Un homme pleure pendant les funérailles collectives des 10 membres d’une famille tués
par une frappe de drone américaine, à Kaboul, en Afghanistan, le 30 août 2021.
Photo : Marcus Yam/Los Angeles Times via Getty Images

Par Jeremy Scahill

 

Un rapport du Pentagone considère le meurtre d’une famille afghane comme une simple bavure – et confirme la tradition américaine qui consiste à justifier les crimes de guerre.

Source : The Intercept, Jeremy Scahill
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Après l’attaque terroriste contre l’aéroport de Kaboul, la capitale de l’Afghanistan, qui a tué plus de 170 civils afghans et 13 soldats américains, le président Joe Biden a lancé un avertissement aux combattants de l’État islamique. « Nous vous pourchasserons et vous ferons payer », a-t-il déclaré le 26 août. Trois jours plus tard, Joe Biden a autorisé une attaque de drone qui, selon les États-Unis, a éliminé une cellule dangereuse de combattants de l’Etat islamique (EI) qui avaient l’intention d’organiser une nouvelle attaque contre l’aéroport de Kaboul.

Biden a présenté cette frappe, ainsi qu’une autre le jour précédent, comme la preuve de son engagement à combattre les terroristes en Afghanistan, alors même qu’il déclarait mettre fin à une guerre qui dure depuis 20 ans dans ce pays. « Nous avons frappé l’EI-K à distance, quelques jours après qu’ils aient assassiné 13 de nos militaires et des dizaines d’Afghans innocents », a-t-il déclaré dans un discours à la Maison-Blanche. « Et je m’adresse à l’EI-K : Nous n’en avons pas encore fini avec vous. »

Mais la frappe de Kaboul, qui visait une Toyota Corolla blanche, n’a tué aucun membre de l’EI. Les victimes étaient 10 civils, dont sept enfants. Le conducteur de la voiture, Zemari Ahmadi, était un employé respecté d’une organisation humanitaire américaine. À la suite d’une enquête du New York Times qui a complètement dévoilé le mensonge de la version américaine des événements, le Pentagone et la Maison Blanche ont admis avoir tué des civils innocents, en parlant d’une « horrible tragédie de guerre. »

Cette semaine, le Pentagone a publié un résumé de son rapport confidentiel au sujet de cette attaque, qu’il avait initialement saluée comme une « frappe courageuse et justifiée » ayant permis de déjouer un complot terroriste imminent. Les résultats étaient prévisibles. Le rapport recommande qu’aucun membre du personnel ne soit tenu pour responsable du meurtre de dix civils ; il n’y a pas eu de « négligence à caractère criminel », comme le souligne le rapport. Le fait que l’armée américaine ait passé huit heures à surveiller les « cibles », qu’il était possible d’observer un enfant sur les propres images filmées par celle-ci quelques minutes avant l’attaque – tout cela a été balayé comme étant un moment de confusion de temps de guerre. Les opérateurs qui ont mené l’attaque « croyaient sincèrement qu’il y avait une menace imminente pour les forces américaines », a affirmé l’inspecteur général de l’armée de l’Air, le lieutenant-général Sami D. Said.

Ils ont fait une erreur, a-t-il dit, ils n’ont pas commis un crime.

Les États-Unis ont promis de dédommager les survivants de l’attaque par drone. Cela fait partie d’une longue tradition américaine consistant à considérer les nombreux meurtres de civils commis dans le cadre de la soi-disant guerre contre le terrorisme comme des erreurs involontaires faites dans le cadre de la recherche de la paix et de la sécurité. Le général qui a conduit l’enquête dit avoir formulé des recommandations sur la manière de modifier les opérations de frappes ciblées afin de limiter le risque d’autres erreurs involontaires (comme le Pentagone les qualifie) qui anéantissent des familles entières.

Rien de tout cela n’est nouveau. C’est un cycle qui est passé à la vitesse supérieure sous la présidence de Barack Obama (alors que Biden était vice-président), qui s’est poursuivi sous la présidence de Donald Trump et qui ne faiblit pas sous l’ère Biden.

Alors que le Pentagone s’absout de ce crime, l’administration Biden poursuit sa persécution des lanceurs d’alerte qui ont dévoilé ce système de meurtre d’innocents. Daniel Hale, un vétéran de l’armée qui a plaidé coupable pour la divulgation de documents classifiés ayant révélé des faiblesses meurtrières dans le programme de drones, purge une peine de quatre ans de prison. (Les procureurs ont déclaré que ces documents ont servi de base à The Drone Papers, une série d’articles d’investigation publiés par The Intercept). Entre autres révélations, les documents de Hale ont montré que sur dix victimes de frappes de drones américains en Afghanistan, 9 d’entre elles n’étaient pas les cibles visées. Dans la récente frappe de drone de Biden, 10 victimes sur 10 étaient des civils innocents.

Alors que pendant le mandat de Trump Hale était inculpé en vertu de la loi sur l’espionnage, c’est un esprit de vengeance qui anime le ministère de la Justice de Biden. En octobre, Hale a été inexplicablement transféré dans une « unité de gestion des communications » (CMU) au pénitencier américain de Marion, dans le sud de l’Illinois. Les CMU sont utilisées pour limiter sévèrement la capacité d’un prisonnier à communiquer avec le monde extérieur, le soumettre à des périodes d’isolement extrêmes et permettre une surveillance accrue de ses communications et des visites qu’il reçoit. Les CMU sont régulièrement qualifiées « d’unités terroristes. »

Alors que la montagne de mensonges du Pentagone sur l’attaque par drone du mois d’août en Afghanistan s’écroulait, l’administration Biden a poursuivi ses efforts pour faire extrader le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, détenu au Royaume-Uni, pour avoir publié des preuves de crimes de guerre commis par les États-Unis. L’administration Biden a fait ainsi clairement comprendre qu’elle maintiendrait la longue tradition américaine consistant à disculper ses tueurs et à punir ceux qui les dénoncent.

Source : The Intercept, Jeremy Scahill, 05-11-2021

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
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