Victimisation au pays de Voltaire
1 mars 2016
Victimisation au pays de Voltaire
Catherine Shakdam – 16 février 2016
Source : http://www.epictimes.com/catherineshakdam/2016/02/france-the-police-state-and-the-intellectual/
On dit que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Dans le cas de l’état d’urgence français, c’est le chemin de la liberté qui est jonché de bâillons et de chaînes. Pour un enseignant en particulier : M. Salah Lamrani a appris ce qu’il en coûte de vouloir parler « en français ».
La France n’en finit pas de projeter cette aura de fermeté démocratique qu’elle affectionne : elle donne des leçons au monde sur la façon dont les pays doivent se comporter et se gouverner, et elle le fait en raison de l’histoire hautement colorée d’une République qui représenterait la Liberté, l’Égalité et la Fraternité, alors qu’en réalité, elle est en train de devenir le tyran même contre lequel elle met les autres en garde.
État policier se cachant sous le vernis de la sainteté démocratique occidentale, la France est véritablement un état raciste et intolérant, visant au contrôle total : politique, social, économique, intellectuel… On n’y peut pas non plus ignorer la sphère religieuse. Au pays de Voltaire, il n’est pas bon de prononcer ouvertement le mot Dieu ; mieux vaut nier son existence et sacrifier plutôt sur l’autel de la « laïcité ».
Alors que la France a un jour été synonyme de liberté, l’État français jongle à présent avec des libertés sélectives. Paris est même très activement occupé à réduire autant que faire se peut les quelques droits dont les civils sont encore autorisés à jouir. Ah, qu’elle est belle, la Marianne d’aujourd’hui ! Ah, qu’elle est forte, la Ve République !
Que reste-t-il à dire d’un État qui persécute ses intellectuels et ses enseignants ? Que reste-t-il à dire d’un système qui pratique la chasse aux sorcières et le terrorisme intellectuel, en s’acharnant sur ceux qui osent ne pas être d’accord avec l’establishment ?
Est-ce que le diktat intellectuel n’est pas la marque même de la dictature ? La France a-t-elle donc perdu toute sa fierté républicaine et son identité, pour soumettre ainsi à des manœuvres de basse police ses enseignants les plus fervents, au nom du conformisme politique ?
En février 2016, M. Salah Lamrani, qui enseigne la littérature française en région parisienne, dans un collège de Seine-Saint-Denis [Romain Rolland, à Tremblay-en-France], a été injustement et illégalement suspendu de ses fonctions pour quatre mois, sous le fantasmagorique prétexte qu’il aurait des « tendances radicales ».
M. Lamrani, dont le dossier professionnel ne présente pas l’ombre de la moindre tache, illustre ici à son corps défendant la descente de la France dans le fascisme ultra-chauvin – au sens nouveau que la France doit se montrer puritaine et absolue dans la revendication de ses valeurs – même si cela signifie… surtout si cela signifie réduire au silence ceux qui osent vivre le pluralisme comme un droit divin.
Tout a pourtant commencé avec l’amour d’un professeur pour l’écriture et avec sa passion pour la langue française… Et voilà qu’une tradition qui a fait cadeau au monde de gens comme Jean-Jacques Rousseau, Emile Zola et Charles Baudelaire, s’est aujourd’hui réveillée tyran, interdisant toutes pensées, mots et philosophies, brandissant la peur et la répression pour mieux brutaliser les prétendus dissidents, qu’elle ne veut pas seulement réduits au silence mais politiquement uniformisés.
Penseur libre, M. Lamrani s’est retrouvé en conflit avec un directeur d’école étroit d’esprit, à la fois produit et outil du « système », pour avoir osé exprimer son opinion sur des choses telles que la politique en général et la politique étrangère en particulier sur son blog personnel, c’est-à-dire en dehors de la sphère dont son établissement puisse revendiquer le contrôle à son égard. Cela ne l’a pas empêché d’être sanctionné.
Lamrani conteste ouvertement l’état d’urgence en France. Il a même osé affirmer qu’à son avis, la Russie et l’Iran sont deux pays qui se plient rigoureusement aux lois internationales en résistant à Daech en Syrie. Opinion qui lui a valu d’être comparé à ces mercenaires hétéroclites dont les lames sanguinolentes n’inspirent que répulsion et dégoût.
Dans une interview qu’il m’a accordée le 14 février, M. Lamrani m’a expliqué comment ses ennuis sont venus de l’implacable autoritarisme dont les dirigeants de son école ont fait preuve à son égard.
« J’ai été suspendu sans que la moindre enquête ait été diligentée et en dépit du fait que je me sois plaint du harcèlement moral auquel m’a soumis la direction de mon école, qui n’approuve pas mes activités de syndicaliste et de blogueur et qui m’a publiquement accusé d’être un dangereux terroriste. »
Par les temps qui courent, il ne faut absolument pas que de telles plaintes soient prises à la légère, ne fût-ce que pour les suites dramatiques qui en résultent – au moins en ce qui concerne la sécurité personnelle et la liberté de M. Lamrani.
Les « crimes » de M. Lamrani ont consisté à dénoncer la répression d’État, et à exprimer des vérités politiques personnelles, à partir d’une tribune qui était la sienne, en dehors des heures de classe et sans la moindre incidence sur son travail d’enseignant.
Parce qu’une directrice – une certaine Mme Khadija BOT – s’est imaginée dans le rôle de gardienne du sérail, bref, s’est auto-désignée porte-parole en chef de l’Éducation Nationale, la vie et l’avenir d’un homme sont aujourd’hui menacés. Parce qu’une personne détenant une petite parcelle d’autorité a choisi de calomnier et de diffamer pour affirmer son « pouvoir », un professeur de valeur a été mis au ban de sa communauté de travail et a été évité par ses collègues. Sans la moindre bribe de preuve et sans que les autorités de tutelle daignent ouvrir une enquête sur son prétendu « radicalisme », un homme a été dépouillé de sa dignité professionnelle.
C’est cela le véritable état d’urgence de la France. Comment elle traite ses nationaux, comment elle entend régler leur compte au libre-examen et à la probité intellectuelle. La France a beaucoup à apprendre au monde en matière de totalitarisme.
Carte postale à adresser au Rectorat (isabelle.chazal@ac-creteil.fr)
Mais si M. Lamrani a perdu une bataille contre l’establishment, il n’accepte pas sa défaite. Il est tout à fait déterminé au contraire à démasquer le système qui attente à sa liberté et qui a essayé de le réduire au silence, afin que d’autres apprennent à parler sans entraves.
Jean Jaurès n’a-t-il pas dit :
« … tous nous sommes exposés à oublier qu’avant tout nous sommes des hommes, c’est-à-dire des consciences à la fois autonomes et éphémères, perdues dans un univers immense plein de mystères ; et nous sommes exposés à oublier la portée de la vie et à négliger d’en chercher le sens ; nous sommes exposés à méconnaître les vrais biens, le calme du cœur, la sérénité de l’esprit. »
Essayer de les atteindre, n’est-ce pas cela la révolution ?
Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades.