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25 avril 2024

Ecologie : Sandrine, Yannick, et les autres


A chaque fois qu’un événement politique se manifeste dans le champ démocratique, la manière dont on en parle est au moins aussi intéressante que le fond. Dans le cas de la primaire écologiste, les résultats du premier tour offrent une médiatisation qui en dit autant sur les représentations liées aux candidat.e.s que sur la capacité de la société à faire face au changement climatique.

Sandrine Rousseau et Yannick Jadot lors d'une conférence de presse, le 12 juillet, à Paris. | Geoffroy Van Der Hasselt / AFPDepuis ce dimanche 19 septembre 2021, les analystes et les éditorialistes de tout poil font part de leur étonnement : dans une primaire écologiste où rien n’était joué, notamment en raison de l’afflux de nouvelles personnes inscrites, le favori Yannick Jadot ne récolte donc qu’un peu plus d’un quart des suffrages exprimés. Le favori, en l’occurrence, était surtout le favori de certains médias : jusque là, à travers ses déclarations, il semblait représenter une écologie lisse et propre, ferme mais polie, compatible avec le capitalisme. Bref, une écologie qui dit bonjour et merci, et qui assortit ses recommandations d’un respectueux « s’il-vous-plaît » lorsque la planète brûle.

Mais les choses ont changé, et les quatre candidats les plus sérieux se sont littéralement attribués, chacun, une part du gâteau écologiste. On saluera d’ailleurs, et cela n’a rien d’accessoire ni d’anecdotique, les campagnes particulièrement brillantes de Delphine Batho et de Sandrine Rousseau : la première a réussi à imposer la décroissance comme thème de campagne, et la seconde parvient à hisser l’écoféminisme au rang des visions politiques légitimes et écoutées. Dans les deux cas de figure, c’est une performance qui doit être saluée : deux femmes ont réussi à disputer le leadership à deux hommes, que l’on imaginait déjà côte à côte (pardon : face à face) au second tour. Petit à petit, la difficulté d’Eric Piolle et de Yannick Jadot à faire face à ces candidates pugnaces, originales dans leur positionnement et particulièrement inspirantes et inspirées, s’est manifestée de débat en débat. Le temps est probablement venu, pour les femmes, de s’imposer comme les représentantes incontestées de l’écologie. Et ce ne serait que justice.

Mais depuis lundi matin 20 septembre, les petites musiques médiatiques ne laissent rien au hasard. De commentaire en éditorial, d’analyse en opinion, on se retrouve avec des discours qui n’ont rien d’innocent. La mise en opposition discursive est particulièrement éloquente :

  • d’un côté, nous avons un Yannick Jadot représenté comme le candidat « rationnel », « crédible », chantre rassurant et capitalisto-compatible de « l’écologie de gouvernement », l’homme qui planifie et veut « porter l’écologie au pouvoir » en « tenant compte de la société actuelle ». Bref, une présentation d’un profil plutôt social-démocrate, comme il y en a déjà eu des dizaines – des profils souvent peu capables de s’imposer dans le débat public, car à force d’être compatible avec le néolibéralisme, les tenants de ce courant préféreront toujours l’original à la copie (et on ne peut pas leur en tenir rigueur, d’ailleurs).
  • de l’autre, Sandrine Rousseau dispose d’un traitement nettement moins tendre : elle est présentée comme « écoféministe », « radicale », cantonnée à une « écologie d’influence » qui « défend les femmes et les racisé.e.s » afin de « peser dans les débats ». Un sous-texte qui décrédibilise ostensiblement la candidate en mobilisant des représentations péjoratives autour de la femme : irrationnelle, irréaliste, incapable de gouverner. Bref, un profil qui serait trop radical, qui effraierait les électeurs, et qui surtout rejoue encore la terrible musique méprisante et discriminatoire de la femme politique qui, face à l’homme politique, ne serait que bien peu de choses.

La question n’est pas tant de connaître les différences entre les candidat.e.s, qui sont par ailleurs relativement faciles à lire et à comprendre, mais plutôt de voir la manière dont ils sont présentés. On oublie ainsi que Yannick Jadot a eu sa période rebelle, en tant qu’activiste radical chez Greenpeace (avec casier judiciaire en prime) : mais on préfère omettre cette information, pour présenter un tout autre portrait de l’eurodéputé. Concernant Sandrine Rousseau, on oublie qu’elle est économiste et qu’à ce titre, étant donné l’aura de crédibilité dont jouissent les économistes sur les chaînes d’info en continu, il ne serait pas injuste qu’on lui prêtât un peu plus de légitimité. Mais lorsque l’on médiatise un portrait politique, on joue sur des représentations et des discours, savamment sélectionnées et structurées pour proposer une image nécessairement déformée d’une personne. En gros, la médiatisation politique constitue un exercice de communication – et, à de maints égards, de mensonge par omission.

En réalité, tout porte à croire qu’une version social-démocrate de l’écologie n’est pas forcément un bon choix : c’était celle qui a donné naissance à la honteuse loi climat sous l’égide de Barbara Pompili, ou bien encore celle qui alimente avec parcimonie les esquisses programmatiques d’une Anne Hidalgo. L’histoire montre souvent, par ailleurs, que ne sont pas forcément les candidats les plus consensuels qui peuvent gagner, mais celles et ceux qui portent un projet clair, affirmé et lisible, avec une vision de la société. Dans le marais centriste qu’est devenu l’espace politique français, avec des programmes de gauche et de droite littéralement interchangeables en raison de leur terreau néolibéral de plus en plus assumé, il n’y a que les voix les plus dissidentes qui attirent le plus – parfois pour de bonnes, parfois pour de mauvaises raisons. L’équilibre et l’inaction n’ont rien de rassurant : c’est à cause de la tranquillité bourgeoise d’un vote par trop timide que le monde est dans l’état dans lequel il est – et que face à un tonitruant changement climatique, nous choisissons d’appuyer sur l’accélérateur en bouchant nos oreilles. Au nom de la tempérance et de la tranquillité, on ne change pas le monde : on le précipite dans le chaos.

A mon humble avis, si les écologistes choisissent un projet consensuel et compatible avec les autres candidatures, ils se trompent et risqueront l’émiettement, voire l’illisibilité, alors que la présidentielle porte sur des thèmes forts et des incarnations. Quel intérêt de voter pour quelqu’un qui portera, peu ou prou, le même programme qu’Anne Hidalgo ou même qu’Emmanuel Macron (qui tentera forcément une opération séduction sur ce thème, malgré son bilan plus que contrasté) ? Ce qui détourne les gens des urnes, ce n’est pas la peur des excès (ça se saurait), mais le manque de projet, d’ambition et d’identification claire. Sandrine Rousseau l’a montré en mobilisant des personnes qui s’étaient éloignées des élections, car ne se sentant plus du tout concerné.e.s par ce qui s’y jouait, incapables d’y distinguer ni projet, ni vision. Elle parvient à rassembler des individus et des communautés qui convergent vers des aspirations sociales, écologiques et économiques fortes.

Cette surprenante primaire montre, au contraire, qu’il faut à mon avis affirmer une vision claire, ainsi que des valeurs qui proposent à la fois une rupture franche et un espoir visible – donc à la fois une intransigeance face aux difficultés, et un horizon enthousiasmant. Il me semble que Sandrine Rousseau propose cette combinaison sur plusieurs terrains, notamment sociaux et économiques. Une telle vision peut permettre de porter l’écologie au-delà du score que les sondages lui promettent, de proposer un espoir pour la société, de nourrir une inspiration concrète pour demain – et de porter une voix forte, stable et audible dans un environnement électoral qui, pour le moment, laisse planer le spectre d’une nauséabonde cacophonie. Notre maison brûle : il y a mille autres choses bien plus importantes à faire que disserter sur les prénoms des gens, les couvertures de magazines en mal de lectorat, et les fantasmes sombres cent fois ressassés d’un pays obsédé par la sécurité. Pourtant, aujourd’hui, la première des insécurités (et de très loin), c’est bel et bien l’insécurité climatique qui commence déjà à mettre notre quotidien en danger.

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