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22 décembre 2024

Un jour comme un autre sous l’Apartheid israélien


illet de blog 10 févr. 2022

Un militant mort, un enfant arrêté, une maison démolie. Quoi de neuf par ailleurs ? Ce n’était qu’un jour comme un autre. C’est dur de contenir sa colère ou de retenir ses larmes. Combien d’autres jours comme celui-là…

Hagai El-Ad
Directeur général de B’Tselem

C’était un jour comme un autre quand des milliers de personnes ont pris part aux obsèques de Haj Suleiman al-Hathaleen à Umm al-Kheir. Pour Israël, sa communauté n’existe pas, ce n’est qu’une autre localité palestinienne à effacer et à remplacer, étouffée à petit feu tandis que la colonie voisine – dont les maisons débutent littéralement là où les cabanes d’al-Kheir s’arrêtent – prospère.

Haj Suliman était un ardent défenseur de sa communauté. C’était un personnage palestinien face à un régime qui travaille inlassablement à rendre son peuple invisible. Il a été heurté par un camion qui travaillait au service de la police israélienne – la version officielle étant qu’il était invisible par le chauffeur. Ils l’ont abandonné là à son sort, sans lui fournir aucune assistance médicale. Il est mort de ses blessures après deux semaines de lutte entre la vie et la mort.

Pour ses parents, Amal Nakleh est quelqu’un. Parce qu’il est né prématurément, ils l’ont appelé Amal – espoir- dans l’espoir que leur fils survivrait. Il a survécu.

Pour Israël, Amal n’est qu’un autre rien-du-tout palestinien. Le fait qu’il ait juste eu 17 ans et qu’il souffre d’une maladie auto-immune ne change rien à cela. Depuis plus d’un an maintenant, il est détenu sous « détention administrative », expression israélienne édulcorée pour décrire la routine kafkaïenne qui consiste à détenir indéfiniment une personne – une non-personne – sans charges ni procès. La semaine même où Haj Suliman a été enterré, Amal a eu 18 ans – en prison. Quelques jours plus tard, Israël a rallongé sa non-condamnation pour la quatrième fois.

Depuis des décennies, la famille Salhiye appelle le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem son domicile. Mais ce n’était pas la première maison de la famille : en 1948, à la création d’Israël, la famille a été expulsée d’Ein Karem – devenu un quartier résidentiel artistique d’une autre partie de la ville. C’était déjà quelques heures en avancée dans la nuit qui a suivi le jour où Haj Suliman a été enterré. Il faisait encore nuit et cruellement froid quand la police des frontières et le bulldozer sont apparus en profitant de la nuit, et ça n’a pas pris beaucoup de temps pour qu’Israël – encore une fois – expulse la famille Salhiye de chez elle. Puis, le bulldozer a fait son travail.

Ces fragments de la vie – et de la mort – des Palestiniens sont rejoints par de nombreux autres. Rien que trois, en une seule journée. Tant d’autres survenus ce même jour, et les semaines précédentes, et le mois précédant l’année avant la décennie. Et ainsi de suite. Cette brutalité écrasante n’est pas nouvelle. Elle impacte la vie d’absolument chaque Palestinien-ne. La balle ou le bulldozer, le permis refusé ou la peine de prison étendue, l’humiliation et la déshumanisation. C’est l’apartheid. La surveillance high-tech israélienne jointe à une violence crasse, centrée sur la suprématie juive, apartheid.

Bien sûr, Israël niera tout cela. Haj Suliman ? Un accident de voiture sous enquête (cela remonte à quelques semaines ; le chauffeur n’a pas encore été interrogé par la police ; compte non tenu du fait qu’Israël blanchit régulièrement presque tous les cas d’assassinat de Palestiniens par les forces de sécurité.

L’incarcération prolongée d’Amal sans procès ? Pas de quoi s’inquiéter, grâce au contrôle judiciaire israélien de classe internationale (des juges militaires aux juges de la Haute Cour, tous approuvent régulièrement ces mesures draconiennes – et beaucoup d’autres – contre les Palestiniens sans même un semblant de procédure équitable ; la « preuve » reste secrète, dans le but de rendre irréalisable la possibilité de prouver son innocence.

La famille Salhiye ? Selon le droit israélien, ils ne peuvent revendiquer leur maison à Ein Karem, parce qu’ils sont Palestiniens. Et d’après le droit israélien, les décisions de justice et les interprétations juridiques faussées, bien d’autres familles palestiniennes sont prévues à l’expulsion de leurs maisons à Jérusalem – pour laisser la place à des colons juifs. On a mis des points sur les i et des barres sur les t. Cette brutalité cherche à se cacher sous « l’état de droit ». En réalité, le fait d’être ainsi légalisé – et en tant que tel, si célébré par la propagande israélienne – ne fait que rendre ce système plus horrible.

Ce n’était qu’un jour de plus dans les tentatives arrogantes, immorales, brutales d’Israël pour effacer l’identité, la vie et la dignité palestiniennes. Pourtant, Umm al-Kheir est un endroit. Et Amal Nakleh est en vie, comme ses parents l’avaient espéré quand il est né avec 3 mois d’avance. Et la famille Salhiye n’a pas oublié Ein Karem.

Ce n’était qu’un jour comme un autre. C’est dur de contenir sa colère ou de retenir ses larmes. Combien d’autres jours comme celui-là cela prendra-t-il ?

Hagai El-Ad

Texte initialement publié sur Haaretz

Traduction J.Ch. pour l’AURDIP

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