. Elle procure la chance de remplir virtuellement son être sans posséder réellement le moindre avoir. La religion est une sorte d’assurance-vie octroyée au croyant, lui garantissant un capital-bonheur mais uniquement dans l’Au-delà, versé une fois décédé, après avoir mené une existence parcourue d’accidents sociaux et économiques non pris en charge par la société gangrenée par l’insécurité existentielle. Une société déchirée par les injustices sociales, par ailleurs dominée par les puissants, épargnés, eux, par l’infortune. Donc assurés, de leur vivant, de profiter de leur capital-bonheur terrestre hic et nunc.

 

Quand tout se monnaye, même l’honneur et la dignité, la vertu et la morale, c’en est fini de l’Humanité.

Ironie du sort, Marx a consacré sa vie à l’étude de la société capitaliste. Pourtant, comme il l’a déclaré dans une lettre adressée à sa femme : « C’est extraordinaire que la chose que j’ai le plus étudié soit justement celle que je possède le moins » (l’argent).

Méditons ces écrits de jeunesse de Karl Marx :

« Ce que je peux m’approprier grâce à l’argent, ce que je peux payer, c’est-à-dire ce que l’argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l’argent. Telle est la force de l’argent, telle est ma force. Mes qualités et la puissance de mon être sont les qualités de l’argent ; elles sont à moi, son possesseur. Ce que je suis, et ce que je puis, n’est donc nullement déterminé par mon individualité. Je suis laid, mais je puis m’acheter la plus belle femme ; aussi ne suis-je pas laid, car l’effet de la laideur, sa force rebutante, est annulée par l’argent. Je suis, en tant qu’individu, un estropié, mais l’argent me procure vingt-quatre pattes ; je ne suis donc pas estropié ; je suis un homme mauvais, malhonnête, sans scrupule, stupide : mais l’argent est vénéré, aussi le suis-je de même, moi qui en possède. L’argent est le bien suprême, aussi son possesseur est-il bon ; que l’argent m’épargne la peine d’être malhonnête, et on me croira honnête ; je manque d’esprit, mais l’argent étant l’esprit réel de toute chose, comment son possesseur pourrait-il être un sot ? De plus, il peut s’acheter des gens d’esprit, et celui qui en est le maître n’est-il pas plus spirituel que ses acquisitions ? Moi qui, grâce à mon argent, suis capable d’obtenir tout ce qu’un cœur humain désire, n’ai-je pas en moi tous les pouvoirs humains ? Mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ?

Si l’argent est le lien qui m’unit à la vie humaine, qui unit à moi la société et m’unit à la nature et à l’homme, l’argent n’est-il pas le lien de tous les liens ? Ne peut-il pas nouer et dénouer tous les liens ? N’est-il pas, de la sorte, l’instrument de division universel ? Vrai moyen d’union, vraie force chimique de la société, il est aussi la vraie monnaie « divisionnaire » ». (K. Marx, Manuscrits de 1844).

 

« Si l’argent, comme dit Augier, vient au monde avec des taches de sang naturelles sur une joue, le capital quant à lui vient au monde dégoulinant de sang et de saleté par tous ses pores, de la tête aux pieds. »

 

Khider Mesloub

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