BFM au service de Sarkozy sur l’affaire des financements libyens
17 juillet 2024
10/07/2024 16:54 Actualisé le 10/07/2024 20:04
Comment BFMTV, Fogiel et Elkrief ont participé à l’opération « Sauver Sarko »
Mediapart révèle comment les têtes de pont de la chaîne d’info ont, en 2020, voulu mettre en scène les lignes de défense de Nicolas Sarkozy, empêtré dans l’affaire libyenne.
Par Marceau Taburet
Marc-Olivier Fogiel et Ruth Elkrief (à l’époque sur BFMTV) se sont mis au service de la communication de Nicolas Sarkozy.
YVES HERMAN/STÉPHANE DE SAKUTIN/LUDOVIC MARIN
Marc-Olivier Fogiel et Ruth Elkrief (à l’époque sur BFMTV) se sont mis au service de la communication de Nicolas Sarkozy.
POLITIQUE – Une journaliste de premier plan, officiant sur l’une des principales chaînes d’information du pays, peut-elle donner du « Je t’embrasse fort » à l’attachée presse d’un ancien Président de la République mis en examen pour association de malfaiteurs ? Le site d’information Mediapart révèle ce mercredi 10 juillet une série de SMS et de conversations téléphoniques, qui indiquent comment la chaîne BFMTV, et sa cohorte de journalistes-éditorialistes-stars, s’est alignée sur un plan de communication en faveur de Nicolas Sarkozy.
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Dans son article, Mediapart indique que tous ces messages ont pu être consultés par des juges d’instruction enquêtant sur la fausse rétractation de Ziad Takieddine – une enquête démarrée en 2021. Dans le cadre de ces investigations, les enquêteurs ont exploité les données d’un téléphone d’une personne clé de l’entourage de Nicolas Sarkozy : celui de Véronique Waché, sa chargée de communication. Ce sont ces conversations qui permettent à Mediapart de publier toutes ses révélations.
L’intéressée, Véronique Waché, regrette d’ailleurs le procédé, dans une réponse publiée également par Mediapart : « Mediapart publie des échanges ou messages téléphoniques que j’ai pu avoir avec des journalistes piétinant sans vergogne le secret d’une instruction que je ne connais pas, étant précisé que je ne suis ni mise en examen ni témoin assistée dans aucune procédure judiciaire quelle qu’elle soit », écrit-elle.
« Peux-tu appeler NS ? Je t’embrasse »
Tout commence le 16 octobre 2020, quand l’ex-locataire de l’Elysée est une nouvelle fois mis en cause dans l’affaire libyenne. Ruth Elkrief, alors l’un des visages de la chaîne, envoie un texto à Véronique Waché. « Chère Véronique, je suis là, je pense à vous, et si vous avez envie de vous exprimer je suis à votre disposition, on peut monter ce que vous voulez ! Je t’embrasse fort et transmets mes amitiés à NS », écrit Ruth Elkrief, selon Mediapart.
Une demande qui intervient avant un moment clé du dossier. Le 11 novembre 2020, le sulfureux Ziad Takieddine, accusé d’avoir joué un rôle d’intermédiaire entre Nicolas Sarkozy et l’ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi, se rétracte et dédouane l’ancien président français, dans une courte déclaration diffusée par BFM. Sauf que ce revirement n’est pas sincère et s’est fait en échange de plusieurs centaines de milliers d’euros, selon un chiffre donné par les enquêteurs en avril 2023.
Et Mediapart dévoile comment, à ce moment-là, BFMTV se met en branle pour décrocher une interview exclusive de Nicolas Sarkozy. « Coucou Ruth peux-tu appeler NS ? Je t’embrasse », textote Véronique Waché le jour même. La journaliste parlera durant plus de neuf minutes avec l’ex-chef de l’État selon Mediapart.
S’ensuit un échange de messages entre Marc-Olivier Fogiel, le directeur général de BFMTV, et l’attachée presse, qui traduisent une relation de proximité et d’entente plus que cordiale. « En diffusion, quel moment te semble le mieux ? », questionne Véronique Waché. Réponse du patron de BFMTV, selon Mediapart : « S’il parle à Ruth, on le multidiffusera. Donc peu importe la première diff j’allais te dire mais il pourrait par ex 19h d’abord […] Ce serait quoi ton calendrier ? » Dans un autre message, Marc-Olivier Fogiel insiste, toujours selon Mediapart : « Il faudrait faire ça demain matin et bastonner dès que c’est prêt ».
« On lui donne du caviar et elle mégote »
Ce même 11 novembre, BFMTV est en édition spéciale sur la rétractation de Ziad Takkiedine : la chaîne invite ses meilleurs éditorialistes, sort ses plus beaux bandeaux (« Takieddine change de version, dédouane Sarkozy »). Sur le plateau, l’éditorialiste Bruno Jeudy s’exprime sur l’affaire. La journaliste judiciaire de la chaîne Sarah-Lou Cohen lui fait face, et se veut la plus mesurée possible : elle rappelle à l’antenne que « l’affaire ne repose pas essentiellement sur le témoignage de Ziad Takieddine », selon Mediapart.
Bruno Jeudy échange pendant ce temps-là en direct par SMS avec l’attachée presse de Nicolas Sarkozy. Il s’en prend à sa collègue journaliste, présente à quelques mètres de lui. « On lui donne du caviar et elle mégote », écrit-il à Véronique Waché, selon Mediapart, avant de la critiquer sur le plateau également. « Tu l’as bien mouchée cette nullos », répond Waché à Jeudy, toujours selon Mediapart.
« Excellent !!! Merci ma chère Ruth ! »
Le plus surprenant arrive après la diffusion de l’interview de Nicolas Sarkozy par Ruth Elkrief, le 13 novembre. Un échange qui a été particulièrement tendu, selon les articles de presse à l’époque – dont celui du HuffPost, qui retranscrit l’échange entre l’ancien président et la journaliste.
« Un ancien président de la République, qui a un téléphone caché avec un faux nom, alors les plus gentils vont dire : ’c’est une affaire de cour de récréation’ ; et les plus méchants vont dire : ‘c’est une affaire de voyous’. (…) C’est très étrange quand même ? », lançait alors Ruth Elkrief.
La réponse de Nicolas Sarkozy était cinglante : « Madame, faites très attention au vocabulaire que vous employez, parce que je ne suis pas quelqu’un qui plaisante. Donc vous ne parlez pas de moi comme un voyou, parce que moi je pourrais dire aussi qu’inviter M. Takieddine chez BFM comme vous l’avez fait, c’est une affaire de voyous. Donc mesurez votre vocabulaire, et les choses iront beaucoup mieux. »
Pourtant, Mediapart révèle que l’interview en question n’a pas déplu à Nicolas Sarkozy. Selon le site d’investigation, les figures de BFMTV s’assurent que l’ancien président était satisfait de son passage chez eux. « Ruth et Marco très satisfaits. J’espère que toi et le chef aussi », textote ainsi Arthur Dreyfuss, le directeur général d’Altice Media, propriétaire de la chaîne à Véronique Waché.
Elle répond : « Oh super !!! Oui tout s’est très bien passé ! Important moment me semble-t-il ! » Ruth Elkrief et Marc-Olivier Fogiel font la même chose et demandent à la collaboratrice de l’ancien président si les échos sont « bons ». « Excellent !!! Merci ma chère Ruth ! Émission décisive pour nous », répond-elle. « Sincèrement, je l’espère du fond du cœur », répond alors la journaliste, selon Mediapart.
Des SMS « maladroits, non destinés au public »
Des échanges qui, s’ils avaient vocation à rester privés, révèlent l’ampleur de la collusion entre des acteurs de premier plan de la vie politique et médiatique. Auprès de Mediapart, Marc-Olivier Fogiel s’est défendu en expliquant que « les équipes travaillent en toute indépendance ». « Sur la séquence visée comme pour le reste aucune consigne évidemment n’a été donnée », se justifie-t-il.
Bruno Jeudy indique que ces SMS ont été envoyés « à chaud », sont « forcément maladroits, et non destinés au public ». Enfin, Ruth Elkrief – dont Mediapart publie également la réponse intégrale – explique : « Je vois d’abord un rebondissement dans une affaire de première importance et c’est en tant que journaliste que j’y vois une opportunité professionnelle ».
Sur les réseaux sociaux, les réactions indignées se multiplient. Notamment en provenance de journalistes. Mais aussi (plus rarement) de politiques. Le député LFI Aurélien Saintoul considère « qu’il ne faut pas oublier comment BFM a pu rouler pour Sarkozy. Le système médiatique agit au service du pouvoir. »
https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/une-enquete-de-mediapart-revele-les-coulisses-et-l-ampleur-de-l-operation-sauver-sarko-sur-bfm_236723.html