Par Haidar Eid

 

Haidar Eid, Mondoweiss, 28/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Haidar Eid est né dans un camp de réfugiés à Gaza (ses parents venaient du village de Zarnouqa, dans le district de Ramla, nettoyé ethniquement par les bandes sionistes en 1948). Il a obtenu son doctorat à l’université de Johannesburg, en Afrique du Sud, où il a séjourné de 1997 à 2003, apprenant beaucoup du mouvement anti-apartheid. Il est professeur associé de littérature postcoloniale et postmoderne à l’université al-Aqsa de Gaza. Il a beaucoup écrit sur la question palestinienne, notamment des articles publiés sur Znet, Electronic Intifada, Palestine Chronicle et Open Democracy. Il a publié des articles sur les études culturelles et la littérature dans un certain nombre de revues, notamment Nebula, Journal of American Studies in Turkey, Cultural Logic et Journal of Comparative Literature. Il est un membre fondateur de la One State Campaign (OSC) et membre de la Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel (PACBI). Et enfin, il chante ! @haidareid

C’est un fait établi qu’Israël est un État d’apartheid. Les questions qui se posent alors sont les suivantes : comment le démanteler et quelle sera la prochaine étape ?

La solution à deux États continue de perdre du soutien en Palestine. De plus en plus de Palestiniens se rendent compte que le soi-disant processus de paix n’a abouti qu’à la production de nouveaux faits accomplis israéliens et à de nouvelles pratiques répressives qui rendent impossible un État palestinien qui fonctionne. Il n’est donc pas étonnant qu’un récent sondage réalisé par le Jerusalem Media and Communication Center indique un soutien croissant à la solution à un seul État parmi les Palestiniens, au détriment de la solution à deux États.

L’ironie, cependant, est que les faits accomplis ne semblent pas avoir convaincu les dirigeants palestiniens, de droite ou de gauche ! Au lieu de se battre pour écraser le sionisme et sa politique d’apartheid en Palestine, les dirigeants de l’OLP tentent de coexister avec lui. Leur argument, qui a été partagé par certains universitaires et militants internationaux au fil des ans, est que la solution à deux États est soutenue par un « consensus international », en dépit du fait qu’elle n’est rien de plus qu’une solution injuste dictée par Israël et les USA et qu’elle ignore nos droits fondamentaux en tant qu’êtres humains. Dans cet article, je soutiens que le seul espoir pour nous, Palestiniens, réside dans une forme de résistance à l’apartheid qui mobilise les composantes du peuple palestinien et de la société civile internationale et qui aboutit finalement à l’établissement d’un seul État en Palestine.

L’apartheid israélien

C’est un fait établi qu’Israël est un État d’apartheid.  Les derniers rapports de Human Rights Watch et même de l’organisation de défense des droits humains la plus respectée en Israël, B’Tselem, sans parler des rapports de tant d’organisations palestiniennes de défense des droits humains, ont conclu que le régime établi entre le Jourdain et la mer Méditerranée est un régime d’apartheid.

En fait, l’apartheid israélien a atteint l’objectif dont il rêvait depuis longtemps, à savoir la souveraineté israélienne sur toute la Palestine historique, avec des enclaves non viables fournissant une autonomie de ghetto dans laquelle ce qui reste du peuple palestinien peut lentement se réduire. Cependant, Israël se retrouve avec un fardeau hautement indésirable : un territoire contenant plus de 4,5 millions de Palestiniens politisés, sans État indépendant propre, fragmentant Israël aussi efficacement qu’Israël lui-même a fragmenté la communauté nationale palestinienne. Le problème reste aussi vieux que le conflit lui-même : que faire de ces gens, quand tout ce qu’Israël veut, c’est leur terre ?

La solution à deux États, comme je l’ai toujours affirmé, est une solution raciste par excellence à ce dilemme, dans la mesure où elle repose sur la séparation des communautés en fonction de leur identité ethnoreligieuse, dérivée de l’idéologie ethno-nationaliste de la fin du 19e siècle qui a conduit à l’émergence de dogmes racistes comme le nazisme, l’apartheid et le sionisme. Cela contredit les principes démocratiques des 20e et 21e siècles et, comme l’ont affirmé de nombreux intellectuels, les conditions d’un État palestinien indépendant et souverain ont de toute façon été anéanties par l’avancée irréversible des colonies en Cisjordanie. En somme, la solution raciste à deux États qui n’assure pas aux Palestiniens leurs droits fondamentaux, notamment la liberté, l’égalité et le retour des réfugiés dans les villes et villages dont ils ont été ethniquement nettoyés en 1948.

La question est donc de savoir comment démanteler l’apartheid.

Une vision politique

L’un des problèmes pour trouver une réponse à cette question est l’absence d’un programme politique clair et net proposé par les Palestiniens opprimés.  L’élite de droite en Palestine a mis à l’écart les intellectuels et les militants palestiniens sérieux et critiques qui défendent des alternatives au paradigme des deux États dont elle bénéficie. La situation a toutefois changé récemment, notamment après la disparition d’Edward Said, d’Ibrahim Abu-Lughod, d’Hisham Sharabati et de certains leaders de gauche à principes qui posaient un défi sérieux au dogme des deux États. L’émergence du mouvement BDS et la montée de la résistance populaire en Cisjordanie, dans la Palestine de 1948 et à Gaza, ainsi que la montée des voix de principe appelant à une démocratie laïque dans la Palestine mandataire, ont ouvert la voie à une solution alternative, qui garantit les droits fondamentaux des Palestiniens.  D’où l’appel au BDS de 2005, dans lequel les Palestiniens ont demandé à la communauté internationale de se montrer à la hauteur de ses responsabilités et de boycotter l’Israël de l’apartheid, de désinvestir de ce pays et des entreprises bénéficiant de ses violations des droits humains en Palestine et d’imposer des sanctions à son encontre jusqu’à ce qu’il se conforme au droit international. La société civile palestinienne a très bien appris la leçon sud-africaine. Le mouvement BDS est toutefois un mouvement fondé sur les droits qui s’est abstenu d’avaliser une solution politique.

Mais certains militants ont travaillé sur une alternative, qui se dissocie des solutions racistes, qu’il s’agisse d’une « autonomie administrative » limitée, comme le proposent les accords de Camp David et les accords d’Oslo, ou d’une solution à deux États qui offre au peuple palestinien une indépendance symbolique.

Ces militants démontrent qu’il ne nous reste qu’une seule option : un État démocratique laïque pour tous ses citoyens, sans distinction de religion, d’ethnie ou de race. Il est évident que la solution d’un seul État comporte des défis, comme ceux que les militants anti-apartheid sud-africains ont dû relever après l’effondrement de ce régime suprématiste blanc. Une formule démocratique laïque implique nécessairement le démantèlement des privilèges de l’apartheid qui attribuent une citoyenneté de troisième classe aux citoyens palestiniens d’Israël et privent les Palestiniens des territoires occupés depuis 1967 de leurs droits humains fondamentaux. Une formule démocratique laïque garantira certainement le droit au retour des réfugiés palestiniens qui vivent dans des camps de réfugiés misérables en Syrie, en Jordanie et au Liban. Il est intéressant de noter que les partisans de la solution à deux États ont toujours affirmé que celle-ci était conforme au droit international, bien qu’elle ne concerne que les droits d’un tiers du peuple palestinien et qu’elle nie les droits internationalement reconnus des réfugiés palestiniens et des citoyens de troisième classe de l’Israël de l’apartheid.

Ce qu’un État démocratique laïque signifie fondamentalement pour nous, c’est l’élimination de l’occupation militaire de la bande de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem, l’unification de tous les bantoustans et ghettos de Palestine, le retour des réfugiés palestiniens et leur indemnisation, leurs droits civils et leur liberté. Comme l’a dit le défunt géant intellectuel palestinien Edward Said en 1999 : la notion d’un État égyptien pour les Égyptiens, d’un État juif pour les Juifs, va tout simplement à l’encontre de la réalité. Ce dont nous avons besoin, c’est de repenser le présent en termes de coexistence et de frontières poreuses. Et cela ne peut se concrétiser que dans un État démocratique laïque entre le Jourdain et la Méditerranée.

Source : TLAXCALA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…

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