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25 avril 2024

Libérer un fils Kadhafi : le projet fou au service de Sarkozy MEDIAPART


 

Libérer un fils Kadhafi : le projet fou au service de Sarkozy MEDIAPART – 4 novembre 2021 Par Fabrice Arfi, Karl Laske et Antton RougetLe Parquet national financier (PNF) a élargi le champ de l’affaire Mimi Marchand/Takieddine à des soupçons de corruption de magistrats au Liban. Le but : faire libérer l’un des fils Kadhafi, afin que la famille de l’ancien dictateur libyen dédouane Nicolas Sarkozy.L’histoire de la fausse rétractation de Takieddine dans l’affaire des financements libyens prend une nouvelle ampleur judiciaire. Le dossier tournait jusqu’ici autour de soupçons de « subornation de témoin » et d’ « association de malfaiteurs » en lien avec les déclarations de l’intermédiaire Ziad Takieddine en faveur de Nicolas Sarkozy, que la justice suspecte d’avoir été monnayées par des proches de l’ancien président français.Il est en train de déboucher sur un possible scandale international.Selon les informations de Mediapart, le Parquet national financier (PNF) a élargi, le 14 septembre, le champ des investigations à deux nouveaux délits, et non des moindres : la corruption, passive et active, de personnel judiciaire d’un État étranger.D’après des éléments récemment découverts par l’enquête, plusieurs personnes déjà mises en cause dans le volet Takieddine du dossier sont en effet suspectées d’avoir pris part à un projet fou : faire sortir de prison Hannibal Kadhafi, l’un des fils de l’ancien dictateur libyen, moyennant le paiement de magistrats au Liban, où il est incarcéré.Le but ? Obtenir de lui, en contrepartie, des déclarations d’innocence au profit de Nicolas Sarkozy.Des messages de la femme d’affaires Michèle Marchand, surnommée « Mimi », patronne de l’agence de paparazzis Bestimage et intime des couples Sarkozy et Macron, semblent indiquer que Nicolas Sarkozy était informé du projet de libération de Hannibal Kadhafi.Mais au-delà de ce nouveau front judiciaire qui s’ouvre, les investigations ont également considérablement progressé sur l’un de ses aspects les plus cruciaux : le financement des différentes étapes de la rétractation de Ziad Takieddine au profit de l’ancien chef d’État français.Mediapart fait le point sur les avancées d’une enquête explosive.

  • I. Libérer un fils Kadhafi pour Sarkozy : les secrets de l’opération Hannibal

Tout est parti de la découverte d’une série de messages confidentiels entre deux hommes, Noël Dubus, l’un des architectes de l’opération Takieddine, et un certain Ali S., présenté par Dubus comme un général du renseignement libanais, fils d’un membre éminent du Hezbollah.Déjà impliqué dans la rétractation de Ziad Takieddine, Ali S. a ensuite été mobilisé pour une seconde opération autrement plus périlleuse visant, là encore, à affaiblir l’accusation dans l’affaire des financements libyens de Nicolas Sarkozy.Fin 2020, Noël Dubus s’est en effet mis en tête de faire libérer Hannibal Kadhafi, l’un des fils de l’ancien dictateur libyen, actuellement en détention au Liban. En échange de quoi l’intermédiaire français, en contact avec la famille Kadhafi en Égypte et en Tunisie, comptait obtenir des déclarations visant notamment à expliquer qu’un document révélé par Mediapart en 2012 sur la promesse de financement libyen de la campagne Sarkozy était un faux, bien que les tribunaux français aient définitivement jugé du contraire.Restait donc à faire libérer Hannibal Kadhafi pour enclencher la machine. Noël Dubus a organisé le paiement de juges libanais avec Ali S., selon des échanges de messages entre les deux hommes. « Aux alentours du mois de mai 2021, Noël Dubus, avec qui je travaille sur le dossier libyen “Hannibal Kadhafi”, a eu besoin de 100 000 euros pour payer des juges au Liban », a d’ailleurs admis devant des policiers la communicante Anne Testuz, proche de Noël Dubus, avant de rectifier en parlant ensuite de frais d’avocats.Contacté, l’avocat de l’intermédiaire français n’a pas répondu à ce stade à notre sollicitation. Devant les enquêteurs, son client avait expliqué que les fonds étaient destinés à payer la défense de Hannibal Kadhafi.Un plan présenté par Noël Dubus prévoit notamment de verser la somme de « 350 000 euros + 250 000 euros pour le juge », lorsqu’il « confirmera la libération de Hannibal par une caution ».Le 30 décembre 2020, Ali S. explique à Noël Dubus qu’« aujourd’hui, [il] a rencontré le juge pour le saluer. Il m’a interrogé sur notre ami libyen qui est en prison ». « Dans un premier temps, je dois le voir en prison », précise Noël Dubus, en ajoutant : « Après ce sera plus facile car la famille [Kadhafi] me fera confiance. » Alors qu’Ali S. lui demande de venir au Liban, Noël Dubus effectue deux voyages sur place du 27 janvier au 3 février, puis du 7 au 10 février.Pendant ces déplacements, l’intermédiaire rend compte de certains de ses rendez-vous à Hamadi M., présenté comme le directeur du protocole de l’ambassade libyenne à Paris. C’est lui qui met en contact Noël Dubus avec la famille Kadhafi, a indiqué aux enquêteurs une ex-assistante de Dubus.En novembre 2020, déjà, Noël Dubus lui avait envoyé une copie du document libyen publié par Mediapart en 2012, avant de le tenir informé de l’opération Takieddine dans Paris Match.Dans ses échanges avec Noël Dubus, Hamadi M. parle d’un « client », en lien avec un « correspondant » à Tunis, qui attend l’évolution du dossier Hannibal avec « impatience ». Visiblement méfiant, il doute parfois de la capacité de son interlocuteur à parvenir à ses fins, et rappelle qu’il joue sa « crédibilité » sur ce coup. « Tu sais que c’est très sensible », le prévient-il, le 26 janvier.Pour préciser les choses, Noël Dubus lui envoie, le 22 février, un document intitulé « Dossier Hannibal », élaboré « après discussions avec les personnes concernées ».Le plan prévoit notamment de verser la somme de « 350 000 euros + 250 000 euros pour le juge », lorsqu’il « confirmera la libération de Hannibal par une caution ». Ce à quoi devront s’ajouter, dans les 48 heures suivant la libération, « 500 000 euros pour un haut responsable de la Cour suprême de justice », ainsi que « 80 000 euros » afin de « clôturer » un autre dossier visant Hannibal Kadhafi, indique Noël Dubus. Il explique qu’il attend alors l’« accord » d’un membre de la famille Kadhafi.Le 28 février, Ali S. confirme à Noël Dubus avoir « rencontré le procureur général », « il m’a demandé ce qui s’est passé avec vous concernant le travail ». Le 11 mars, Ali S. relance l’intermédiaire français : « Bonsoir, monsieur Noël, pourriez-vous me donner la décision finale concernant M. Hany ? » Dubus répond dans la foulée : « Nous allons le sortir grâce à toi. » « J’espère que tout ira bien », poursuit Ali S., expliquant toutefois être « gêné avec le chef du Conseil supérieur de la magistrature ».L’affaire prend du retard, en raison notamment de la « rotation des juges » sur place, prévient Ali S., le 30 mars. Mais à cette date, Noël Dubus et son acolyte libanais fomentent un autre coup : l’incarcération au Liban de Ziad Takieddine, avec qui les relations semblent s’être rafraîchies. Après l’opération Paris Match  à la fin de l’année 2020, M. Takieddine s’était vu promettre des financements en millions d’euros, qu’il n’a finalement jamais vus arriver.« Ziad, il entrera dans la cage au cours de cette semaine », explique ainsi Ali S. à Noël Dubus, le 30 mars. Deux jours plus tard, l’agent libanais se fait plus précis : « Lundi [5 avril] est un jour férié [lundi de Pâques], il va à la police, et mardi, il sera à l’intérieur de la prison. » Le 6 avril, à 14 h 56, Ali S. confirme : « Ziad est entré dans la cage. Félicitations cher monsieur. » « Bravo !!!! », le félicite Noël Dubus, dans la minute. Ziad Takieddine a bien été incarcéré à cette période, sur des bases judiciaires inconnues à ce jour.Ce dossier bouclé, Ali S. revient sur le fils Kadhafi : « Demain, je rencontrerai le procureur général… Y a-t-il du nouveau dans le dossier Hannibal ? », demande-t-il. « La famille est OK », répond Noël Dubus.Mais le 19 avril, Ali S. fait part d’un problème : « Nous devons travailler le plus tôt possible sur le dossier Hannibal avant de changer le nouveau système judiciaire. Cela pourrait arriver bientôt. » Deux jours plus tôt, en effet, la ministre de la justice par intérim Marie-Claude Najm s’est publiquement insurgée, après une nouvelle affaire mettant en cause l’instrumentalisation de la magistrature libanaise, contre ce « pouvoir judiciaire (…) incapable de lutter contre la corruption ».« Semaine prochaine tu pourras régler le second juge. Et ensuite préparer l’audience de libération pour Hannibal », promet Noël Dubus, même s’il rencontre quelques difficultés à réunir les fonds en France.Le 15 mai, Noël Dubus relance Ali S. : « On peut donner plus au juge. Exemple 60 dans les jours à venir + 20 quand on sera au Liban + 60 la veille de sa libération. »Dans les bureaux de Bestimage, Mimi Marchand suit de près l’évolution du dossier du fils Kadhafi, selon des éléments réunis par les enquêteurs. Le 18 mai, alors que Noël Dubus lui écrit qu’il a vu Hannibal et qu’il est de « retour demain », Mimi Marchand répond : « Quoi ??? Déjà ? (…) Je croyais que tu le voyais deux fois. » « Non, je t’ai dit le 18 et le 27 », précise Noël Dubus. « Bon… », rétorque la patronne de l’agence de paparazzis.Le 27 mai, alors que Noël Dubus est de nouveau à Beyrouth, Mimi Marchand se montre dubitative, en impliquant de fait Nicolas Sarkozy dans ce volet de l’histoire. « Il a, pour la première fois, été moyen aimable le Z [Zébulon, surnom donné à Nicolas Sarkozy — ndlr]… me faisant entendre que ça marchera pas… qu’ils paieront pas les K [Kadhafi — ndlr]… et que c’est trop long là… je l’ai vu 30 minutes. Agacé ! Tu comprends ce que je veux dire !!! », écrit-elle. « Il a tort », répond Noël Dubus. « Oui, je sais mais je manque d’arguments ! », ajoute Mimi Marchand.Questionnée sur la teneur de ce message particulièrement embarrassant, Mimi Marchand a expliqué aux juges d’instruction qu’elle avait « men[ti] complètement » à Noël Dubus, « je suis en train de le tester et je m’aperçois que c’est un escroc ». La matérialité des visites de Noël Dubus à Hannibal Kadhafi n’est pas établie à ce stade, de même que les diligences d’Ali S. auprès des services judiciaires pour obtenir un permis de visite. Ces points sont au cœur de l’enquête de juges.La patronne de Bestimage continue pourtant à échanger avec l’intermédiaire français. Le 1er juin, alors qu’il accompagne une délégation officielle libyenne à Paris, elle lui demande : « Tu es avec eux ou c’est [Hamadi M.] », le directeur du protocole de l’ambassade, qu’elle semble donc connaître. Noël Dubus répond qu’il est aussi sur place. « Mais démerde-toi pour tu sois sur une photo !!! », réplique Mimi Marchand. « Pour Z ! [Sarkozy – ndlr] »Invitée à commenter ces échanges, Mimi Marchand a expliqué qu’elle était seulement « rentrée » dans le « jeu » de Noël Dubus, « je vais à fond dans ses mensonges ».

  • II. Takieddine et Hannibal : le puzzle du financement prend forme

Au centre de tout, il y a l’argent. Sans lui, pas d’opération Takieddine. Pas d’opération Hannibal Kadhafi. Depuis plusieurs mois d’investigation, les policiers de l’Office anti-corruption (OCLCIFF), sous la direction des juges d’instruction Vincent Lemonier et Dominique Blanc, tentent de reconstituer le Meccano financier qui a permis d’abonder toutes les démarches de Noël Dubus et de Mimi Marchand au profit de Nicolas Sarkozy dans l’affaire libyenne.Au fil des mises en cause judiciaires qui s’accumulent, le puzzle prend forme. Il est composé de pièces éparses, multiples, parfois complexes : des valises de cash, des virements Western Union, des fausses factures et des sociétés pour faire écran…D’après le soupçon judiciaire, Noël Dubus et Michèle Marchand sont omniprésents dans les schémas de financement de ces opérations qui visent à soutenir la défense de Nicolas Sarkozy, en fragilisant le dossier libyen, et en accusant la justice française de l’avoir manipulé — ni Mimi Marchand ni Noël Dubus n’ont fait de commentaire auprès de Mediapart à ce stade. De nombreux échanges de textos entre Dubus et Villesbrunne, interceptés par les enquêteurs, montrent aujourd’hui que les deux hommes ont mis sur un pied un système de factures de « complaisance ».Pour mener à bien ce dessein, de nombreux canaux ont été mis en place.Plusieurs personnes de l’entourage de Noël Dubus ont d’abord viré à partir de l’automne 2020 des mandats Western Union au Liban pour le compte de Takieddine ou de gens œuvrant à la défense de ses intérêts.Les sommes, envoyées par six personnes différentes jusqu’au mois d’avril 2021, dépassent les 50 000 euros, d’après une synthèse policière. Elles servent à financer un avocat de Takieddine au Liban et, un peu, Takieddine lui-même, mais surtout, d’après le soupçon judiciaire, à faire patienter l’accusateur de Sarkozy à qui des sommes bien plus importantes — en millions d’euros cette fois — ont été promises avant sa rétractation surprise.  Outre cette première source de financement, un homme paraît jouer un rôle clé dans le montage financier de toute l’opération pilotée par Noël Dubus. Il s’agit du publiciste Arnaud de la Villesbrunne, ancien dirigeant de l’agence de communication Publics, qui avait notamment travaillé pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012.Arnaud de la Villesbrunne, qui est mis en examen, est soupçonné d’avoir laissé sa société A&Co être utilisée comme paravent pour toutes les manœuvres de Dubus au Liban liées à la rétractation de Takieddine et à la tentative de libération de Hannibal Kadhafi. Arnaud de la Villesbrunne est présumé innocent et son avocat n’a pas donné suite aux sollicitations de Mediapart pour cet article. De nombreux échanges de textos entre Dubus et Villesbrunne, interceptés par les enquêteurs, montrent aujourd’hui que les deux hommes ont mis sur un pied un système de factures de « complaisance », selon l’expression des juges, notamment auprès de l’agence de Mimi Marchand pour trouver une justification comptable à la rémunération des activités libanaises de Dubus au profit de Sarkozy.Cela a pu parfois donner lieu à des scènes cocasses. Fin 2020, réfléchissant à l’intitulé des factures que Villesbrunne et Dubus vont envoyer à Mimi Marchand, les deux hommes évoquent dans un premier temps une prestation (inexistante, donc) pour le festival du film fantastique d’Avoriaz (Haute-Savoie). Mais réalisant que celui-ci n’existe plus, l’intitulé de la facture change : il est désormais question du festival du film fantastique de Gérardmer (Vosges). Encore raté. Après un message de Mimi Marchand, la facture est de nouveau modifiée et vise désormais une prestation pour… les jeux Olympiques de Paris 2024.Les différentes étapes de la rétractation de Takieddine sont suivies minute par minute. Ainsi, le 11 novembre, à la veille de la parution de Paris Match, qui orchestre médiatiquement avec BFM-TV dès le soir même le changement de pied de l’intermédiaire dans l’affaire Sarkozy-Kadhafi, Villesbrunne exulte dans un message envoyé à Dubus : « En tout cas, tu voulais que cela fasse l’effet d’une bombe ! C’est réussi. Encore bravo. » Et, parlant de Nicolas Sarkozy, qui a été mis en examen un mois plus tôt pour « association de malfaiteurs » dans le dossier libyen, il ajoute : « Et je pense que cela va vraiment l’aider. Si en plus tu arrives à gérer les autres éléments…, il sera définitivement sorti d’affaire. »Les « autres éléments » dont il est question sont aujourd’hui connus des juges. Le premier concerne la rétractation par écrit de Takieddine, afin de confirmer les termes de son interview à Paris Match devant un notaire de Beyrouth. Le second est la tentative de libération de Hannibal Kadhafi, moyennant la corruption de juges au Liban, pour que le fils de l’ancien dictateur libyen affirme notamment que les informations de Mediapart dans l’affaire Sarkozy-Kadhafi étaient fausses.En ce qui concerne les aveux écrits de Takieddine, qui, eux aussi, ont fait les gorges chaudes de Paris Match fin décembre 2020, les policiers et les juges ont découvert un certain nombre d’éléments qui les ont amenés à mettre en cause récemment un influent entrepreneur du numérique, David Layani.L’homme, qui gravite dans l’entourage de Nicolas Sarkozy comme d’Emmanuel Macron, est soupçonné d’avoir versé 72 000 euros à l’agence de Mimi Marchand pour une prestation qui ne sera jamais exécutée (à cause du Covid puis de l’incarcération de Mimi Marchand, selon sa défense). Problème : plus de la moitié des fonds ont, d’après l’enquête, permis de rémunérer par la suite une partie des activités de Noël Dubus pour le compte de Sarkozy.Mis en examen pour « subornation de témoin » et « association de malfaiteurs », David Layani a démenti durant sa garde à vue toute malversation dans cette affaire. Les juges et les policiers semblent toutefois avoir estimé que les faits et, surtout, leur chronologie ne plaident pas en sa faveur, l’intervention de David Layani pouvant être liée au financement des aveux écrits de Takieddine.Durant ses interrogatoires, David Layani a reconnu avoir rencontré à son domicile dans le courant de l’année 2020 Mimi Marchand et Noël Dubus — un débat semble avoir lieu sur la date exacte de cette rencontre. Une chose est certaine, en revanche : la société de Layani, Onepoint, signe un contrat avec Mimi Marchand le 4 décembre ; puis envoie 72 000 euros à sa société Bestimage dès le 8 ; le lendemain, Dubus s’envole pour le Liban où il s’apprête à piloter les aveux écrits de Takieddine.L’opération semble avoir été d’ailleurs source de tensions entre Mimi Marchand et Noël Dubus, la première mettant une certaine pression sur le second pour réussir sa mission. Au moins deux messages, au-delà des témoignages concordants, en attestent. Le premier a été envoyé par Noël Dubus à un certain Thomas Nlend (également mis en examen), proche de David Layani. « Dis à David qu’il rassure Inès [pour “NS”, comprendre Nicolas Sarkozy – ndlr] et que Mimi nous laisse faire et qu’elle arrête de nous prendre la tête », lance Dubus.Le second message est envoyé par Mimi Marchand elle-même, deux jours plus tard, le 10 décembre. Elle semble ne plus croire à cet instant au succès de la mission de Dubus et prouve par son texto que Nicolas Sarkozy, qu’elle surnomme « Zébulon », suit l’opération de près. « Je ne peux même pas expliquer ça à Zébulon », dit-elle, avant d’ajouter : « Je renvoie l’argent à David demain matin », semblant donc elle-même lier les fonds versés par David Layani au financement des aveux écrits de Takieddine. Cette impression est renforcée par le fait que, dans d’autres documents, Dubus et Villesbrunne associent la même somme de 72 000 euros à un certain… « Zébulon ».Aucune somme ne sera finalement restituée par Mimi Marchand à David Layani. D’après l’enquête judiciaire, cela s’explique aisément. Le succès est en effet total au Liban : Ziad Takieddine a bien signé devant notaire des aveux écrits, confirmant sa (fausse) rétractation du mois précédent. Et le tout fait de nouveau les choux gras de Paris Match qui, sous la plume de son ancien directeur, Hervé Gattegno, signe un article sous le titre : « Exclusif : Takieddine accuse ses juges ».Une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP) sur la rétractation écrite de Takieddine, reprenant le “scoop” de Paris Match, sera d’ailleurs envoyée par mail par Mimi Marchand à Carla Bruni-Sarkozy le 24 décembre, avec ce doux mot d’accompagnement : « Joyeux Noël… »  Devant le juge d’instruction qui l’a mis en examen, David Layani a déclaré avoir au final le « sentiment d’avoir été un peu dépassé et un peu débordé par une affaire et des gens, au demeurant, semblant les uns les autres assez fascinants », en démentant tout acte répréhensible. Son avocat, Me Mathias Chichportich, a indiqué que « M. Layani n’a jamais rencontré M. Dubus avec Mme Marchand avant la signature du contrat ». « Quant aux conversations entre les acteurs de cette affaire et aux déclarations des uns ou des autres, elles n’engagent pas mon client, ne sont suivies d’aucun échange avec lui, et n’entraînent aucun acte de sa part », ajoute-t-il.Dernière source de financement présumée identifiée par les juges : les fonds qui auraient dû servir à la libération de Hannibal Kadhafi au Liban. Un autre acteur du dossier, également mis en examen, a joué un rôle primordial, selon l’enquête. Il s’appelle Pierre Reynaud, un homme d’affaires qui aime revendiquer une proximité avec Nicolas Sarkozy et une amitié avec l’intermédiaire Alexandre Djouhri (l’un des protagonistes clés de l’affaire libyenne…).Déjà mis en examen pour avoir mobilisé des fonds (320 000 euros) issus de l’une de ses sociétés dans les paradis fiscaux pour le compte du duo Dubus/Villesbrunne, Pierre Reynaud est également soupçonné d’avoir fait livrer, en mai dernier, 100 000 euros en cash à Noël Dubus, par l’intermédiaire de la communicante Anne Testuz, proche du clan Kadhafi.Cette dernière, placée en garde à vue, a elle-même reconnu avoir versé personnellement de l’argent au Liban (15 000 euros) en lien avec Hannibal Kadhafi, somme qui lui a ensuite été “remboursée” par la société de Mimi Marchand via une nouvelle fausse facture, d’après l’enquête. Contactée par Mediapart, Anne Testuz n’a pas donné suite.Quant aux 100 000 euros de Pierre Reynaud qui lui ont été livrés le 20 mai dernier — empaquetés par liasses de 5 000 et 10 000 euros —, ils ont été immédiatement livrés à Dubus dans des sacs Chanel. Les espèces auraient été ensuite convoyées en Allemagne pour être données au frère d’Ali S., l’agent libanais chargé de payer des juges à Beyrouth. Selon son avocat, Me Lantourne, Pierre Reynaud n’aurait servi que d’intermédiaire dans ce versement d’espèces. Reynaud a été écroué à la maison d’arrêt de la Santé, le 14 octobre, à la suite des pressions exercées sur Anne Testuz pour se faire rembourser les fonds.Fin mai, Mimi Marchand, manifestement impatiente, avait appelé son ami Marc-Olivier Fogiel, le directeur de BFM-TV, pour lui annoncer qu’elle s’apprêtait à obtenir des informations « 12 fois béton » sur l’innocence de Sarkozy dans l’affaire libyenne, d’après une conversation téléphonique interceptée par les policiers.Mais rien de tout cela ne verra le jour. Début juin, Mimi Marchand, Noël Dubus, Arnaud de la Villesbrunne et Pierre Reynaud sont interpellés dans ce dossier, qualifié d’une « gravité majeure » par les juges d’instruction.Dans une synthèse d’enquête datée du 29 septembre dernier, les magistrats assimilent ainsi cette affaire à une « entreprise visant à influencer les déclarations d’un témoin et à tromper voire décrédibiliser publiquement les magistrats instructeurs en charge d’une affaire d’une grande sensibilité dans le cadre de laquelle M. Sarkozy est notamment suspecté d’avoir reçu des fonds de la part du régime libyen ».Au bout du compte, ce qui devait sauver Nicolas Sarkozy a tourné au fiasco intégral

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