Si Assange avait révélé des crimes chinois ou russes il serait prix Nobel
11 décembre 2021
Si Assange avait révélé des crimes chinois ou russes et non américains, il serait Prix Nobelpar lecridespeuples |
Par George Galloway
George Galloway a été membre du Parlement britannique pendant près de 30 ans. Il présente des émissions de télévision et de radio (y compris sur RT). C’est un cinéaste, écrivain et orateur de renom.
Source : RT, 10 décembre 2021
Traduction : lecridespeuples.fr
Si Julian Assange était un journaliste et éditeur chinois, il aurait reçu le prix Nobel, serait la pièce maîtresse de la Journée internationale des droits de l’homme célébrée ce 10 décembre, et cette semaine, son portrait aurait figuré en proue du sommet sur la démocratie du Président Joe Biden.
Le nom d’Assange aurait été le premier sur la liste du secrétaire d’État américain Antony Blinken de 350 journalistes menacés, publiée, sans ironie, le jour où son administration a cherché à extrader Assange pour qu’il soit incardcéré 175 ans dans une super-prison de très haute sécurité.
Si des crimes chinois [ou russes] plutôt que des crimes américains avaient été révélés par Assange, il serait désormais l’affiche de la campagne de boycott des Jeux olympiques d’hiver qui doivent se tenir à Pékin en février 2022.
Chaque bulletin d’information d’aujourd’hui commencerait en rappelant son triste sort, chaque presse encore tournante aurait déploré avec indignation l’écrasement de ce papillon supplicié sur la roue.
Pauvre Julian, si seulement il était né Chinois.
Son « crime », cependant, est d’avoir dénoncé, entre autres, les crimes de guerre des États-Unis en Irak, y compris des assassinats et plus de 15 000 morts non signalées de civils ; la torture d’hommes et de garçons âgés de 14 à 89 ans, à Guantanamo ; le fait que les États-Unis espionnent illégalement les secrétaires généraux de l’ONU et d’autres diplomates ; le coup d’État militaire initié par la CIA au Honduras en 2009 ; et la guerre secrète des États-Unis contre le Yémen au cours de laquelle des dizaines de milliers de personnes ont été tuées.
Dans toute sa splendeur à perruque, la Haute Cour de Londres vient de porter un coup mortel, non seulement aux fragments, aux lambeaux, de la justice britannique, mais ils ont assassiné le journalisme lui-même. Et, étant donné que le quatrième pouvoir, en théorie, est une sentinelle de la démocratie elle-même, ils ont tué le prétexte que le Royaume-Uni est même une démocratie. Pendant toute la semaine, ces « démocraties » auto-proclamées ont masturbé leur supériorité sur les autres.
L’affaire Assange aurait dû s’effondrer au premier obstacle, sans parler des dizaines d’obstacles surgis depuis. Au vu même du traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis, il est spécifiquement exclu qu’une personne puisse être extradée de l’un à l’autre pour faire face à des accusations politiques.
Ironiquement, c’était pour que les États-Unis puissent protéger la possibilité que des fugitifs irlandais républicains aux États-Unis soient extradés pour faire face à des accusations politiques en Grande-Bretagne. Aucun Président américain – même Obama – n’est sans un lointain ancêtre irlandais perdu depuis longtemps. Avec 30 millions de votes irlandais américains en jeu, aucun risque ne pouvait être pris avec des criminels politiques présumés.
Lorsque j’ai personnellement défié le ministre de l’Intérieur de l’époque, David Blunkett, qui a secrètement conclu le traité, sur la possibilité que de nouveaux Nelson Mandela soient envoyés pour faire face à des accusations politiques, il m’a personnellement assuré que rien de tel ne pourrait jamais arriver.
Des assurances désormais aussi élimées qu’une tapisserie médiévale de la Chambre des Lords.
Des violations flagrantes presque innombrables de la procédure régulière auraient dû tuer la moindre chance d’extradition d’Assange. Permettez-moi d’en souligner trois.
Une fois qu’il est apparu que le gouvernement américain avait enregistré secrètement sur vidéo chaque rencontre juridique entre Julian Assange et ses avocats compétents et éminents pendant plusieurs années, l’affaire aurait dû être rejetée par tout juge qui se respecte, dans n’importe quelle démocratie.
Une fois qu’il est apparu que le témoin clé contre Assange était un voleur islandais, un fraudeur et un menteur condamné pour pédophilie, qui admet en outre maintenant librement que son témoignage (sur lequel les accusations sont basées) était un paquet de mensonges, tout vrai juge se serait prononcé contre le gouvernement américain. .
Et une fois qu’il est apparu que le gouvernement américain avait élaboré des plans minutieux pour kidnapper Assange à Londres et, si nécessaire, l’assassiner devant Harrods dans les rues autour de l’ambassade équatorienne, la valeur de toute « assurance » américaine sur ce qui arriverait à Assange a touché le fond. On ne pouvait pas s’y fier. Et l’extradition ne pouvait pas être approuvée.
Cependant, les presses à imprimer ne roulent pas pour Assange, qui est tranquillement tué dans la prison de Belmarsh.
Les « journalistes » occidentaux, à la manière des hôtesses de l’air, payés grassement pour leurs compétences en lecture de prompteurs, se taisent sur son sort et sur le sort de leur « métier ». Ils savent que si cela arrive à Assange, cela pourrait leur arriver, mais, comme la flèche qui vole dans la nuit, ils ont eux-mêmes tué il y a longtemps cette possibilité. Il n’y aura pas de matin heureux et confiant pour eux. Seulement de la servitude et des pièces d’argent.
Et c’est ainsi que le mastodonte américain écrase une nouvelle fois la justice dans un quasi-silence. C’est ce qui se passe quand on broie un papillon en le suppliciant sur la roue. Personne ne peut l’entendre crier.
***
En France, Le Monde et Mediapart sont de beaux exemples de cette fausse gauche atlantiste, qui a soutenu les groupes terroristes en Syrie (en les présentant comme des « rebelles », démocrates ou autres), diffamé Assange et porte le folliculaire Navalny aux nues. Cf. par exemple cet éditorial du Monde suite à l’arrestation d’Assange et à son inculpation par les Etats-Unis, développements qui lui donnaient entièrement raison : au lieu de faire son mea culpa, Le Monde s’enfonce ignominieusement :
« Julian Assange est un justiciable comme les autres. Ses démêlés avec la police ont commencé parce qu’il a refusé de se rendre à une convocation de la police suédoise qui souhaitait l’entendre après les plaintes de deux femmes pour agression sexuelle, au motif fantaisiste, à l’époque, qu’il craignait que la Suède ne le livre à la CIA. Il a eu tort de refuser de s’expliquer sur ces graves accusations. »
Comme l’établit le rapporteur de l’ONU sur la torture, Nils MELZER, lorsqu’il était réfugié à Londres, la Suède a refusé d’interroger Assange à l’ambassade d’Equateur ou via vidéo (alors que durant la même période, de tels interrogatoires de suspects entre la Suède et l’Angleterre ont eu lieu dans 44 autres cas) et de lui garantir qu’il ne serait pas extradé :
« Assange n’a pas cherché à se cacher de la justice. Par l’intermédiaire de son avocat suédois, il a proposé aux procureurs plusieurs dates possibles d’interrogatoire en Suède. Cette correspondance existe. Ensuite, les événements suivants se sont produits : Assange a eu vent du fait qu’une affaire criminelle secrète avait été ouverte contre lui aux États-Unis. À l’époque, cela n’a pas été confirmé par les États-Unis, mais aujourd’hui nous savons que c’était vrai. À partir de ce moment, l’avocat d’Assange a commencé à dire que son client était prêt à témoigner en Suède, mais il a exigé l’assurance diplomatique que la Suède ne l’extraderait pas aux États-Unis. [Ce risque était tout à fait réel, car] quelques années auparavant, le personnel de sécurité suédois avait livré à la CIA deux demandeurs d’asile, tous deux enregistrés en Suède, sans passer par la moindre procédure judiciaire. Les abus ont commencé à l’aéroport de Stockholm, où ils ont été maltraités, drogués et transportés par avion en Égypte, où ils ont été torturés. Nous ne savons pas s’il s’agit des seuls cas de ce type. Mais nous sommes au courant de ces deux cas car les hommes ont survécu. Tous deux ont par la suite déposé plainte auprès des agences des droits de l’homme de l’ONU et ont obtenu gain de cause. La Suède a été obligée de payer à chacun d’eux un demi-million de dollars en dommages et intérêts. Les avocats d’Assange affirment que pendant les près des sept ans au cours desquels leur client a vécu à l’ambassade d’Équateur, ils ont fait plus de 30 offres pour organiser la visite d’Assange en Suède, en échange d’une garantie qu’il ne serait pas extradé vers les États-Unis. La Suède a refusé de fournir une telle garantie en faisant valoir que les États-Unis n’avaient pas fait de demande formelle d’extradition. »
Voir également l’infâme article de Mediapart Julian Assange, l’histoire d’une déchéance, qui prend au sérieux les accusations de viol et valide sans l’ombre d’une preuve la thèse de la collusion avec la Russie (réaffirmées dans l’article de Mediapart sur les projets d’enlèvement et d’assassinat d’Assange par la CIA, commodément attribués à Trump, comme s’il ne s’agissait pas du modus operandi de la CIA depuis des décennies) :
[…] Depuis Londres, le fondateur de WikiLeaks annonce qu’il refuse de se rendre en Suède au motif que cette procédure n’est qu’un prétexte. Selon lui, dès qu’il foulera le sol suédois, les États-Unis demanderont son extradition pour être jugé pour espionnage, crime passible de la peine capitale. Sous le coup d’une procédure d’extradition accordée par la justice anglaise, Julian Assange va tout d’abord mener une bataille juridique pour en obtenir l’annulation. Une fois tous les recours épuisés, il se réfugie, le 19 juin 2012, dans les locaux de l’ambassade de l’Équateur qui lui accorde l’asile politique. Il y restera cantonné dans une pièce de l’immeuble sans pouvoir sortir au risque d’être immédiatement interpellé par les policiers britanniques qui le surveillent en permanence.
Avec ces accusations sexuelles, Julian Assange tombe de son piédestal. Son image de chevalier blanc se fissure et, même au sein de WikiLeaks, des langues se dénouent, dévoilant un tout autre visage. De nombreux témoignages décrivent un homme égocentrique, intransigeant et exigeant de ses collaborateurs une obéissance absolue.
Dès septembre 2010, plusieurs membres de WikiLeaks quittent l’organisation en raison d’un désaccord sur la manière dont Julian Assange gère la publication des « leaks » et son refus de toute critique. Selon le site Wired, six volontaires ont quitté l’organisation à ce moment-là. Sur le tchat interne de l’organisation, Julian Assange leur aurait lancé : « Je suis le cœur de cette organisation, son fondateur, philosophe, porte-parole, codeur original, organisateur, financeur et tout le reste. Si vous avez un problème avec moi, faites chier. »
Parmi les défections, figure celle de Daniel Schmitt, porte-parole de WikiLeaks, qui annonce sa démission dans les colonnes du Spiegel. « Julian Assange réagit à toute critique avec l’allégation que je lui ai désobéi et que j’ai été déloyal vis-à-vis du projet. Il y a quatre jours, il m’a suspendu – agissant comme le procureur, le juge et le bourreau en une personne », accuse-t-il. Daniel Schmitt racontera en détail son conflit avec Assange dans un livre paru en 2011, Inside WikiLeaks. Dans les coulisses du site internet le plus dangereux du monde (Grasset, 2011).
En début d’année 2011, un autre collaborateur de WikiLeaks, Julian Ball, claque la porte de l’organisation trois mois après y être entré. Il rejoint le Guardian et décrit, dans un article publié en septembre 2011, un Julian Assange tyrannique, plus préoccupé par sa propre défense que par les idéaux de WikiLeaks. En 2014, c’est Andrew O’Hagan, l’auteur d’une Autobiographie non autorisée publiée en 2011, qui se répand dans la presse. « Il voit chaque idée comme une simple étincelle venant d’un feu dans son propre esprit. Cette sorte de folie, bien sûr, et l’étendue des mensonges de Julian m’ont convaincu qu’il était probablement un petit peu fou, triste et mauvais, malgré toute la gloire de WikiLeaks en tant que projet », affirme-t-il.
Beaucoup s’interrogent également sur la ligne éditoriale de Julian Assange. Le rédacteur en chef de WikiLeaks est notamment accusé d’être trop indulgent, voire trop proche, de la Russie, pays sur lequel l’organisation n’a publié que peu de documents. Plusieurs interventions de Julian Assange surprennent, comme lorsqu’il assure, durant quelques mois en 2012, une émission de géopolitique sur la chaîne Russia Today (RT), The Julian Assange Show. Ou lorsque, à l’occasion d’une table ronde organisée pour les dix ans de RT, il livre un discours dans lequel il appelle « à oublier le concept de liberté individuelle, qui n’existe plus ».
La question de la proximité de WikiLeaks avec la Russie va devenir centrale avec la publication, en 2016, des DNC Leaks. Le 22 juillet, trois jours avant l’ouverture de la convention annuelle du Parti démocrate, WikiLeaks publie 19 252 mails piratés dans les ordinateurs de sa direction, le Democratic National Committee (DNC). La convention doit justement entériner l’investiture d’Hillary Clinton comme candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine. Or, les mails révèlent une collusion dans la direction du parti visant à défavoriser son principal concurrent, Bernie Sanders.
Les DNC Leaks vont empoisonner la campagne d’Hillary Clinton et faire le délice de son adversaire républicain Donald Trump qui ira jusqu’à déclarer : « I Love WikiLeaks. » Le malaise est encore accentué par les déclarations de Julian Assange qui assume avoir publié ces « leaks » afin de nuire à Hillary Clinton, qu’il voit comme « un problème pour la liberté de la presse », et reconnaît avoir volontairement fait coïncider leur publication avec la convention démocrate. […]
WikiLeaks s’isole encore plus lorsque l’enquête sur le piratage des mails de la direction du Parti démocrate révèle que celui-ci a été réalisé par un groupe de hackers, Guccifer 2.0, lié aux services secrets russes, le GRU. Julian Assange démentira formellement que sa source soit des hackers et les différentes enquêtes ne permettront pas d’établir un lien direct entre WikiLeaks et Moscou. Mais pour beaucoup, la ficelle est trop grosse. Que Julian Assange se soit rendu complice, même à son insu, d’une opération de déstabilisation russe est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. […]
Pour ne rien arranger, Julian Assange multiplie les prises de position polémiques, voire parfois difficilement compréhensibles. En septembre 2017, il affirme par exemple, chiffres à l’appui, que le capitalisme, l’athéisme et le féminisme sont responsables de la stérilité de nos sociétés qui, elle-même, est la cause de l’immigration. […]
Voir notre dossier sur Assange.
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