Elles sont une soixantaine de familles syriennes à stagner là dans des conditions sanitaires déplorables. Entre surabondance de dons de citoyens et manque d’organisation administrative, la situation des Syriens de ce camp de réfugiés devient critique, avec un risque sanitaire qui croît de jour en jour. Reportage.
Par Nadia Sweeny (revue de presse : Zaman France – 24/9/15)*
Gale, angines blanches et rouges, conjonctivites, diarrhées, escarres, herpès, dents mal soignées, infections en tout genre… la liste des maladies liées au manque d’hygiène et d’organisation s’allonge de jour en jour.
«Il y a des dons de Doliprane mais ils n’ont pas l’habitude d’en prendre et du coup, ils ont des occlusions intestinales, déclare Mehdi, infirmier qui passe quotidiennement prendre la température. On est complètement dépassés par ce qu’il se passe ici et rien ne s’organise. Ils n’ont pas de moyens de se laver correctement, il n’y a pas de sanitaires : ils font leurs besoins dans le parc ou là, entre les voitures !».
«Ils ont quasiment tous la gale !»
Les pouvoirs publics n’ont rien installé pour leur permettre de décemment survivre ici, entre le ballet des voitures qui entrent et sortent de la capitale, au pied de l’hôpital Bichat, l’un des plus grands d’Europe. Une mère s’approche, une bouteille d’Advil pour nourrisson à la main. Elle se plaint que son enfant a mal à la gorge quand il avale : les signes de l’angine. Un enfant sort d’une tente, couvert de boutons rouges : la varicelle. «Ils ont quasiment tous la galle ! renchérit Claire, membre du collectif venant en aide aux réfugiés de la Porte de Saint-Ouen. Il faut leur amener des gants et du gel antibactérien».
Parmi la centaine des personnes vivant ici, un grand nombre sont des femmes et de jeunes enfants, parfois nés en cours de route, en Turquie il y a deux ans pour Nessrine, au Maroc il y a six mois pour Ali.
Arrivés il y a quelques semaines de Homs, Alep, Lataquia, Tartus, Idleb ou encore Damas, ils fuient le régime de Bachar-al-Assad pour certains, la guerre pour d’autres.
11,40 euros par jour et par adulte
Beaucoup sont en cours de demande d’asile mais les lenteurs administratives, la barrière de la langue et la multiplicité des acteurs associatifs ou des interlocuteurs administratifs, retardent l’obtention du sésame qui permet la prise en charge de leur famille.
Beaucoup veulent partir de France où ils estiment la situation trop difficile. Ils veulent tenter leur chance en Belgique ou en Allemagne.
Mais dès lors que leur demande est enregistrée dans un pays, ils ne peuvent plus y prétendre dans un autre pays. Ils sont coincés.
En France, le récépissé donné aux Syriens leur donne accès à 11,40 euros par jour et par adulte.
Une somme dérisoire pour loger et nourrir une famille. «Moi j’ai fait une demande hier soir au camion de l’Unité Mobile de Coordination (affrété depuis seulement hier par la Mairie de Paris), annonce Bilal, 18 ans, originaire de Homs. Je resterai ici le temps d’avoir une réponse».
Les difficultés de l’administration
Ce statut de réfugié peut mettre jusqu’à deux ans pour être délivré. En attendant, ils restent dans une précarité absolue.
«J’ai peur qu’on doive faire face à une crise sanitaire aigüe, s’alarme le docteur Patrick Bouffard, cardiologue à l’hôpital Bichat qui constate chaque jour l’ampleur des dégâts. C’est la pagaille. Nous avons contacté les services municipaux que l’on doit rencontrer en urgence, nous avons fait remonter l’information à l’ordre des médecins et l’Agence Régionale de Santé. Pour le moment, Médecins du Monde fait des maraudes sanitaires régulières : mais on ne peut pas les soigner dans la boue ! La direction de l’hôpital Bichat réfléchit à organiser un accueil spécifique aux réfugiés malades. Nous ne savons pas encore combien de places nous allons pouvoir libérer : il est trop tôt pour le dire. Mais la seule réelle réponse pérenne ne peut venir que de l’administration».
Or l’administration a bien du mal à faire face à l’urgence de la situation.
Les services sociaux sont débordés et il n’y a plus de places d’hébergements d’urgence.
«On est complètement débordés !»
Les familles qui ne se déplacent pas à la CAFDA, Coordination de l’Accueil des Familles Demandeuses d’Asile, dépourvue d’équipes de maraudes, n’ont pas de prise en charge familiale spécifique. Et même cette plateforme de demandeurs d’asile, la plus importante en France, est déjà submergée de demandes. «On a fermé au public du 14 au 18 septembre et on ferme de nouveau du 5 au 9 octobre pour accueillir spécifiquement les primo-arrivants, majoritairement des Syriens, explique-t-on à la CAFDA. On est complètement débordés !».
Même son de cloche aux Permanences Sociale d’Accueil (PSA) de Paris qui utilise les réseaux du 115 pour tenter d’héberger les demandeurs. «On n’a plus de place pour héberger les familles !», insiste-t-on au PSA Chemin Vert, spécialisé dans l’accueil de femmes et des familles.
«On n’aide pas les réfugiés : on les traite comme des sans-papiers, s’emporte une assistante sociale d’un service départemental de Paris, sous couvert d’anonymat. Déjà les Français, ça fait deux ou trois ans qu’on ne peut plus les aider, alors si en plus les demandeurs n’ont pas de papiers, ou juste un récépissé de demande d’asile, ils n’ont le droit à rien de notre part ! Depuis une dizaine de jours, on a reçu la consigne de renvoyer les Syriens et les Libyens vers les Permanences Sociales d’Accueil qui sont déjà complètement saturées. On devait ouvrir des gymnases et on ne l’a pas fait. On devait lancer le plan grand froid pour libérer des places supplémentaires dans les Centre d’hébergement, on ne l’a pas fait !».
A la porte de Saint-Ouen c’est la confusion. Beaucoup de familles dorment sur place, alors que d’autres Syriens, souvent régularisés et pris en charge, viennent visiter leurs connaissances, traîner-là et parfois mendier. Difficile dans ce contexte de faire la différence entre ceux qui sont pris en charge et ceux qui sont en attente.
Les associations comme «Une Chorba pour tous» viennent chaque soir de la semaine, distribuer des repas chauds aux réfugiés.
Le gaspillage des dons
Des dons anonymes de citoyens s’entassent ici et là. Beaucoup de vêtements et de nourriture qui seront finalement jetés, éparpillés au pied des arbres ou entre les voitures, par manque de moyens de stockage.
«Il y a une abondance de dons qui ne sont pas organisés et le gaspillage est énorme !», s’indigne Claire, du collectif citoyen local.
Entre gaspillage et manque de prise en charge administrative, la situation des réfugiés syriens de la Porte de Saint-Ouen est devenue non seulement critique, mais aussi complètement absurde.
Photo : Entrée du camp de réfugiés de la Porte de Saint-Ouen, à Paris
Source et titre original : Réfugiés de la Porte de Saint-Ouen : du péril sanitaire aux défaillances sociales