La police arrête un homme lors d’une manifestation de Bédouins à Sa’wa, mercredi 12 janvier
Photo : Eliyahu Hershkovitz

Par Gideon Levy

 

Gideon Levy, Haaretz, 13/1/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’état d’esprit sioniste en pilote automatique : les Bédouins s’emparent du Néguev. Ensuite, ils prendront le contrôle de tout le pays. Israël est en danger. Nous devons agir immédiatement. Avec force, bien sûr. De l’extérieur, on pourrait croire qu’on est à la veille d’une guerre civile. Des étrangers, des séparatistes, des envahisseurs, des ennemis de l’intérieur sont en train d’essayer de s’emparer d’une région et de l’arracher à l’État.

En réalité, il s’agit de citoyens de l’État, qui se battent pour leurs droits sur des terres qui leur appartiennent |au moins] autant qu’aux Juifs. À l’heure actuelle, ils n’ont pas d’aspirations nationales, mais le Néguev était bédouin bien avant d’être juif. Quel est le problème avec ça ? Bnei Brak est haredi et le Néguev est bédouin. Les kibboutzim sont ashkénazes et les villes de développement sont mizrahies et russes. C’est ainsi que cela se passe dans une configuration multinationale et multiculturelle. Mais quand les Haredim construisent plus de quartiers et de villes pour eux-mêmes, l’État ne les combat pas. Quand les Bédouins veulent leur propre terre pour eux-mêmes, c’est un danger pour l’État.

Tous les slogans sionistes fallacieux, ainsi que les mauvaises vieilles façons de faire, sont mis au service de la cause, comme si l’État (juif) n’avait pas encore été fondé. Faire fleurir le désert, cette valeur dans laquelle nous avons été élevés, signifie le faire fleurir pour les seuls Juifs. Sédentariser le Néguev, autre valeur sioniste classieuse, signifie le judaïser. Ni la colonisation du Néguev ni la floraison du désert n’intéressent le sionisme. Seule la judaïsation l’intéresse.

Eh bien, la judaïsation est le côté pile du nettoyage ethnique. Si faire fleurir le désert est une valeur – et on ne voit pas bien pourquoi – qu’y a-t-il de mal à faire fleurir le désert par les enfants du Néguev, ceux qui connaissent le désert, ont l’habitude d’y vivre et l’aiment plus que quiconque ?  Et si la colonisation du Néguev est une valeur – encore une fois, on ne sait pas pourquoi – qu’y a-t-il de mal à y laisser s’installer des Bédouins ? Ne sont-ils pas des personnes ? Pas des Israéliens ? Alors, disons-le au moins clairement.

Et maintenant, sortant de la naphtaline, arrive la vieille arme rouillée du sionisme de 1948 : la plantaison. Si innocent que ça pourrait vous faire pleurer. Couvrir la terre de vert. C’est tellement sioniste, et maintenant, tellement écologiste aussi. La veille de Tu Bishvat, la fête des arbres, on plante dans le Néguev. Quand on était enfants, on nous emmenait à Gan Meir à Tel Aviv le jour de Tu Bishvat pour planter, et c’était excitant. Nous ne savions rien alors. Nous ne savions pas que l’argent de la boîte bleue servait à tapisser le pays de pins, à dissimuler les crimes de 1948 et les ruines silencieuses afin qu’aucun Arabe ne retourne dans sa maison, transformée en bosquet. Maintenant, on va aussi planter un tel bosquet contre nature dans le désert.

Certificat de don néerlandais au KKL/Fonds National Juif pour une plantation d’arbres dans le Néguev  (sans date)

Itamar Ben-Gvir a déjà reçu la permission du rabbin Dov Lior de planter pendant l’année de shmita (la septième année de jachère pendant laquelle il est interdit de planter dans le judaïsme), et il se précipite dans le Néguev avec des jeunes arbres dans son coffre. Le célèbre professeur de halakha Amit Segal, également journaliste pour la Chaîne 12, a statué : « L’action incomparablement naturelle et sioniste de planter des arbres ne doit pas être arrêtée ». Segal a raison. C’est tellement sioniste et naturel de planter des arbres pour couvrir des crimes. Une fois, ils ont même fait venir tous les ambassadeurs étrangers pour planter la « forêt des ambassadeurs » sans dire aux diplomates que le seul but de cette prétendue forêt était de bloquer l’accès au village d’Al Araqib qui souffre depuis longtemps, démoli 183 fois à ce jour.

« Nous allons construire, planter, développer. Ils vont brûler, détruire, saboter. On voit clairement qui tient cette terre pour sacrée », a pontifié la gymnaste rhythmique Ofir Dayan sur Twitter. Car comment peut-on comparer les merveilleux planteurs juifs aux destructeurs bédouins bestiaux ? Plantons des bosquets sur des terrains privés à Kfar Shmaryahu [village de colonisation dans le district de Tel Aviv, fondé par des immigrés allemands en 1937 et devenu une banlieue cossue, NdT] ou sur les ruines de la maison de Dayan, et nous verrons qui tient la terre pour sacrée.

Nous avons déjà partiellement nettoyé le Néguev une fois, en 1948, et nous essayons de chasser les descendants de ces réfugiés de leur nouveau refuge, dans les collines du sud d’Hébron. Environ un quart de million de Bédouins israéliens vivent dans le Néguev. Cette communauté connaît de nombreux problèmes sociaux et économiques nécessitant divers traitements. Les plantations malveillantes n’en font pas partie. Un Néguev bédouin n’est pas moins israélien qu’un Néguev juif. Le jour où nous le reconnaîtrons, certains de ces problèmes se résoudront d’eux-mêmes.

Source : TLAXCALA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…

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