Des citoyens votent dans un bureau de vote lors des élections primaires présidentielles américaines, le 26 avril 2016 à Philadelphie (AFP)
Trump est contre une intervention militaire au Moyen-Orient, tandis que Clinton est une néoconservatrice militariste ; en revanche, tous deux soutiennent Israël
En ce qui concerne les candidats à la présidence des États-Unis et la politique étrangère, cela semble à première vue être une évidence.
Hillary Clinton, la candidate démocrate, est expérimentée, compétente et intelligente et est une internationaliste reconnue et respectée dans le monde entier. En revanche, Donald Trump, le champion du Parti républicain, a l’habitude de dégainer au quart de tour et de se tirer des balles dans le pied. Il semble désemparé face aux complexités du monde et emploie un discours téméraire et ultranationaliste pour expliquer comment il écrasera ses ennemis et poussera les alliés des États-Unis à se contorsionner.
Cette posture suscite partout la peur et beaucoup se demandent si la population américaine dans son ensemble ne traverse pas actuellement un épisode psychotique.
Pourtant, un examen plus approfondi des candidats rend le choix entre les deux moins évident et plus intéressant, à défaut d’être plus encourageant, en particulier si l’accent est mis sur ce que l’élection pourrait signifier pour le Moyen-Orient.
Trump, plus ou moins opposé à une intervention
L’une des rares positions cohérentes prises par Trump sur le Moyen-Orient est son profond scepticisme au sujet des interventions à des fins de changement de régime dans la région, en particulier en Irak et en Libye, et vis-à-vis des illusions coûteuses des anciens présidents sur les politiques visant à produire des démocraties.
Toutefois, si l’on prend la peine de vérifier ce que Trump avait à dire sur ces mêmes questions il y a quelques années, on trouve des incohérences maladroites et attendues dans ses déclarations antérieures. Son opposition clamée haut et fort à l’occupation américaine de l’Irak n’est étayée par aucune déclaration faite à l’époque. En réalité, interrogé six mois avant la guerre par le présentateur radio de droite Howard Stern quant à savoir s’il soutenait l’invasion de l’Irak, il avait répondu : « Oui, je pense. » Peu après l’invasion, il a semblé avoir changé d’avis.
Pourtant, son opposition actuelle à la diplomatie interventionniste a été un thème récurrent tout au long de la campagne présidentielle, résumé en ses propres termes : « Après quinze ans de guerre au Moyen-Orient, après des milliers de milliards de dollars dépensés et des milliers de vies perdues, la situation est pire qu’elle ne l’a jamais été. »
Il est probable que Trump s’oppose à une intervention au Moyen-Orient à moins qu’il existe un lien clair avec une menace terroriste dirigée contre les États-Unis, provenant soit de l’État islamique, soit éventuellement d’al-Qaïda dans la péninsule arabique.
Clinton, en faveur de la guerre et des dictateurs
Clinton présente un bilan belliciste en matière de politique étrangère, qu’elle a essayé de dissimuler au cours de la campagne des primaires, alors que son rival Bernie Sanders avait des opinions progressistes étonnamment semblables à celles de Trump sur la question de l’intervention militaire au Moyen-Orient.
Pendant le mandat de la secrétaire d’État Clinton, entre 2009 et 2013 – lors duquel elle a façonné la politique américaine vis-à-vis de la Russie, de la Chine, de l’Afghanistan et du Moyen-Orient –, elle a poussé à plusieurs reprises le président Barack Obama à adopter une approche plus militariste, de manière plus visible en ce qui concernait l’engagement militaire américain en Libye et en Syrie.
Il convient également de souligner que la grande stratégie régionale de Clinton était fondée sur le maintien de dictateurs amis au pouvoir, même face à des soulèvements massivement populaires. Cette approche a été clairement illustrée par ses efforts vigoureux pour épauler le président égyptien Hosni Moubarak lors de ses heures difficiles avec le peuple égyptien en 2011.
Elle a également clairement soutenu l’invasion de l’Irak en 2003 – la décision la plus désastreuse en matière de politique étrangère américaine depuis que les États-Unis se sont engagés du côté des perdants de la guerre au Vietnam – même si elle minimise désormais sa position.
Non seulement l’invasion a apporté la mort, la dévastation, des déplacements massifs et un chaos durable à l’Irak et à son peuple, mais la longue occupation dirigée par les Américains a également semé le désordre au-delà des frontières de l’Irak et contribué à la naissance et à la montée de l’État islamique.
Le cauchemar nucléaire
Pourtant, malgré les erreurs de jugement politiques de Clinton au Moyen-Orient, le monde ne se porterait-il pas mieux avec sa main ferme, surtout lorsque l’alternative est représentée par les pulsions sauvages de Trump ?
En effet, la boutade macabre lancée par Hillary Clinton lors de son discours à la Convention nationale démocrate le mois dernier a mis le doigt de manière frappante sur ce que cette distinction pourrait signifier : « Un homme que vous pouvez appâter avec un tweet n’est pas un homme auquel vous pouvez confier des armes nucléaires. »
Cette inquiétude se renforce lorsque l’on se rend compte qu’il n’y a pas de système de contrôle limitant la capacité d’un président américain à utiliser des armes nucléaires – et que les alliés des États-Unis à travers le monde, en dépit de leur énorme intérêt, ne jouent aucun rôle déterminant quant à l’issue de l’élection. Il est peut-être temps de penser à émanciper le reste de la planète si l’on veut vraiment que l’idéal de la démocratie mondiale et de la primauté du droit gagnent du terrain sur le plan politique.
Trump a fait plusieurs affirmations au sujet des armes nucléaires qui remettent non seulement en cause plusieurs décennies de sagesse conventionnelle occidentale, mais éveillent également un sentiment de peur dans le cœur des gens, où qu’ils soient, y compris au Moyen-Orient.
Préoccupé à l’idée de conserver les ressources financières américaines, Trump a suggéré que laisser le Japon et la Corée du Sud développer leurs propres armes nucléaires, puis prendre la responsabilité de leur propre sécurité, pourrait ne pas être une mauvaise chose.
« Pourquoi ne pouvons-nous utiliser d’armes nucléaires ? », aurait-il demandé à un ami. Il est vrai que ces affirmations ne sont pas nécessairement une indication de ce que Trump ferait en tant que président au Moyen-Orient ; pourtant, celles-ci ne doivent pas être ignorées.
Unis contre l’accord iranien
Trump est opposé à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, probablement l’initiative diplomatique la plus constructive adoptée au cours des huit années de présidence d’Obama. Trump pense qu’il s’agit d’un accord épouvantable qui « a rendu à l’Iran 150 milliards et [qui] ne nous a rien donné ».
Le fait de déchirer l’accord ou même ne pas remplir les engagements prévus par celui-ci risque de défaire la relation de l’ensemble de la région avec Téhéran et pourrait tenter Israël de lancer une attaque préventive contre les installations nucléaires de l’Iran ou donner lieu à une course à l’armement nucléaire extrêmement dangereuse au Moyen-Orient.
Il convient de noter que Trump et Clinton sont tous deux attachés si fermement au mât de l’alignement pro-israélien qu’ils se montrent insensibles aux attraits de la promotion d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient. Cette proposition, qui bénéficie du soutien de tous les gouvernements du Moyen-Orient, à l’exception d’Israël, contribuerait probablement plus que toute autre initiative à stabiliser la région.
Les appuis néoconservateurs de Clinton
Mais la croyance selon laquelle Clinton serait plus fiable que Trump pourrait davantage être considérée comme une question de forme que de fond. Selon des informations, elle a soulevé la possibilité de donner à Israël le feu vert pour attaquer l’Iran pendant son mandat de secrétaire d’État.
Il est aussi inquiétant de constater son admiration de longue date et non dissimulée pour la sagesse retorse d’Henry Kissinger et même pour celle de Robert Kagan, considéré comme le membre le plus militariste du cercle intérieur néoconservateur. Kagan a appuyé Clinton et est le conseiller le plus visible de son groupe d’experts en politique étrangère, en dépit de liens antérieurs étroits avec les républicains.
Trump présente ses rencontres avec Kissinger comme une sorte de certificat de mérite qui transcende son amateurisme dans les hautes sphères politiques. Pourtant, ses opinions adoptent des lignes de pensée qui sont probablement inadmissibles pour ce vieux maître de la realpolitik.
Clinton a évidemment réfléchi bien plus profondément et bien plus longuement à ces questions. Cherchant à plaire à tous les camps, elle a adopté ce qu’elle qualifie de « puissance intelligente » (smart power), un mélange personnalisé de puissance « dure » (hard power) et de puissance « douce » (soft power) censé être sensible à la complexité de l’élaboration de la politique étrangère au début du XXIe siècle.
Entre certitudes et inconnues
Compte tenu de toutes ces informations, pouvons-nous prédire quelle serait la politique au Moyen-Orient d’une présidence sous Clinton ou sous Trump ?
Il est possible de faire des suppositions plus fiables à propos de Clinton parce qu’elle a déjà clairement spécifié une partie de ses positions, notamment une escalade du soutien à la Syrie opposée à Assad, un durcissement des négociations diplomatiques avec l’Iran – comme on le voit à travers l’accord sur le nucléaire – et la poursuite du développement de la relation spéciale avec Israël.
En outre, son administration se réengagerait probablement à déployer davantage de forces militaires américaines en Irak et à lancer une action militaire particulièrement robuste contre l’extrémisme politique dans toute la région.
En revanche, il se pourrait que Trump se livre à ses penchants néo-isolationnistes, probablement en prenant une direction politique opposée à travers le retrait des forces de combat américaines et le déclassement de bases militaires dans la région. Dans les faits, il se détournera du Moyen-Orient.
L’exception semblerait être sa promesse extravagante consistant à écraser l’État islamique, quoi que cela puisse signifier en pratique. L’idée connexe d’imposer une interdiction absolue de l’immigration musulmane aux États-Unis devrait avoir des répercussions désastreuses en attisant les flammes du mécontentement de la civilisation musulmane.
Si l’élection d’un président américain se jouait seulement sur la question du Moyen-Orient, je choisirais mon candidat à pile ou face – mais ce n’est pas le cas.
Lorsque la scène politique nationale est prise en compte, ainsi que le reste du monde, c’est alors Clinton qui prend clairement l’ascendant, à moins que l’on soit dégoûté au point d’écrire Bernie Sanders sur le bulletin de vote ou d’accorder un vote de conscience à Jill Stein, la candidate du Parti vert.
Personnellement, je ne suis pas encore certain de mon choix.
– Richard Falk est un spécialiste en droit international et relations internationales qui a enseigné à l’Université de Princeton pendant 40 ans. En 2008, il a également été nommé par l’ONU pour un mandat de six ans en tant que Rapporteur spécial sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens.
Traduit de l’anglais (original)
Source: MEE