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20 avril 2024

Saif al-Islam Kadhafi apparaît comme une alternative aux deux factions belligérantes de Libye


Le deuxième fils du défunt dictateur gagne le soutien des chefs de tribus du sud du pays pour qu’ils appuient sa candidature à une hypothétique élection
Saif al-Islam Gadafi

IMAGEN/ARCHIVO  –   Sur cette photo d’archive prise tôt le 23 août 2011, Saif al-Islam Kadhafi, fils du dirigeant libyen Moamer Kadhafi (portrait), est entouré de partisans et de journalistes dans la résidence de son père, dans la capitale Tripoli

Saif al-Islam avait été porté disparu depuis sept ans. Personne ne savait où le deuxième fils du défunt dictateur Mouammar Kadhafi avait atterri. Un groupe de rebelles de son Zintan natal l’a capturé dans une embuscade près de la ville désertique d’Ubari, alors qu’il fuyait précipitamment vers le sud, au Niger voisin. Saif avait assisté à la chute du régime de son père, qui était aussi son régime, un système répressif et autoritaire qu’il avait timidement tenté de réformer de l’intérieur, mais qu’il avait défendu par les armes après le déclenchement de la révolution. Il ne restait plus rien de la Jamahiriya qui avait dirigé le pays d’une main de fer pendant plus de trois décennies. Les ravages du printemps arabe avaient tout balayé.

Il est officiellement réapparu une décennie plus tard dans les pages du New York Times. Dans un long rapport publié en juillet 2021, Saif fait le point sur son parcours et décrit en détail sa captivité. Mais il n’avait pas donné cette interview pour lever les doutes. Il a clairement indiqué qu’il voulait suivre les traces de son père et diriger la Libye. Dans ses réponses, Saif, qui avait prédit la fragmentation du pays aux premiers jours du soulèvement de 2011, a menacé de se présenter aux prochaines élections générales, initialement fixées au 24 décembre 2021. Il préparait le terrain pour son retour un peu plus de dix ans plus tard.

Fuerzas de seguridad Libia
AP/YOUSEF MURAD  –   Les forces loyales au Premier ministre Abdul Hamid Dbeibah sécurisent les rues de Tripoli, en Libye

Au cours de cette période, la Libye a connu deux guerres civiles et un effondrement économique. L’État a été divisé en deux administrations parallèles qui se disputent encore le pouvoir aujourd’hui. L’un vient de l’est, à Tobrouk, et l’autre de l’ouest, à Tripoli. Entre-temps, les parties ont dû faire face à l’insurrection islamiste, qui a établi un petit califat sur la côte. Même la menace djihadiste n’a pas uni leurs agendas. Les accords successifs parrainés par les Nations unies ont permis d’amortir les chocs et de mettre fin aux hostilités en instaurant un cessez-le-feu durable, mais ils se sont révélés incapables de résoudre l’impasse politique prolongée.

Saif al-Islam s’est finalement présenté à ces élections, le premier candidat reconnu au niveau national à s’inscrire. Mais les élections n’ont pas eu lieu à temps. En fait, ils n’ont pas encore eu lieu. Le Gouvernement d’unité nationale à Tripoli et la Chambre des représentants à Tobrouk, les institutions qui se disputent le contrôle, ne parviennent pas à s’entendre sur une loi électorale commune pour remettre le processus sur les rails. L’élite politique libyenne reste retranchée au pouvoir en l’absence d’un texte juridique qui permettrait au vote de se dérouler avec des garanties. « La Libye se retrouve à nouveau avec deux gouvernements, dont aucun n’a été élu ou choisi par les Libyens, mais qui sont tous deux le produit d’une mauvaise orientation continue par des politiciens corrompus qui ne veulent pas lâcher leurs positions de pouvoir », résume la militante libyenne Asma Khalifa.

Abdul Hamid Dbeibé
IMAGEN/ARCHIVO  –   Le Premier ministre libyen Abdul Hamid Dbeibah assiste à la cérémonie de remise des diplômes à un groupe de cadets de l’armée libyenne, à Tripoli, Libye, mardi 8 février 2022

Mais il y a eu des développements significatifs ces dernières semaines. Khalid Almishri, chef du Haut Conseil d’État, un organe qui fait office de chambre haute, a rencontré le président du parlement de Tobrouk, Aguilah Saleh, au Caire, jeudi. Le président du parlement égyptien, Hanafy El Gebaly, a organisé ce face-à-face, soulignant le rôle de l’Égypte en tant que médiateur dans la crise libyenne. Bien que le régime d’El Sisi ait montré une nette préférence pour la faction orientale représentée par Saleh lui-même et son allié Khalifa Haftar.

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Les représentants des deux administrations se sont rapprochés du document constitutionnel qui devrait régir la période pré- et post-électorale, mais ont laissé de nombreuses questions en suspens. Aucune date ou échéance n’a été mentionnée. Ils n’ont pas non plus déterminé si les doubles citoyens pourraient se présenter à la présidence, ni quand les candidats devraient démissionner de tout poste s’ils souhaitaient se présenter. Ces deux questions concernent le Premier ministre du Gouvernement d’unité nationale, Abdul Hamid Dbeibé, et l’homme fort de l’Est, le général Haftar.

Jalifa Haftar
REUTERS/ESAM OMRAN AL-FETORI  –  Le maréchal libyen Khalifa Haftar

Après la réunion en Egypte, Almishri et Saleh ont convenu de se rencontrer à nouveau en Egypte pour parapher la version finale du texte juridique. Mais la société libyenne et la communauté internationale sont à bout de patience. Selon l’ancienne envoyée spéciale des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams, « une classe dirigeante transactionnelle, dont une partie du réseau remonte à l’époque de l’ancien régime, utilise l’État et les institutions souveraines de la Libye comme des vaches à lait dans ce que l’on pourrait décrire comme une « kleptocratie redistributive », faisant régulièrement entrer suffisamment de leurs compatriotes dans leurs cercles pour soutenir le système ».

« Les divisions au sein de la communauté internationale, les manœuvres politiques des acteurs libyens et un manque d’urgence lié à la faible intensité du conflit contribuent à l’impasse actuelle », explique Riccardo Fabiani, directeur du projet Afrique du Nord à l’International Crisis Group, dans une conversation avec Atalayar. « Il y a peu de pression sur les responsables libyens pour qu’ils se ressaisissent et acceptent enfin d’organiser des élections et, malheureusement, pour l’instant, il semble que la crise va se poursuivre telle quelle ».

Stephanie Williams
AFP/ DENIS BALIBOUSE  –   Le président de la Chambre des représentants de Libye, Aguila Saleh, la conseillère spéciale des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams, et le président du Conseil supérieur de l’État libyen, Khaled Al-Mishri, tiennent une conférence de presse à l’issue d’une réunion de haut niveau sur la voie constitutionnelle de la Libye, au siège des Nations unies à Genève, le 28 juin 2022

« Il est nécessaire que l’envoyé des Nations unies joue un rôle plus proactif en coordonnant les positions internationales et en faisant pression sur les acteurs libyens pour faire avancer la situation », ajoute Fabiani. Le Sénégalais Abdoulaye Bathily a poursuivi les efforts de son prédécesseur, toujours dans le cadre des Nations unies, en organisant des réunions avec des représentants des deux factions et des dirigeants régionaux. Le travail a été vain. Il lui faudra l’impulsion de l’envoyé spécial américain, Richard Norland, qui a convoqué ses homologues français, allemands, italiens et britanniques à Washington ce vendredi pour organiser à nouveau les élections.

La Libye perd patience

La société libyenne n’a plus aucune attente vis-à-vis de la classe politique. Les institutions qui contrôlent le pays ont perdu leur légitimité il y a trop longtemps. Le gouvernement intérimaire de Dbeibé est né en février 2021 au sein du Forum de dialogue politique libyen (FDPL), un organisme de 75 membres nommés par les Nations unies, chargé d’organiser des élections. Il n’a pas réussi. L’homme d’affaires inconnu de Misurata s’est engagé à quitter le pouvoir après le verdict des urnes et à ne pas se présenter. Il a renié ses deux promesses. Entre-temps, la Chambre des représentants de Tobrouk a été créée en juin 2014 avec un taux de participation de moins de 20 %. En d’autres termes, il n’a pas été soumis à l’examen des urnes pendant près d’une décennie.

Elecciones Libia
AFP/MAHUMD TURKIA  –   Un Libyen s’inscrit pour voter dans un bureau de vote à Tripoli, le 8 novembre 2021

« Il y a beaucoup de frustration face à l’impasse actuelle, à la détérioration des services sociaux et au manque de sécurité, et de nombreux Libyens ont perdu confiance dans la classe politique au point d’organiser parfois des manifestations et des émeutes », explique Fabiani. C’est le terreau idéal pour l’émergence d’un nouveau profil pour fédérer les mécontents. Il est essentiel qu’il soit perçu comme un leader capable de laisser derrière lui la période de crise post-révolutionnaire. Le nom qui revient de plus en plus souvent dans certains cercles est celui de Saif al-Islam lui-même, populaire parmi les nostalgiques du régime de Kadhafi, un spectre composé d’anciens fonctionnaires, de clans et de communautés qui se sont rangés du côté du dictateur, notamment ceux de la ceinture dite verte de Tripoli, qui a un poids démographique important.

L’analyste de Crisis Group explique que le second rejeton de Kadhafi « conserve un certain degré de soutien en Libye, mais pour l’instant, personne ne connaît l’ampleur réelle de ce soutien ». Il n’y a pas eu d’élections en Libye depuis huit ans et Seif al-Islam reste une figure controversée à bien des égards. Sa base de soutien est très mobilisée, mais il ne semble pas bénéficier d’un grand soutien du reste de la société. Fabiani affirme que les Libyens sont plus susceptibles de « chercher de nouveaux visages plutôt que le fils de Kadhafi, dont la grande majorité des Libyens se souviennent encore au moins pour ses paroles et son rôle pendant la révolution de 2011 ».

Saif al-Islam Gadafi
PHOTO/ARCHIVE  –   Photo d’archive prise le 18 août 2007 du fils du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, Saif al-Islam

Les chefs tribaux et les personnalités de Fezhan ont défendu le droit de Saif al-Islam à participer aux élections. Le chef du Conseil suprême des tribus et des villes de la région sud-ouest du pays, le cheikh Ali Mesbah Abu Sbeiha, a souligné dans une déclaration la nécessité de prendre des mesures pour que le deuxième des neuf descendants légitimes de Kadhafi puisse se porter candidat. En décembre 2021, les autorités ont annulé son inscription à la course électorale, la jugeant illégale. Il était l’un des 25 candidats rejetés par la Haute Commission électorale nationale.

L’apparition de Saif a été entourée de controverses dès le départ. Adel Karmous, le chef de la Commission juridique du Conseil d’État, le comité chargé de superviser les candidatures, a déclaré que, quelles que soient les conditions de la candidature et qu’elles lui permettent ou non de se présenter, « si nous réfléchissons avec raison et logique, comment une personne qui mène une vie secrète et lui impose de se rendre dans toutes les régions du pays pour mener à bien sa campagne électorale peut-elle se présenter aux élections ? » Saif n’a pas été vu en public depuis des mois. Il peut craindre pour sa sécurité. La Cour pénale internationale continue de demander son extradition pour sa participation présumée à des crimes de guerre.

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