La mise en cause par la justice belge et dans une affaire de corruption de Lucas Visentini, ex-secrétaire général de la Confédération Européenne des Syndicats CES) et nouveau secrétaire général de la Confédération Syndicale Internationale (CIS, ex CISL) est très grave. Elle est aussi révélatrice ! Elle met en évidence les complicités politiques et financière directes dans les rouages européens, d’organisations syndicales, de partis, d’ONG avec les institutions. Autant dire avec la commission de Bruxelles comme avec le parlement. Cela renvoie à l’indépendance et au fonctionnement de la CES dont le budget est assuré à plus de 75% par l’Union Européenne et dont les dirigeants bénéficient d’avantages identiques aux fonctionnaires de l’UE, en matière de rémunérations, de conditions de travail, de promotions et ou le système de « pantouflage » existe depuis longtemps, permettant de passer des bureaux de la CES à ceux de l’Union Européenne afin de poursuivre une carrière dans les meilleurs conditions possibles. Evidemment ce système n’est pas sans contrepartie. Cette affaire ci est dans les mains de la justice, celle-ci doit jouer son rôle.
Mais dans ce cas, sa particularité est qu’elle est liée au Mondial de Football qui se tient au Quatar. Ce n’est pas innocent ! Car dans les conditions scandaleuses que l’on sait, entre autre les plus de 6 000 morts officiels sur les chantiers de constructions des infrastructures sportives dont les entreprises nord-américaines furent les grands bénéficiaires dont AECOM (AECOM Technology Corporation), il faut bien reconnaître que la CSI et la CES ont laissé faire et qu’elles portent avec leurs affiliés une responsabilité dans l’immobilisme et l’impuissance de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) comme dans la non-interpellation des autorités quatariennes et internationales. Bien avant cet événement, j’avais personnellement dans mon livre CGT : pour que les choses soient dites mis en question cette corruption dans les rangs du mouvement syndical et j’avais également contesté le rapport en 2019 d’une mission au Quatar de la CSI (CISL) et d’administrateurs de l’OIT dont l’ancien secrétaire général de la CGT ou dans la perspective du Mondial de foot, l’on se congratulait devant les progrès sociaux enregistrés par cette pétromonarchie. On y annonçait même la reconnaissance du droit syndical pour bientôt. La réalité était et est tout autre. Les travailleurs migrants y sont toujours soumis à des conditions de travail de quasi esclavage, des journées de 14 et 16h, 7 jours sur 7, sans congés, de promiscuité, sans regroupement familial, de pressions et de violences dont la pratique de la kafala, c’est à dire la détention par l’employeur des tous les documents d’identité du travailleurs est un des exemples les plus accablants. La question se pose donc de savoir si cette affaire de corruption n’est pas en fait le prix du silence payé par des syndicalistes complices et sans honneur.
Je dois avouer que pour moi cette affaire n’est pas franchement une surprise. Lucas Visentini vient d’être élu secrétaire général de la CSI (CISL), il remplace l’australienne Sharan Burrow qui il y a quelques années avait établi des relations privilégiés avec le groupe Danone. Bill Jordan, un des prédécesseurs de Visentini et Burrow, ne fût-il pas anobli par la Reine d’Angleterre, tout comme d’autres dirigeants de cette organisation représentants inamovibles des travailleurs au conseil d’administration de l’OIT. De trop nombreuses affaires de corruption impliquent les confédérations syndicales affiliées à la CSI qui a succédé à la CISL. Je pense à la Histadrout israélienne qui rackettent les travailleurs palestiniens ou actuellement autre exemple l’UAW, la puissante fédération de l’automobile de l’AFL-CIO dont les principaux dirigeants sont publiquement mis en cause pour le grand train de vie qu’ils menaient en détournant les cotisations des adhérents. Au récent congrès de la CSI, l’invité d’honneur était Joe Biden qui lui a exprimé son soutien alors qu’il encourage la répression de 100 000 cheminots en grève aux EU. Il est vrai qu’au congrès de la CES, Lucas Visentini avait, quant à lui, salué Jean-Claude Junker, ancien premier ministre libéral Luxembourgeois et Président de la Commission de Bruxelles pour « avoir sauvé l’Europe sociale ». Là, à travers ces pratiques et cette absence d’indépendance, sont les causes véritables de ces dérives qu’il faut dénoncer avec fermeté car elles sont étrangères au syndicalisme.
Ces faits condamnables sont en profonde contradiction avec les principes du mouvement syndical international. Ils sont incompatibles avec les valeurs de dévouement, de désintéressement, de solidarité qui sont celles de militants syndicaux qui souvent connaissent la répression et même payent de leur vie leurs engagements en faveur de la justice sociale, de l’égalité et de la paix. Je pense à nos camarades colombiens, brésiliens, philippins, canadiens, étasuniens, ukrainiens et combien en France et en Europe. On ne saurait mettre dans le même sac cette petite minorité de syndicalistes qui décrédibilisent l’action syndicale et dont les orientations en faveur d’un syndicalisme de partenariat social, d’accompagnement et de collaboration avec le patronat s’expliquent à travers leurs complicités, leur bureaucratie et leur professionnalisation avec les institutions européennes, les sociétés transnationales et financières.
Ce sont ces orientations et ces stratégies que préconisent la CES et la CSI qui sont les causes véritables d’une situation qui tourne le dos aux intérêts du monde du travail. C’est la raison pour laquelle le syndicalisme a besoin de militants intègres et d’une activité transparente, d’une démocratie syndicale et ouvrière vivante. Cela ne peut être qu’à travers un syndicalisme de classe, de masse, démocratique, indépendant, comme le soutient internationalement la FSM (Fédération Syndicale Mondiale).
Info Le Soir : le Qatar soupçonné de corruption en plein cœur de l’Europe
Quatre interpellations et seize perquisitions ont été réalisées ce vendredi 9 décembre à Bruxelles dans le cadre d’une vaste enquête anticorruption menée par le parquet fédéral. Un ancien eurodéputé et le patron de la Confédération internationale des syndicats ont été privés de liberté, soupçonnés d’avoir reçu les faveurs du Qatar. Les enquêteurs anticorruption soupçonnent le Qatar « de tenter d’influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen ». – EPA. Enquête – Joël Matriche , Louis Colart et Kristof Clérix (« Knack »)
La justice belge a lancé une vague de perquisitions vendredi 9 décembre au matin, à l’issue d’une enquête ouverte mi-juillet 2022 sur une organisation criminelle présumée, infiltrée au cœur du Parlement européen et soupçonnée d’ingérence dans la politique de l’Union et de corruption par le Qatar, révèlent Le Soir et Knack. Deux personnalités publiques, dont un ex-eurodéputé italien du groupe Socialistes et démocrates (S&D), viennent d’être interpellées.
Cette affaire potentiellement explosive, éclatant en pleine Coupe du monde de football, a abouti ce vendredi à de premières perquisitions et interpellations à Bruxelles, comme nous le confirme le parquet fédéral : « La police judiciaire fédérale a mené 16 perquisitions (à 14 adresses différentes) dans plusieurs communes bruxelloises. Notamment à Ixelles, Schaerbeek, Crainhem, Forest et Bruxelles-Ville. Ces perquisitions ont été réalisées dans le cadre d’une vaste enquête pour des faits présumés d’organisation criminelle, de corruption et de blanchiment d’argent. »
Argent et cadeaux
L’enquête ultra-sensible, coordonnée par le parquet fédéral, est instruite par le juge Michel Claise, spécialisé dans les matières financières. Les devoirs d’enquête sont menés dans la plus grande discrétion depuis plus de quatre mois par l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC).
Les enquêteurs anticorruption « soupçonnent un pays du Golfe de tenter d’influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen », avance le parquet fédéral dans sa réponse à nos deux médias. Comment ? En « versant des sommes d’argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique significatives au sein du Parlement européen. » Le parquet ne mentionne pas le Qatar. Mais plusieurs sources bien informées ont indiqué au Soir et à Knack qu’il s’agissait bien de l’Etat organisateur de la Coupe du monde.
Selon nos informations, l’ancien eurodéputé S&D, l’Italien Pier-Antonio Panzeri, le Secrétaire général fraîchement élu de la Confédération internationale des syndicats (l’Ituc) Luca Visentini, ainsi qu’un directeur d’ONG et un assistant parlementaire européen, ont tous les quatre été interpellés dans la matinée. Ils sont présumés innocents.
Le parquet fédéral nous confirme d’ailleurs « l’interpellation pour audition » – en procédure Salduz 4, c’est-à-dire en tant que suspects et en présence d’un avocat – de quatre individus « nés en 1955, 1969, 1971 et 1987 ». Ils pourraient être présentés devant le juge sous 48 heures, qui déciderait alors d’éventuels mandats d’arrêt.
Tous ces suspects ont la nationalité ou une origine italienne. En public, ils sont très actifs dans des associations et ONG pro-droits de l’Homme. M. Panzeri est d’ailleurs le président de Fight Impunity, une ASBL promouvant « la lutte contre l’impunité pour de sérieuses violations des droits humains » et la justice internationale. Selon nos informations, le siège de Fight Impunity, situé en plein centre de Bruxelles (rue Ducale), a subi une perquisition ce matin.
Coffre-fort bien garni
Les perquisitions de ce matin ont permis aux officiers dirigés par le juge Claise de mettre la main sur plus d’un demi-million d’euros en liquide. Selon les informations du Soir et de Knack, ces quelque 600 000 euros cash ont été découverts dans la résidence bruxelloise de l’ancien eurodéputé.
Luca Visentini a été élu en novembre Secrétaire général de l’Ituc. Une confédération de syndicats du monde entier, dont des organisations belges, représentant au total plus de 200 millions de travailleurs.
Pour le Qatar, il s’agirait de défendre « sa » Coupe du monde de football tant décriée, et les progrès supposés de l’émirat sur les droits humains ou les conditions de travail des migrants.
Des assistants parlementaires visés
Preuve de la sensibilité du dossier, « cette opération visait en particulier des assistants parlementaires européens », conclut le parquet fédéral en réponse à nos questions. Chez eux, c’est essentiellement du matériel informatique et des téléphones qui ont été saisis par les enquêteurs. « Ces éléments seront analysés dans le cadre des investigations. »
Parmi les personnes concernées par les perquisitions, Le Soir et Knack identifient quatre assistants parlementaires proches du groupe S&D (y compris celui qui a été privé de liberté), l’un de ces assistants est également lié au groupe PPE (droite). Les enquêteurs ont encore « visité » les domiciles de deux conseillers et d’une fonctionnaire du Parlement européen. Sans compter des directeurs de groupes de pression actifs dans l’UE.
En réponse à nos sollicitations, le service presse du Parlement européen déclare « ne pas commenter les procédures judiciaires en cours » : « Comme toujours, le Parlement européen coopère entièrement avec les autorités nationales compétentes. Pareil dans ce dossier spécifique », déclare-t-il.
Bruxelles pullule à la fois d’espions, mais aussi de lobbyistes, en raison de la présence de l’OTAN et des institutions européennes. Les investigations tentent toutefois de déterminer si les acteurs du dossier ne sont pas allés bien au-delà du simple lobbying. On parle de corruption présumée au sein du seul organe européen élu au suffrage direct. Par un État étranger, régulièrement accusé depuis l’attribution de la Coupe du monde de violer les droits humains d’opposants politiques, de personnes LGBTQ+ et des 2 millions de travailleurs migrants qui peuplent l’émirat gazier.
MAJ LGS : Eva Kaili a été écrouée le 11 décembre 2022.