De Guy Môquet à Fatima Bedar, gloire à nos enfants !
17 octobre 2021
- 16 oct. 2021
- Par Fatima Ouassak
- Blog : Le blog de Fatima Ouassak
es crimes racistes dont sont victimes les enfants descendants de l’immigration postcoloniale ont accompagné la naissance de la Vème République, ils sont inhérents aux politiques qui gouvernent les quartiers populaires et les descendants de l’immigration postcoloniale depuis soixante ans.
Fatima Bedar en fut l’une des premières victimes.
Adolescente de quinze ans vivant avec sa famille à Stains en Seine-Saint-Denis, elle est assassinée par la police républicaine.
Le 17 octobre 1961, la jeune Fatima, collégienne aux longues nattes noires, enfant courageuse et déterminée, décide de participer à la manifestation pacifique prévue à Paris pour l’indépendance de l’Algérie et contre le couvre-feu raciste imposé par l’État français aux Nord-Africains.
Ce matin-là, le ton monte entre Fatima et sa mère. Cette dernière veut la dissuader de participer à la manifestation, elle a peur pour elle, elle veut la protéger. Fatima décide d’y aller quand même. Ce 17 octobre 1961, comme des centaines d’autres Algériens et Algériennes, elle est jetée dans la Seine par des policiers, victime de la répression ordonnée par Maurice Papon. Ses parents la cherchent pendant quinze jours dans toute la région parisienne, jusqu’à ce qu’on la retrouve, le 31 octobre, son corps décomposé, coincé dans la turbine d’une écluse du canal Saint-Denis, son cartable d’école sur le dos. La police de Saint-Denis, qui n’a évidemment pas fait d’enquête, conclura alors au suicide.
Voilà de quoi est capable la Vème République : tuer des enfants de sang froid, sans pitié, dans l’indifférence générale de la société française.
Car Fatima Bedar n’a pas été considérée comme une enfant, elle a été désenfantisée, traitée aussi violemment que les immigrés algériens adultes. Combien d’enfants sont morts depuis à cause de cette désenfantisation ? Combien d’enfants ont été tués par la police française en toute impunité ?
L’histoire de Fatima Bedar est le symbole du crime d’Etat qui a eu lieu le 17 octobre 1961. Mais c’est aussi le symbole universel de la résistance à l’injustice.
Cette histoire m’a toujours touchée. Mais encore plus depuis que je suis mère. Elle traduit pour moi le dilemme du parent face à l’enfant déterminé à résister à une injustice.
Qu’on se souvienne de décembre 2018, en plein mouvement des Gilets jaunes et alors que le mouvement lycéen commence à les rejoindre, quand les adolescents sont particulièrement visés par la répression policière. Dès le 2 décembre, beaucoup de jeunes sont mis en garde-à-vue, plusieurs d’entre eux sont blessés et mutilés. Le 6 décembre, à Mantes-La-Jolie, plus de cent cinquante enfants ont été mis à genoux plusieurs heures, puis filmés ainsi par la police elle-même. Ceci pour les humilier publiquement, mais aussi pour faire passer un message aux parents : gardez vos enfants chez vous !
En tant que parents, nous étions alors confrontés à un dilemme : étant donné la violence inouïe de la répression lancée par l’Etat contre nos enfants, doit-on les laisser partir manifester ? Ce qui est clairement attendu de nous, parents, à ce moment-là, c’est de les dissusader de résister, d’exercer leur sens critique, d’exprimer leurs aspirations au changement. Ainsi à Garges-les-Gonesse, le 5 décembre 2018, lorsqu’un adolescent de dix-sept ans est touché au visage par un tir de LBD40 lors d’un rassemblement devant le lycée, ce qui le défigure à vie, l’institution scolaire remet aux parents le soir même un courrier leur demandant d’empêcher leurs enfants de se rendre au lycée le lendemain.
Alors que faire ? Accepter de jouer le jeu de l’institution ou le refuser ? Protéger son enfant en le laissant exprimer sa colère, sa solidarité avec le camarade mutilé et son refus des projets de lois inégalitaires dont il sera plus tard victime ? Ou protéger son enfant en l’empêchant d’aller à un rassemblement où il risque de perdre un œil, une main, ou la vie ? En d’autres termes, aurions-nous empêché Fatima Bedar de se rendre à la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 ?
Évidemment il est difficile de répondre, car nous aimons nos enfants.
Mais de toute façon, nos enfants attendent-ils vraiment notre réponse ?
Guy Môquet a t-il attendu de ne plus être un enfant pour s’engager dans le combat communiste et la résistance au nazisme ?
Juste avant d’être fusillé par les Nazis à Châteaubriant le 22 octobre 1941 après avoir été arrêté par la police française, Guy Môquet écrit une lettre à sa famille, où il s’adresse en particulier à sa mère.
« Ma petite maman chérie,
mon tout petit frère adoré,
mon petit papa aimé,
Je vais mourir!
Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi.
Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. »
Guy Môquet est mort en France, en résistant.
Gloire à lui car sa mort a « servi à quelque chose ». Il est mort pour nous tous et toutes, pour nous libérer, pour protéger nos libertés fondamentales. Nous avons une dette envers lui.
Fatima Bedar est elle aussi morte en France, en résistante.
Gloire à elle car sa mort a « servi à quelque chose ». Elle est morte pour nous tous et toutes, pour nous libérer, pour protéger nos libertés fondamentales. Nous avons une dette envers elle.
Gloire à nos enfants qui résistent face à l’injustice.
PS : Rdv ce dimanche 17 octobre 2021 à 16h à Verdragon (Maison de l’écologie populaire de Bagnolet, 14 rue de l’Epine Prolongée) pour la commémoration des massacres du 17 octobre 1961, autour du récit au son du bendir de femmes témoins du massacre, et autour de l’histoire de Fatima Bedar.