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2 mai 2024

Ce que nous savons à ce jour sur le conflit armé au Soudan 


Ce que nous savons à ce jour sur le conflit armé au Soudan (Dossier)

Robert Bibeau

Avr 27

Des tensions ont éclaté à Khartoum à la suite d’une lutte de pouvoir entre les forces militaires et paramilitaires du pays.

Voir la première partie de notre dossier : Soudan: nouvelle victime de la guerre mondialisée par proxy (Dossier) – les 7 du quebec


Par RT – Le 19 avril 2023

La bataille pour le contrôle du Soudan est entrée dans sa cinquième journée, suite à l’échec d’un armistice de 24 heures déclaré mardi par l’armée soudanaise et un groupe paramilitaire rival.

Quelle est la situation actuelle au Soudan ?

De violents combats ont lieu dans la capitale du pays, Khartoum, dans la ville voisine d’Omdurman et dans d’autres points chauds après que des affrontements ont éclaté entre les forces armées soudanaises (SAF) et les forces de soutien rapide (RSF) samedi. L’Organisation mondiale de la santé a estimé qu’au moins 270 personnes ont été tuées et plus de 2 600 autres blessées dans ce conflit armé, citant le ministère soudanais de la santé. Le comité de l’Union des médecins du Soudan a déclaré mercredi que plus de la moitié des hôpitaux de la capitale et des villes adjacentes n’étaient plus en mesure de servir les patients, certains ayant été bombardés, d’autres attaqués et pillés.

Quelle est la cause du conflit ?

Le conflit est alimenté par une lutte de pouvoir entre le général Abdel Fattah al-Burhan, qui dirige les Forces armées soudanaises, et son rival, le général Mohamed Hamdan Dagalo, également connu sous le nom de Hemeti, chef des Forces républicaines de sécurité. Les tensions sont nées d’un différend sur l’intégration des FAR, une force paramilitaire, dans les forces armées du pays, ainsi que sur la juridiction qui devrait superviser cette procédure. Le processus de fusion est une exigence cruciale énoncée dans l’accord de transition du Soudan, qui était initialement prévu pour le 1er avril, mais qui n’a pas encore été signé.

Qu’est-ce que l’accord de transition ?

En avril 2019, un coup d’État militaire organisé conjointement par le RSF et les SAF a conduit à l’éviction du président Omar al-Bashir, qui était au pouvoir depuis 30 ans. Un accord de partage du pouvoir a été conclu en août 2019 entre le Conseil militaire de transition et l’Alliance pour la liberté et le changement, formant un Conseil de souveraineté transitoire (CST) de 11 membres pour ouvrir la voie à un gouvernement de transition dirigé par des civils. Le pays est depuis lors gouverné par le CST, avec le chef de l’armée al-Burhan en tant que président et Hemeti de RSF en tant que vice-président. Un nouveau coup d’État en octobre 2021 a perturbé l’accord de transition, ce qui a conduit à un nouvel accord en décembre dernier.

Pourquoi le RSF s’oppose-t-il à l’intégration dans les forces armées du pays ?

Des rapports font état d’un désaccord entre Hemeti et al-Burhan sur la nomination du commandant en chef de l’armée pendant cette période d’intégration durant plusieurs années, le RSF plaidant pour que le chef d’État civil occupe ce poste, ce à quoi l’armée s’oppose. Adel Abdel Ghafar, membre du Conseil du Moyen-Orient, a également déclaré aux médias que le RSF « a résisté à l’intégration dans l’armée » parce qu’il craint « de perdre son pouvoir ».

Comment le conflit a-t-il affecté la communauté internationale ?

Les combattants auraient pris pour cible des travailleurs humanitaires, des hôpitaux et des diplomates. Josep Borrell, responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, a déclaré lundi que l’ambassadeur de l’UE au Soudan « a été agressé dans sa propre résidence« . Un convoi de véhicules de l’ambassade des États-Unis aurait également été attaqué le même jour. L’ambassade de l’Inde a également annoncé dimanche qu’un de ses ressortissants « touché par une balle perdue » samedi avait « succombé à ses blessures« . Le Programme alimentaire mondial des Nations unies a temporairement interrompu ses opérations au Soudan après que trois employés ont été tués.

Quelle est la voie à suivre ?

La pression monte sur les parties belligérantes pour qu’elles mettent fin aux combats afin que les habitants bloqués puissent recevoir l’aide et les fournitures dont ils ont désespérément besoin. Les deux parties se sont accusées mutuellement d’avoir violé le précédent cessez-le-feu. Le RSF a de nouveau annoncé son « engagement total pour un cessez-le-feu complet » dans les prochaines 24 heures, « à partir de six heures du soir aujourd’hui, mercredi, correspondant au 19/4/2023, jusqu’à six heures du soir demain, jeudi, 20/4/2023« . Le groupe a exhorté son adversaire, qui n’a pas encore commenté la proposition, à « respecter l’armistice conformément à l’heure annoncée« .

Selon Al Jazeera, alors que d’autres pays craignent une escalade du conflit, le comité des médecins soudanais a mis en garde contre une « paralysie du système de santé au Soudan« .

RT

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.


 

Soudan. Alignement des forces et acteurs en jeu


Par M.K. Bhadrakumar – Le 23 avril 2023 – Source Indian punchline

Le pire des scénarios est apparemment en train de se réaliser au Soudan. C’est en tout cas le message apocalyptique qui émane de Khartoum dans les médias occidentaux.

Le président Biden a accrédité cette perception alarmiste en confirmant que, sur son ordre, l’armée américaine a mené une opération « pour exfiltrer le personnel gouvernemental de Khartoum« . 

Selon le département d’État américain, environ 16 000 ressortissants américains se trouvent actuellement au Soudan. L’ambassade américaine à Khartoum disposait d’un effectif excessif – à l’égal de sa mission à Kiev – qui n’était pas justifié par l’ampleur et le volume des relations bilatérales entre les États-Unis et le Soudan, ce qui a donné lieu à des spéculations selon lesquelles il s’agissait d’un avant-poste clé pour les services de renseignement.

Dans la Corne de l’Afrique, les États du Golfe ont traditionnellement plongé dans les complexités de la projection de puissance, de la rivalité politique et du conflit autour de la mer Rouge, qui a récemment réapparu comme un espace géostratégique dans lequel des acteurs mondiaux et régionaux concurrents ont cherché à projeter leur influence.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, d’une part, et le Qatar et la Turquie, d’autre part, ont intensément rivalisé pour contrer l’influence de l’autre et projeter leurs rivalités sur la politique de la Corne de l’Afrique, mais, après des années de concurrence féroce, des signes sont apparus dernièrement indiquant qu’ils ont commencé à recalibrer prudemment leurs rôles respectifs.

La pression post-Covid sur leurs ressources financières, le retrait du Yémen et l’empressement des États du Golfe à apparaître comme des partenaires constructifs et fiables, adoptant une approche plus pragmatique sur les questions régionales – tout cela a contribué aux signes notables de détente qui ont remplacé l’intense compétition intra-Golfe dans la Corne de l’Afrique.

Au Soudan, les efforts saoudiens et émiratis pour façonner la transition politique après l’éviction d’Omar al-Bashir en avril 2019 ont abouti à des succès partiels mais aussi à des difficultés significatives, car ils ont coûté cher en termes de réputation, sous le regard de la population soudanaise et de la communauté internationale.

Les États-Unis et l’UE considéraient les pays du Golfe comme des partenaires utiles dans la Corne de l’Afrique en raison de leurs capitaux excédentaires à investir, dont les puissances occidentales ne disposaient pas, ainsi que de leurs bons réseaux personnels. L’accord faustien entre l’administration Trump, Israël et les États du Golfe pour attirer les dirigeants militaires soudanais dans l’accord d’Abraham en 2020 a été un moment décisif.

Toutefois, cette alliance s’est avérée de courte durée et le plan de jeu des puissances occidentales consistant à s’appuyer sur les États du Golfe pour contrer l’influence croissante de la Russie et de la Chine en mer Rouge a également connu un arrêt brutal, car le sol sous les pieds de l’alliance américano-saoudienne s’est profondément modifié sous la présidence de Biden et Riyad a commencé à renforcer ses liens avec Moscou et Pékin.

Cela a contraint les puissances occidentales à explorer la possibilité d’une plus grande coordination et d’un engagement constructif directement avec les généraux de Khartoum, en misant sur leurs propres efforts et ressources parallèlement au recalibrage de l’engagement des États du Golfe dans la Corne de l’Afrique.

En bref, le nœud du problème est que la conception occidentale de la stabilité et du développement durable au Soudan à travers le prisme de l’idéologie néocon qui imprègne l’administration Biden est au cœur de l’aggravation de la crise politique interne au Soudan qui couve depuis 2019 entre l’armée dirigée par le leader de facto Abdel Fattah al-Burhan et les formations armées dirigées par Mohammed Hamdan Dagalo.

Les règlements politiques immatures et irréalistes promus par les démocraties libérales occidentales ont considérablement alimenté les luttes intestines des militaires. Les tractations anglo-américaines se sont largement limitées au Conseil militaire de transition et aux Forces pour la liberté et le changement, une coalition informelle de groupes civils et rebelles soudanais triés sur le volet (par exemple, l’Association professionnelle soudanaise, l’initiative « Non à l’oppression des femmes« ) qui ne représentaient en aucun cas les forces nationales du Soudan. Sans surprise, ces tentatives néoconservatrices d’imposer des règlements exotiques à une civilisation ancienne étaient vouées à l’échec.

L’image véhiculée par les médias occidentaux, qui réduit la crise actuelle au Soudan à un conflit au sein de l’establishment militaire, est une simplification grotesque et une tentative de dissimulation. En clair, cette crise ne peut être réduite à un conflit personnel entre les deux généraux – Burhan et Hemedti – qui étaient amis depuis très longtemps.

La crise ne peut être résolue que par une « solution sécuritaire« , ce qui signifie un processus d’intégration impliquant les forces de soutien rapide de manière appropriée en tant que partenaire politique dans la gouvernance, et pas seulement en tant que force militaire affiliée à l’armée.

Il ne faut pas oublier que le Soudan est un vaste pays d’une grande diversité ethnique et régionale, peuplé de quelque 400 à 500 tribus. La stabilité du pays dépend essentiellement d’un modèle optimal d’interaction entre les élites et les clans.

Fondamentalement, ce qui motive les forces spéciales dans le conflit actuel, c’est leur espoir d’accroître leur importance dans le processus politique interne du pays. Il faut comprendre que le conflit actuel ne porte pas sur l’accès à une ressource militaire, mais sur le contrôle de l’économie et la répartition du pouvoir.

Par ailleurs, la gestion maladroite et inepte de la formation du nouveau gouvernement par le représentant de l’ONU, Volker Perthes, a largement contribué à la crise actuelle. Perthes, un penseur de l’establishment allemand, enflammé par l’idéologie néoconservatrice, n’était pas l’homme qu’il fallait pour mener à bien une mission aussi délicate.

Il s’agit là d’un nouvel exemple édifiant de l’héritage du secrétaire général des Nations unies, M. Guterres, qui préfère que les envoyés soient des Occidentaux dans les points chauds où les intérêts géopolitiques de l’Occident sont en jeu. La réunion de l’ONU du 15 mars a montré que le trop zélé Perthes était détaché de la réalité en précipitant le transfert du pouvoir de l’administration militaire à l’administration civile – au lieu de se concentrer sur l’aide à la formation d’un gouvernement et la création d’un comité chargé de rédiger une nouvelle constitution – ce qui, hélas, a provoqué l’intensification de la confrontation entre les parties belligérantes.

Le point positif est qu’il n’y a pas encore de signes de radicalisation dans ce conflit pour des raisons religieuses. Il n’y a pas non plus de vide de pouvoir qui pourrait être exploité par un groupe terroriste. Dans le même temps, la médiation de puissances extérieures est nécessaire.

Les pays de la région peuvent contribuer à la résolution du conflit. Un règlement global n’interviendra peut-être pas de sitôt, car les contradictions internes qui se sont accumulées au fil du temps exigent des compromis et, jusqu’à présent du moins, les parties ne sont pas prêtes à les accepter.

Dans le climat actuel de résolution des conflits qui entoure la politique régionale en Asie occidentale et dans le Golfe en particulier, il n’y a pas de conditions objectives pour que le conflit passe à l’échelle régionale. Les principaux pays associés aux factions belligérantes ont pris des initiatives de maintien de la paix – les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et l’Égypte.

En outre, d’autres partenaires extérieurs, en particulier la Russie et la Chine, s’efforceront d’empêcher un conflit ouvert prolongé. En effet, le Soudan a une dette extérieure de moins de 60 milliards de dollars, dont la majeure partie incombe à la Chine. La Russie, quant à elle, est bien placée pour favoriser le rapprochement entre al-Burhan et Dagalo.

La Russie adopte une position équilibrée. Lors de sa visite au Soudan en février, le ministre des affaires étrangères Sergey Lavrov a rencontré les dirigeants des deux camps opposés. La Russie est partie prenante de la stabilité du Soudan.

Le ministère russe des affaires étrangères a déclaré dans un communiqué : « Les événements dramatiques qui se déroulent au Soudan suscitent de vives inquiétudes à Moscou. Nous appelons les parties au conflit à faire preuve de volonté politique et de retenue et à prendre des mesures urgentes en vue d’un cessez-le-feu. Nous partons du principe que les différends peuvent être réglés par la négociation« .

Cependant, l’agenda anglo-américain reste douteux. Leur objectif est d’internationaliser la crise, d’injecter les rivalités des grandes puissances dans la situation soudanaise et de créer, bon gré mal gré, des prétextes pour une intervention occidentale. Mais toute tentative de raviver les braises du printemps arabe aura des conséquences considérables sur la sécurité et la stabilité régionales. Les États du Golfe et l’Égypte devront être particulièrement vigilants.

Le Soudan aurait figuré dans la conversation téléphonique entre le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman et le président russe Vladimir Poutine, vendredi dernier.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

 

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