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29 mars 2024

Mali : diplomatie offensive et cruciale


Abdoulaye Diop, ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale du Mali - Sputnik France, 1920, 18.02.2022
« Une nouvelle stratégie diplomatique offensive commune entre certains pays de la région [de l’Afrique du Nord et de l’Ouest et du Sahel, ndlr], aussi bien sur le plan politique qu’économique et militaro-sécuritaire est cruciale », affirme à Sputnik M.Soufi, chercheur en géopolitique. Il analyse ainsi le départ des armées européennes du Mali.
Après près de sept mois de bras de fer avec les autorités maliennes de transition, le France, le Canada et leurs partenaires européens, au sein de l’opération Barkhane et de la Task Force Takuba, ont annoncé officiellement le retrait de leurs forces armées du Mali.
Paris et ses partenaires souhaitent toutefois « rester engagés dans la région » sahélienne et « étendre leur soutien aux pays voisins du golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest » pour contenir la menace djihadiste. Le Sahel et le golfe de Guinée sont des « priorités de la stratégie d’expansion » des organisations djihadistes Al-Qaïda* et Daech*, a souligné Emmanuel Macron.
Pourquoi le redéploiement de ces forces vers le golfe de Guinée et l’Afrique de l’Ouest? Que doivent faire le Mali, l’Algérie, la Mauritanie pour sécuriser leurs frontières? Que peuvent-ils faire pour développer une économie régionale intégrée? Comment peuvent-ils se coordonner avec la Russie, la Chine et l’Iran en vue d’atteindre cet objectif? Une coopération avec certains pays européens est-elle également nécessaire?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité Abdelkader Soufi, expert et enseignant-chercheur dans les questions géopolitiques et politiques de Défense. Pour lui, « le redéploiement de ces forces militaires françaises et européennes vers les pays de l’Afrique de l’Ouest, notamment le Sénégal, et du golfe de Guinée obéit à une logique d’intérêts géostratégiques, sous couvert de lutte contre les organisations djihadistes. Ceci, dans un contexte de concurrence avec les intérêts américains, dont l’offensive menée depuis des mois par le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom) est le porte-drapeau. Il y a également la présence militaire de plus en plus appuyée de la Russie, les investissements massifs chinois et enfin l’arrivée de l’Iran dans la région ».

« Souveraineté énergétique et métaux stratégiques »?

« L’objectif géostratégique de la présence militaire, notamment en termes de forces spéciales, des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni dans cette région hautement sensible est de sécuriser la voie maritime d’approvisionnement en hydrocarbures et en métaux stratégiques en provenance d’Afrique équatoriale et de l’Ouest, et de la région du Sahel, qui passe par le golfe de Guinée », affirme M.Soufi.
Et d’expliquer que « la France, tout comme le Royaume-Uni et l’Europe, sont vulnérables face aux flux maritimes, ce qui place les côtes ouest-africaines, en particulier celles du golfe de Guinée, au cœur de leur sécurité économique, de leur souveraineté énergétique et des approvisionnements en métaux stratégiques pour les industries de hautes technologies de défense, de l’aérospatial et d’électronique.
Dans l’actuel bras de fer entre Washington et ses alliés notamment au sein de l’Otan d’un côté, et l’axe eurasiatique Pékin-Moscou-Téhéran de l’autre, la voie maritime hautement stratégique traversant le détroit de Bab el-Mandeb, sur le golfe d’Aden, qui relie la mer Méditerranée orientale à l’océan Indien via la mer Rouge et le canal de Suez, devient très problématique pour les Occidentaux. En effet, toute crise majeure sur cette trajectoire aura inéluctablement un impact gravissime sur l’économie française et européenne en général. C’est pour cette raison que les ressources de l’Afrique sont devenues un enjeu majeur pour toute ces puissances! ».
Dans le même sens, il souligne que « les États-Unis et le Royaume-Uni, qui cherchent à sécuriser leurs approvisionnements également, outre ceux en provenance des pays du Golfe -dont le détroit d’Ormuz est un passage obligé, au large des côtes iraniennes-, voient dans les ressources africaines et les voies maritimes de leur acheminement -notamment via les ports se trouvant sur le golfe de Guinée- un enjeu stratégique majeur ».

Vers une lutte pour le contrôle des ressources en uranium?

Dans le sillage de la création en septembre 2021 de la nouvelle alliance militaire et géostratégique tripartite entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, appelée AUKUS, la France a perdu un contrat de construction de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle (soit non nucléaire), d’un montant de 56 milliards d’euros, conclu avec l’Australie en 2016. Ces submersibles français dérivés du sous-marin nucléaire Barracuda seront remplacés par huit autres à propulsion nucléaire qui seront livrés par les États-Unis et le Royaume-Uni.
À ce titre, l’expert estime que « les Anglo-saxons qui ont infligé ce sévère revers à leur allié en Indopacifique dans le cadre de leur politique d’encerclement de la Chine, sont en train de mener la même politique de déclassement de la France, au Maghreb, au Sahel et en Afrique, du moment que leurs accords avec l’Australie leur imposent des ressources plus grandes en uranium, en particulier celles du Niger et de la Namibie. Il va sans rappeler que 75% de la production électrique en France est d’origine nucléaire. L’Hexagone importe près de 8.000 tonnes d’uranium naturel, dont 32% viennent du Niger,pour alimenter son parc de 58 réacteurs nucléaires. Le reste est importé d’Australie, du Kazakhstan et du Canada. Les autres producteurs d’uranium sont la Namibie, l’Ukraine, l’Afrique du sud, l’Ouzbékistan, les États-Unis et la Chine. Cette dernière est également présente depuis 2011 au Niger avec la société chinoise China National Nuclear Corporation (CNNC) ».
Par ailleurs, il indique que « l’autre pays à prendre absolument en considération dans cette analyse est l’Allemagne. En effet, Berlin a programmé l’arrêt de son activité nucléaire au terme de l’année 2022, remettant le cap sur le gaz et le charbon. Cependant, il est important d’avoir à l’esprit que c’est la Russie qui fournit 55% des importations en gaz de l’Allemagne, ce qui rend cette dernière extrêmement vulnérable en termes de sécurité énergétique dans le contexte de la crise ukrainienne ».

Que doivent faire les pays du Maghreb et du Sahel?

Dans cette situation qui prévaut au Mali, au Burkina Faso et en Guinée-Conakry, sur fond d’un redéploiement des forces européennes, « que doivent faire les pays du Maghreb et du Sahel pour ne pas être à nouveau les dindons de la farce qui se prépare? »
Et de répondre qu’ »une nouvelle stratégie diplomatique offensive commune entre certains pays de la région, aussi bien sur le plan politique qu’économique et militaro-sécuritaire, est cruciale. Le contexte offre beaucoup d’opportunités, notamment à l’approche des élections mi-mandat aux États-Unis et de la présidentielle française d’avril prochain, en raison du flottement du pouvoir dans ces deux pays pendant cette période. À ce propos, il est judicieux de rappeler certains conseils du général chinois Sun Tzu du VIe siècle av. J.-C., l’auteur du célèbre ouvrage de stratégie militaire: +L’Art de la guerre+. Sun Tzu écrit: +Il est d’une importance suprême dans la guerre d’attaquer la stratégie de l’ennemi. Celui qui excelle à résoudre les problèmes le fait avant qu’ils ne surviennent. Attaquez le plan de l’adversaire au moment où il naît. Puis rompez ses alliances+ ».

Que faire concrètement?

Dans ce cadre, Abdelkader Soufi juge qu’il est « nécessaire que l’Algérie, le Mali et la Mauritanie pensent à exploiter ensemble le gisement de pétrole et de gaz commun entre eux, situé dans le bassin de Taoudeni, dans le nord-ouest du Mali. Il est bien entendu que ce bassin devrait être protégé par une force armée commune entre les trois pays. Ainsi, le Mali et la Mauritanie pourraient exporter leurs productions vers l’Europe, via le réseau de gazoducs et d’oléoducs algériens, après le raccordement du gisement. Par ailleurs, l’Algérie, le Mali et le Niger pourraient également faire la même chose pour le gisement commun, situé dans le bassin de Tamesna. L’exploitation de ces hydrocarbures fournirait des moyens financiers conséquents au Mali, à la Mauritanie et au Niger, qui leurs permettraient de mener des politiques publiques de développement à marche forcée. Par ailleurs, Bamako, Nouakchott et Niamey devraient remettre la main sur toutes leurs ressources minières et renégocier tous les contrats d’exploitation pour garantir leurs intérêts. Il serait aussi important d’intégrer la Guinée-Conakry et le Sénégal dans cette dynamique, afin de désenclaver le Mali en lui donnant un accès à la côte atlantique. Le projet de gazoduc qui devra relier le Nigeria à l’Algérie via le Niger doit être mis en marche, dans le cadre d’un accord trilatéral, ce qui augmentera l’exportation de ces pays vers l’Europe ».

Dans ce sens, le spécialiste préconise que « l’Algérie, le Mali, le Niger, la Mauritanie et le Nigeria négocient ensemble avec l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne, un accord d’exportation de gaz avec des retours en investissements directs dans l’industrie, dans la formation universitaire et dans le transfert de sciences et de technologies ». Sur le plan sécuritaire, il faut « faire en sorte que la Libye soit stabilisée, et que sa côte soit surveillée conjointement par l’Algérie, l’Italie et l’Égypte, pour empêcher l’arrivée d’armes et de mercenaires. La frontière entre le Niger et la Libye doit être fermée de manière hermétique, avec l’aide de l’Algérie, pour empêcher la fuite des mercenaires vers le Sahel, notamment la région des trois frontières. Enfin pour quadriller toute la région, un commandement commun intégré (CCI) doté d’une force militaire effective entre l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, le Soudan, l’Éthiopie, l’Érythrée, Djibouti, la République centrafricaine, la Guinée équatoriale, le Niger, le Mali, la Mauritanie, le Sénégal, le Nigeria, le Burkina Faso et la Guinée-Conakry est recommandé ».

Conclusion

« Pour que toutes ces idées et pistes de réflexion puissent avoir toutes leurs chances de se réaliser, il est absolument nécessaire de mettre en place une politique de développement intégré régional dans tous les domaines. Nous proposons de créer une banque de développement commune entre tous les pays membres du CCI, dédiée à la construction d’infrastructures, à la formation, à l’industrie, à la santé et à l’agriculture de masse. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Chine, la Russie et l’Iran doivent être invités à prendre part à cette banque », conclut-il, ajoutant que « Moscou, Pékin et Téhéran ont également un important rôle à jouer sur le plan militaire et sécuritaire. Il ne s’agit pas du tout d’exclure les autres pays occidentaux -comme la France, le Royaume-Uni et les États-Unis- ou les pays maghrébins -le Maroc et la Libye- ou enfin les pays africains jouxtant le golfe de Guinée, ou tout autre État africain. Mais de créer un noyau de pays capable de tirer le continent vers le développement dans un climat de paix et de sérénité, en créant un nouvel équilibre et rapport de forces ».
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