Entretien avec l’émir Abdel Kader et le rapport Benjamin Stora
26 juillet 2022
les 7 du quebec |
Atika Boutaleb : Entretien sur l’Émir Abdel Kader et le rapport Benjamin Stora
RENÉ NABA — Ce texte est publié en partenariat avec www.madaniya.info. . Avec l’aimable autorisation de Atika Boutaleb, arrière petite nièce de l’Émir Abdel Kader Al Djazaîri, nous reproduisons son entretien accordé à Algérie-Culture le 26 janvier 2021. Et du «Collectif de Novembre pour le socialisme». https://
.En guise de préludeDéclaration d’Emmanuel Macron à propos de l’Algérie, en octobre 2021, à six mois des élections présidentielles françaises: «Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française? Ça, c’est la question», se serait interrogé le président français, en rappelant qu’il y a eu «de précédentes colonisations». «Je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée. Et d’expliquer qu’on est «les seuls colonisateurs, c’est génial. Les Algériens y croient», a-t il ajouté. Fin de la déclaration de M. Macron
C’est à ce moment, en 1833, que parut Abdel-Kader. Abdel-Kader a été notre grand ennemi, il a représenté, avec tous les défauts comme avec toutes les qualités de sa race, la cause de l’indépendance. On ne peut cependant méconnaître sa grandeur. Avoir réussi à lutter pendant plus de douze ans, sans ressources régulières, sans appui, sans armée véritable, à la puissance de la France; avoir obtenu parfois même des succès éclatants, diplomatiques et militaires; avoir tenu en échec nos meilleurs généraux et nos hommes d’État les plus éminents, est certainement le fait d’une intelligence supérieure. Nous pouvons d’ailleurs rendre d’autant plus facilement justice à cet ennemi glorieux et redoutable, qu’en définitive il nous a servi. Il nous a, pour ainsi dire, obligés à faire la conquête du pays, devant laquelle nous reculions, En nous attaquant, il ne nous laissait plus le choix; il fallait combattre, sous peine de perdre non seulement la conquête commencée, mais notre prestige militaire.
Vous êtes l’arrière petite nièce de l’Emir Abdelkader. Votre aïeul suscite polémique en ce sens que certains le considèrent comme un «ami de la France» alors que d’autres estiment qu’il est le père de la nation algérienne. Que pouvez-vous répondre aux uns et autres ? En 1847, pourchassé par le roi du Maroc qui était en accord avec l’État Français, l’Émir consulte ses commandants sur l’attitude à adopter et ils se sont retrouvés face à deux choix: se battre jusqu’au dernier des 600 combattants, leurs familles, et leurs enfants ou proposer à l’armée coloniale un armistice. L’Émir propose donc au général Louis Juchault Lamoricière d’arrêter le combat, contre son départ avec sa smala pour la Palestine. Mais le ministre de la Guerre de l’époque ne l’entendait pas de cette oreille car il estimait humiliant pour la France de conclure un armistice avec un groupe de 600 combattants seulement; il réussit à convaincre le roi de commettre un parjure en revenant sur les termes et engagements de cet accord sans même en informer l’Émir. C’est ainsi que l’Émir fût embarqué avec sa famille et sa smala sur un bateau qui fût détourné de sa destination promise vers Toulon. On peut dire que l’Émir a été victime d’un parjure, une trahison et d’un rapt. L’État français a, depuis, laissé courir la version mensongère de la reddition sans jamais rétablir la vérité historique. Les Français sont même allés jusqu’à laisser passer pour vraie l’image fabriquée d’un Émir qui se penche sur la main de Napoléon le petit, tentant pernicieusement de faire admettre qu’il termina sa vie soumis à la France. Ces pressions l’ont soumis ainsi que sa famille à une vie quasi misérable. Il a été obligé pour payer le bois de chauffage et le pain de vendre ses biens, et deux de ses filles sont mortes de froid et de malnutrition. Il s’est retrouvé obligé de déjouer également les pièges de la Franc-maçonnerie par qui il a été approché alors qu’il était encore en France, et il a dû par la suite déjouer encore le plan d’un royaume arabe à opposer à l’empire turc. . Peut-on considérer avec ça que l’Émir est l’ami de la France ?Continuez et dites alors que les otages du château d’Aulnoy qui ont été kidnappés dans l’avion qui les amenaient du Maroc en Tunisie, et les négociateurs d’Evian sont des amis de la France… Un hommage a été rendu par le gouverneur d’Algérie Edmond Naegelen à l’Émir Abdelkader en 1949 en lui construisant un mausolée. Un événement que beaucoup d’Algériens semblent ignorer. Cela ne corrobore-t-il pas la thèse selon laquelle l’Emir Abdelkader serait un «ami de la France» ? Edmond Naegelen est resté dans l’histoire de notre pays comme l’homme qui a trafiqué l’ensemble des élections organisées sous sa responsabilité. Venant d’un faussaire et d’un contrefacteur de sa stature, pouvez-vous penser que sa parole sur l’Émir devienne miraculeusement sincère et n’entre pas dans ses projets d’escroquerie? Par quelle logique concluez-vous qu’un acte politique, donc forcément calculé, d’un gouverneur en 1949 exprime-t-il les sentiments de l’Émir mort en 1883? Parmi les propositions de Benjamin Stora, un monument en hommage à l’Émir Abdelkader en France. Quelle lecture faites-vous de cette proposition ? Les propositions de Benjamin Stora sont celles d’un homme qui est sorti de son rôle d’historien pour devenir un directeur de conscience au service d’un État et d’un pouvoir. Toutes ses propositions sont donc frappées de doute d’une utilité politique cachée. Je vous laisse face à vos propres perceptions. . Selon vous, quels sont les points forts et les points faibles du rapport remis par Benjamin Stora au président français Emmanuel Macron ?Cette question ne concerne que Benjamin Stora et son employeur «l’État français». L’une des revendications phares de l’Algérie officielle, relayés essentiellement par le FLN et ses satellites, est la repentance. Quel intérêt a l’Algérie à tirer d’une exigence de ce type ? L’Algérie officielle est partie prenante de ce projet de mémoire sous tutelle de directeurs de conscience désignés par les pouvoirs politiques. Pour ce qui est des «satellites du FLN» pensez-vous vraiment que tous ces intellectuels éminents qui ont exprimé leur avis sont des affidés du FLN ? Quant à l’Algérie en tant que pays, nation, état et société, je pense qu’elle a intérêt à poursuivre sa lutte inachevée pour sa décolonisation, et à montrer encore plus de vigilance face aux tentatives incessantes de reconquête par la culture. L’Algérie et la France ont mis en place un duo, Stora et Cheikhi, pour travailler à la «réconciliation des mémoires» entre les deux pays. Pensez-vous que cette réconciliation est, dans l’absolu possible? Si oui, sur quels éléments doit-t-elle s’appuyer essentiellement ? Notre lutte de libération nationale consistait à nous doter d’une personnalité politique et culturelle indépendante, non pas à partager ni l’histoire ni la mémoire de la France. Quant à l’idée de réconciliation, je vous rappelle qu’avec son lourd tribut, notre guerre de libération nationale n’a pas été une petite scène de ménage. . POUR ALLER PLUS LOIN SUR FRANCE ALGÉRIE
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