Le Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT) vient de publier une étude sur la question : Comment Al Qaïda a tenté de récupérer le hirak (https://urlz.fr/mckd). Mokrane Aït Ourabi, du quotidien algérien El Watan fait le point sur la tentative avortée de cette organisation terroriste, née dans le maquis afghan, de faire main basse sur ce mouvement populaire spontané et pacifique.
Mokrane Aït Ouarabi (El Watan)
Le Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT), basé à La Haye aux Pays-Bas, a consacré un long article d’une trentaine de pages sur les tentatives de l’organisation terroriste Al Qaïda d’influencer le mouvement populaire hirak, de sorte à relancer ses funestes projets en Algérie et dans toute la région du Maghreb.
Intitulé «La stratégie algérienne d’Al Qaïda : tentatives de récupérer le hirak et de réhabiliter l’image du salafiste-djihadiste», cet article nous livre une analyse approfondie de la stratégie mise en place par cette organisation terroriste pour exploiter la colère des populations dans sa propagande officielle ciblant l’Etat algérien.
Préparée par Sammie Wicks, professeur auxiliaire de criminologie et de justice pénale, et Meili Criezis, assistante de recherche de The Polarization and Extremism Research and Innovation Lab (Peril) à American University, cette publication met en relief le fait qu’Al Qaïda a eu un vif intérêt pour le mouvement hirak dès son déclenchement en février 2019. Pour les besoins de leur article, les deux chercheurs ont examiné huit documents partagés par l’organisation Al Qaïda et sa «filiale» au Maghreb AQMI dans le contexte du hirak, publiés notamment sur les plateformes Telegram ou Rocket, ou Chat, ou encore sur leurs outils de propagande Al Andalus Foundation for Media Productions, Al Kifah Media et As-Sahab Media Foundation, entre février 2019 et janvier 2021. Le document souligne que le désir d’Al Qaïda d’influencer le hirak apparaît clairement dans les huit documents analysés, dont certains avaient des titres évocateurs, tels que «L’Algérie au sortir du tunnel sombre» ou «Et la bataille pour libérer l’Algérie continue».
Les chercheurs relèvent quatre grandes thématiques développées par Al Qaïda : le rejet du système, la gouvernance, l’unité et la continuité de la résistance. Elle a adopté toutefois des éléments de langage exempts de violence en tenant compte précisément du trauma des Algériens causé par le terrorisme qui sévissait durant la décennie noire mais laisse insinuer que la violence pourrait devenir nécessaire dans le futur.
Selon les auteurs de l’article, Al Qaïda faisait sien aussi le discours anticolonialiste en essayant de faire le parallèle entre l’Etat algérien et la France colonialiste, et surfait sur la vague de la dénonciation massive et active de la corruption dans le hirak pour s’attaquer au gouvernement algérien qu’elle qualifiait de «tyrannique».
Parmi ces documents analysés, il y a un communiqué de Abou Obeida Youssef Al Annabi, le chef d’AQMI, dans lequel il s’en prenait au «projet de l’Occident qui vise, entre autres, à détruire l’identité islamique de la nation algérienne, que les croisés français ont longtemps tenté de réaliser pendant la période coloniale. Et lorsqu’ils ont échoué à réaliser leurs projets, ils ont assigné cette sale mission à leurs agents qui sont parmi nous». Al Qaïda considérait que le but ultime du hirak devait être l’application de la charia.
Elle aurait aussi appelé le personnel militaire à se rebeller contre les dirigeants et se disait «très satisfaite» de l’évolution des événements, recommandant aux protestataires d’adopter la morale et l’éthique islamiques durant les marches et les manifestations. Elle leur promettait que «leurs frères moudjahidine dans le Maghreb islamique» seront leur «bouclier solide» et leur «digue résistante à toute attaque» contre eux ou contre les réalisations de leur «révolution». Elle espérait que ce mouvement fasse boule de neige et se propage dans d’autres pays de la région, à l’instar de la Tunisie, du Maroc, de l’Egypte et de la Libye.
Mise en échec d’Al Qaïda
L’article affirme qu’Al Qaïda a échoué à convaincre les protestataires du hirak, notamment en raison de leur attachement à l’armée comme institution et malgré le faible niveau de confiance en le gouvernement de l’époque.
Les deux chercheurs constatent aussi que les membres du hirak, représentant des courants politiques complexes, ont rejeté l’idée d’une théocratie islamique. «Bien que les islamistes aient participé aux manifestations du hirak, il n’y a pas eu d’appels pour remplacer le système de gouvernance par un autre système fondé sur la charia. Et il convient également de noter que les islamistes présents dans ces manifestations n’étaient pas des adeptes des idéologies salafistes-djihadistes», relèvent les auteurs de l’article.
Deux années après le hirak, au début de 2021, AQMI a lancé un appel à la poursuite de «l’insurrection» jusqu’au bout. Dans un communiqué publié le 17 janvier 2021 par le Jihadology, un centre d’études et de documentation américain sur le terrorisme, AQMI a affirmé que «l’histoire a démontré que les peuples qui mènent une révolution inaboutie ont plus à perdre que ceux qui restent inactifs. Les contre-révolutions seront plus fortes et dominantes (…)», regrettant que «les revendications légitimes de la révolte (hirak) se sont limitées à la réforme du système de gouvernance et non pas au déracinement du système».
Un appel qui n’a bien entendu pas eu l’effet escompté par cette organisation terroriste. Les deux chercheurs ont souligné que la stratégie de communication d’Al Qaïda en Algérie est la même que celle qu’elle a utilisée aux Etats-Unis pour tenter d’attiser les tensions raciales en exploitant les violences policières et les injustices dont étaient victimes des Noirs américains.
Le but recherché était d’aggraver la colère populaire pour provoquer des violences extrêmes qui plongeraient le pays dans le chaos. Si Al Qaïda a échoué dans sa tentative de manipuler le hirak, certains extrémistes religieux continuent leurs activités subversives, notamment sur les réseaux sociaux.
Des activités contre lesquelles le chef d’état-major de l’ANP, le général d’armée Saïd Chanegriha, avait mis en garde en mai dernier en affirmant que «des milieux hostiles tentent, comme à l’accoutumée, de porter atteinte à la sécurité et à la stabilité de la patrie, à travers des activités publiques suspectes et tendancieuses de fondamentalistes qui veulent, en vain, reproduire les mêmes méthodes barbares qui ont été la cause de la tragédie nationale dont notre pays a subi les affres au cours des années 1990 du siècle dernier, y compris la diffusion de discours extrémistes». «Ces tentatives de promouvoir les manifestations extrémistes seront inévitablement vouées à l’échec, tant il est vrai que notre valeureux peuple a définitivement tourné la page du passé douloureux et qu’il ne permettra en aucun cas de revenir, une fois de plus, aux années de sang et de feu», avait-il conclu.
Mokrane Aït Ouarabi (El Watan)
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