Les Palestiniens sont en guerre près d’un siècle
17 août 2014
Les Palestiniens sont en guerre depuis un siècle !
Il en résulte que les Palestiniens, nous dit Aline de Dièguez, sont aujourd’hui les victimes collatérales de la rédaction d’un vieux code de théologie et de morale rédigé il y a plus de vingt-cinq siècles par les prêtres héréditaires d’une petite tribu de nomades du sud de l’actuelle Palestine. Or, le droit international ne connaît pas d’Etat dont la définition se fonderait sur la religion ou la race. Le droit international public s’appelle également le «droit des gens» – le jus gentium, au sens latin de gens, la nation, le peuple. La Palestine étant une nation reconnue depuis 1919, aucun organisme ne possédait le pouvoir de la priver du droit universel des peuples à disposer d’eux-mêmes et ce droit est inaliénable. Ni la résolution 181, ni la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat à laquelle Yasser Arafat s’est résigné en 1988 n’ont de fondement en droit international public, car aucun peuple ne dispose du pouvoir absurde de parapher son propre auto-anéantissement. C’est ainsi que la Déclaration de 1988 est simplement «nulle et non avenue»…
Lisons la suite de l’argumentation de Aline de Dièguez. Laquelle nous avons déjà rencontré.
Michel Peyret
Aline de Diéguez : «Israël vit dans les vapeurs d’un rêve messianique»
ARTICLE | 5. DÉCEMBRE 2012
Algérie patriotique : En dépit de la réprobation de la communauté internationale, Israël s’est encore une fois arrogé le droit d’attaquer le peuple palestinien, violant délibérément la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU. Pourquoi cette impunité dure-t-elle depuis que l’Etat hébreu existe ?
Aline de Diéguez : Avant de répondre à vos questions, je veux mettre l’ensemble de mes réponses sous le signe du général Sun-Tzu. Dans son Art de la guerre (VIe siècle avant notre ère), le grand stratège chinois avait compris que l’intelligence du chef est la clé du succès : «La règle, c’est que le général qui triomphe est celui qui est le mieux informé.» Car «tout l’art de la guerre est basé sur la duperie.» Mais la connaissance ne doit pas se limiter au terrain : «Connais l’adversaire et surtout connais-toi toi-même et tu seras invincible.» Or, les Palestiniens sont en guerre depuis un siècle contre un ennemi qui a pour objectif de les déposséder de leur territoire, de leur identité et de leur nation ; et depuis un siècle, ils ont perdu toutes les batailles. Ce n’est évidemment pas par hasard. Quelles sont les armes qu’ils n’ont pas eues, celles qu’ils n’ont pas vues et quelles sont celles qu’ils n’ont pas su utiliser ?
Avant de parler des résolutions de l’ONU, je rappelle que l’article 22 du Pacte de la Société des Nations créée par le Traité de Versailles de 1919, et qui reprenait le 14epoint que le très sioniste colonel House, représentant du président Wilson, a imposé aux Européens, posait les principes généraux du régime du mandat. Il concernait les peuples des territoires encore incapables «de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne». Cet article paternaliste confiait la tâche d’assurer le bien-être et le développement, tâches constitutives d’une « mission sacrée de civilisation», à des pays tuteurs, c’est-à-dire « des nations développées, qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et consentent à l’accepter». Cet article définissait le périmètre des droits et des devoirs du mandataire et du mandaté, exercés sous le contrôle de la SDN.
Or, le paragraphe 2 de cet article 22 du Pacte de la SDN prévoyait une hiérarchie de la tutelle en fonction du « degré de développement des peuples considérés» et la Palestine figurait dans la catégorie A, aux côtés de la Syrie, du Liban, de l’Iraq et de la Transjordanie, catégorie qui concernait les territoires dont le niveau de développement était tel qu’il était possible de les considérer comme des nations indépendantes sous la seule réserve de l’application du mandat, c’est-à-dire de guide et de conseil dans l’administration. Le mandat n’était pas la colonisation, mais une simple gestion administrative temporaire.
C’est donc depuis 1919 que la Palestine jouit du statut de nation indépendante sous mandat anglais et la fin de la tutelle du mandataire en 1945 lui donnait pleinement droit à l’indépendance totale. Alors que les Israéliens ne cessent d’invoquer la fameuse déclaration Balfour qui date de 1917 et qui n’est qu’une lettre privée, manuscrite, dépourvue de toute valeur en droit international, quels sont les Palestiniens qui aient jamais invoqué l’argument de leur légitimité internationale et de leur statut officiel de nation indépendante depuis 1919 ? Aucun.
J’en viens aux résolutions de l’ONU. Vous invoquez une certaine résolution de l’ONU parmi les dizaines d’autres qu’Israël n’a pas respectées. Or, près de quatre-vingts – je dis bien quatre-vingts – résolutions de l’ONU condamnent expressément l’Etat hébreu et trente-neuf autres, tout aussi sévères, stigmatisent des comportements violents, illégaux et même sauvages, des violations patentes du droit et des conventions internationales, injustement et arbitrairement bloquées par un veto des USA dont on ne sait s’ils sont la tête ou la queue du binôme monstrueux qu’ils forment avec Israël. Vous trouverez la liste en note.
Alors qu’une seule résolution a suffi à provoquer le bombardement de la Libye et l’élimination de son dirigeant, pas une seule des cent vingt résolutions condamnant Israël n’a trouvé le plus petit commencement d’application. L’Etat sioniste poursuit donc tranquillement son travail de harassement d’un autre peuple, viole les lois et les conventions internationales, légalise la torture, y compris celle des enfants, n’hésite pas à prendre en otage des familles entières sous prétexte qu’un de ses membres est soupçonné du méfait de résistance ou d’appartenance au Hamas, pratique ouvertement des assassinats collectifs, des arrestations arbitraires et des exécutions extra-judiciaires.
Comme il n’y a pas eu de réaction internationale sérieuse après les nettoyages ethniques de masse de 1948 ou de 1967, cette politique se poursuit inexorablement depuis soixante ans et progresse d’année en année en intensité et en monstruosité. Il faut avoir entendu l’ambassadeur Israël à Paris de l’époque, Elie Barnavi, balayer d’un revers de la main et sur un ton méprisant l’une des condamnations en la qualifiant de «rituelle» pour mesurer leur effet sur les politiciens de cet Etat qui poursuit tranquillement les vols de terre et la colonisation.
Cette obstination dans la violence possède sa propre motivation interne. Les Palestiniens n’ont pas compris que le cerveau de leurs bourreaux fonctionne sur un autre mode que celui du reste de la planète et que l’Etat qu’ils essaient d’imposer est une mythologie qui a cru pouvoir se réincarner dans l’Histoire. Face à cette réalité mythique, les arguments de politique rationnelle sont de peu de poids. Les autres Etats de la planète non plus n’ont pas intégré cette réalité anthropologique.
Ayant vécu dans les vapeurs d’un rêve messianique durant des siècles, cet Etat projette sur le monde qui l’entoure la géographie mentale qu’il porte dans sa cervelle depuis deux mille ans, et il prétend non seulement substituer sa réalité mythologique au monde dans lequel il a débarqué, armé jusqu’aux dents et fort du soutien militaire et financier des banquiers anglo-saxons, mais imposer ses phantasmes théologiques à la planète entière.
C’est ainsi qu’aujourd’hui même, dans les pseudo-négociations auxquelles se prête rituellement le gouvernement israélien afin de gagner du temps, il affirme tranquillement que «le droit international n’a rien à voir» avec la guerre qu’il mène contre le peuple palestinien, parce qu’il possède «un titre de propriété sur Eretz Israël» (la terre d’Israël). Il ne s’agit donc pas pour lui de «rendre des territoires», mais de consentir généreusement à «en donner».
Seuls les ignorants de la psychologie messianique des dirigeants et de la masse de la population israélienne peuvent s’étonner de la réponse méprisante de Benjamin Netanyahou à la suite de la menace de la France et de l’Angleterre de convoquer les ambassadeurs israéliens après la décision de l’Etat hébreu de construire une nouvelle colonie en Cisjordanie forte de trois mille logements, suite à la démarche de la Palestine à l’ONU.
Il en résulte que les Palestiniens sont aujourd’hui les victimes collatérales de la rédaction d’un vieux code de théologie et de morale rédigé il y a plus de vingt-cinq siècles par les prêtres héréditaires d’une petite tribu de nomades du sud de l’actuelle Palestine. Or, le droit international ne connaît pas d’Etat dont la définition se fonderait sur la religion ou la race. Le droit international public s’appelle également le «droit des gens» – le jus gentium, au sens latin de gens, la nation, le peuple. La Palestine étant une nation reconnue depuis 1919, aucun organisme ne possédait le pouvoir de la priver du droit universel des peuples à disposer d’eux-mêmes et ce droit est inaliénable. Ni la résolution 181, ni la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat à laquelle Yasser Arafat s’est résigné en 1988 n’ont de fondement en droit international public, car aucun peuple ne dispose du pouvoir absurde de parapher son propre auto-anéantissement. C’est ainsi que la Déclaration de 1988 est simplement «nulle et non avenue».
Certes, une guerre et un traité de paix peuvent se conclure par le rapt d’une portion du sol d’un Etat à son propriétaire ; mais ce coup de force n’est jamais légitimable en droit pur et demeure toujours récusable. C’est ainsi que la France a reconquis l’Alsace et la Lorraine par la force des armes en 1918. De même, une grande partie de la Palestine a été conquise par des colons, mais les territoires perdus peuvent être reconquis et revenir à leurs légitimes propriétaires.
Le gouvernement israélien accuse le Hamas d’être le principal coupable dans cette guerre, tandis que les Occidentaux l’assimilent – à demi-mot – à une organisation terroriste. Que représente le Hamas pour vous qui militez aux côtés des Palestiniens ?
La politique ne connaît qu’un certain type de force, celui que les physiciens appellent la «force résistante». L’expansion impériale ne s’arrête que lorsqu’elle rencontre un mur, c’est-à-dire une résistance, ou qu’elle déraille, c’est-à-dire qu’elle s’autodétruit. La première et la plus classique de ces forces est la résistance des peuples envahis ou conquis, mais ce n’est pas la seule. Ainsi, grâce à ses petites roquettes artisanales qui ne font pas de gros dégâts, mais créent la panique dans les localités frontalières, Ghaza la vaillante et la résistante tient tête à un occupant monstrueusement armé. Lors de la dernière ruée de l’armée des occupants, Ghaza a même réussi à envoyer une bonne partie de la population israélienne, y compris le gouvernement tout entier, se terrer dans des abris ou des canalisations.
Malgré les tentatives de l’occupant de l’affamer, de l’empoisonner ou de la terroriser, de la bombarder cruellement d’une manière répétitive, les mouvements de résistance à Ghaza viennent de réussir à imposer un cessez-le-feu, plus ou moins à leurs conditions, ce qui, dans ce type de rapport de force, constitue une victoire. Les dirigeants de Ghaza ont été très légitimement élus. Il se trouve que le Hamas est arrivé en tête. C’est ainsi. Faut-il ne respecter le résultat d’un vote démocratique, donc de la volonté du peuple, que s’ils répondent aux vœux de tel ou tel Etat étranger ?
Mais le Hamas n’est pas le seul mouvement de la résistance palestinienne et ce n’est pas militairement le plus actif. La loi internationale reconnaît à un peuple occupé le droit de se défendre par tous les moyens, y compris par la force. La résistance palestinienne est donc parfaitement légitime. Les déclarations de l’occupant sont sans valeur aucune. Les colons européens ont bafoué tous les traités qu’ils ont signés avec les Indiens d’Amérique du Nord et du Sud et ont fini par exterminer l’immense majorité des autochtones amérindiens, puis à parquer les survivants dans des enclos appelés «réserves». Voilà un bel exploit de la «civilisation» occidentale. Israël s’inspire du même modèle et il croit que ses mesures coercitives, de plus en plus violentes, finiront pas dompter la résistance de ses indigènes.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
Prochaine partie : «Le sionisme puise sa puissance des banques anglo-saxonnes»