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22 novembre 2024

Israël, seule puissance nucléaire au monde qui n’ait jamais procédé à un seul essai de sa bombe ?



Il y a quelques jours, la Corée du Nord a procédé à un essai d’arme nucléaire. C’était le cinquième, l’engin ayant semble-t-il une puissance proche de celle de la bombe lancée par l’U.S. Air Force sur la ville japonaise d’Hiroshima le 6 août 1945. L’annonce de cet essai a été accueillie par un concert de protestations et de condamnations unanimes, les médias en faisant très grand cas.

Depuis 1945, les États-Unis ont procédé à plus de 1.000 essais nucléaires. L’Union Soviétique en a réalisé plus de 700, la France plus de 200, la Chine et le Royaume-Uni 45 chacun, ceux de l’Inde et du Pakistan se comptent sur les doigts de la main. Mais de puissance nucléaire qui ait réalisé ZÉRO essai, il n’y en a aucune.

Sauf Israël ?

L’existence d’un arsenal nucléaire israélien est un secret de polichinelle : jamais Israël ne l’a ni avoué ni démenti, mais peu à peu les conditions dans lesquelles l’arme atomique a été introduite au Moyen-Orient par les sionistes, avec l’aide financière de l’Allemagne, la complicité politique de la Grande-Bretagne et l’aide active – tant technologique que politique – de la France (et singulièrement de “socialistes”), ont été révélées. Voir à ce propos notre précédent article, ainsi que “Comment la France livra l’arme atomique à Israël”. Dans des courriers électronique qui viennent d’être révélés par des fuites, l’ancien Secrétaire d’État des États-Unis Colin Powell affirmait qu’Israël dispose de 200 têtes nucléaires. Il y a donc très peu de place pour le doute à ce propos.

Or, d’essai nucléaire israélien, il n’est officiellement question nulle part. On les a pourtant dits indispensables pour maîtriser cette technologie. En 1995, le Président français Jacques Chirac avait rompu le moratoire sur les essais, estimant une dernière campagne dans le Pacifique indispensable avant de pouvoir se reposer sur la simulation informatique. Est-il vraisemblable qu’Israël soit la seule puissance nucléaire qui ait été capable de maîtriser l’atome à usage militaire sans jamais faire un seul essai ? Difficile d’y croire [1].

Le 22 septembre 1979, un satellite d’observation étatsunien, de type VELA, a détecté un éclair lumineux, situé à quelques centaines de kilomètres au sud des côtes de l’Afrique du Sud. Ce type de satellites a été spécialement équipé pour la détection de détonations d’origine nucléaire et des radiations consécutives, afin notamment de surveiller l’application des accords internationaux interdisant les essais nucléaires atmosphériques, en mer et dans l’espace.

Les explosions nucléaires sont caractérisées par un très bref éclair lumineux, suivi de radiations gamma, avec un décalage dans le temps. L’observation du satellite U.S. a généralement été interprétée par les services de renseignement comme résultant d’un essai nucléaire, ce que l’enregistrement d’une station de mesures sismiques aux Philippines confirma. Mais on ne pouvait complètement exclure une défaillance du système d’observation. Un comité scientifique fut donc mis sur pied par le Président Jimmy Carter pour trancher la question.

Bilan : dans le monde du renseignement, la thèse d’un essai nucléaire réalisé conjointement par l’Afrique du Sud [2] (de l’apartheid, à l’époque) et Israël fut assez communément admise, quoique d’aucuns, de plus en plus nombreux, considèrent que seul Israël était impliqué. Seule la Maison Blanche a, du moins officiellement, toujours refusé de croire à l’une comme à l’autre hypothèse.

Il y a à cela une excellente raison, et elle est politique. Victor Gilinsky – qui fut membre de la “Commission de réglementation nucléaire des États-Unis pendant les administrations Ford, Carter et Reagan et dirigea le Département des sciences physiques de la Rand Corporation – l’a expliqué en détail dans un article de Haaretz : s’il devait être publiquement admis qu’Israël a mené ne serait-ce qu’un seul essai nucléaire postérieurement à 1977, les conséquences juridiques et politiques seraient énormes. Et potentiellement catastrophiques pour Israël.

Après un test nucléaires réalisé en 1974 par l’Inde, explique Gilinsky, le Congrès des États-Unis a été alarmé par le fait que le réacteur nucléaire (assez semblable à celui de Dimona) qui avait servi à produire le plutonium utilisé par les Indiens fonctionnait avec de l’eau lourde en provenance des États-Unis. L’Inde avait violé son engagement de n’utiliser cette eau lourde qu’à des fins pacifiques.

Le réacteur indien, et les installations de retraitement permettant d’extraire le plutonium de l’uranium irradié provenant de ce réacteur, n’étaient soumis à aucune inspection internationale. Il devenait donc clair que la technologie de retraitement était à la portée d’un nombre de plus en plus important de pays, et le Congrès adopta des mesures destinées à interdire toute aide des États-Unis à tout pays impliqué dans la vente de telles installations, à moins que celles-ci ne soient soumises à des inspections internationales. Une loi en ce sens, proposée par le Sénateur John Glenn, fut incorporée dans la section 102(b) du “Arms Export Control Act”.

Outre les mesures visant le transfert des technologies de retraitement de l’uranium, cette loi impose des sanction contre “tout État non-nucléaire” qui “fait fait exploser un engin nucléaire” postérieurement à 1977.  Et cette loi définit comme “non-nucléaire” tout État autre que les cinq puissances nucléaires “autorisées” par le Traité de non-prolifération, ce qui fait que l’Inde, la Corée du Nord, le Pakistan,…et Israël sont, pour l’application de cette loi, des “États non-nucléaires”.

Et les sanctions applicables par les USA à ceux qui se risqueraient à procéder à un ou plusieurs essais nucléaires ne sont pas purement symboliques : fin de toute assistance dans le cadre du “Foreign Assistance Act”, fin de toute vente d’équipements de défense et de toute aide militaire financière, interdiction aux banques étatsuniennes de consentir des prêts, etc…

En d’autres termes, si le gouvernement des États-Unis concluait officiellement qu’Israël a procédé à un essai nucléaire après 1977, cela signifierait la fin de toute aide U.S. à Israël, et en particulier des 38 milliards de dollars qu’Obama vient de promettre à Netanyahou pour les dix prochaines années [3].

Or, selon Victor Gilinsky, “l’opinion pratiquement unanimement partagée [dans les milieux scientifiques concernés] est que le signal de 1979 [reçu par le satellite d’observation] provenait d’une explosion nucléaire réalisée par Israël”. Et il ajoute – précision inquiétante – qu’il s’agissait apparemment de tester des armes “du théâtre d’opérations” [4].

Mais “heureusement”, la loi étatsunienne est “bien faite” : elle contient les moyens de son propre contournement. En 2001, George W. Bush en a fait usage en accordant des dérogations au profit de l’Inde comme du Pakistan, souligne Victor Gilinsky, alors que ces deux pays avaient réalisé un essai nucléaire en 1998. Il ne fait donc pas de doute que si la question devait se poser, Israël bénéficierait de la même mansuétude, et que le ou la Président[e] accorderait une dérogation à Israël, avec l’approbation enthousiaste du Congrès.

Il n’en reste pas moins, souligne Gilinsky, que même si l’aide militaire étatsunienne à Israël ne court pas beaucoup de risques d’être effectivement interdite, il serait terriblement embarrassant que ce soit grâce à une dérogation présidentielle, et les conséquences politiques en seraient imprévisibles.

Sondage d’opinion aux USA : chez les électeurs Démocrates et Indépendants, une majorité nette existe pour considérer que l’aide militaire à Israël est trop, voire beaucoup trop, importante. Et même chez les électeurs Républicains, ils sont 40%.

Cela impliquerait en effet l’aveu, des plus inconfortables vis-à-vis d’une opinion publique dont une large part trouve que le soutien à Israël coûte fort cher et est de moins en moins justifiable, que pendant des décennies le “peuple américain” a été délibérément trompée lorsque le gouvernement des États-Unis assurait, la main sur le cœur, n’avoir aucune information à propos d’éventuelles armes nucléaires israéliennes, alors que que quiconque s’intéresse un tant soit peu au sujet ne peut depuis longtemps nourrir de doutes sérieux à ce sujet.

Luc Delval

 


[1] à moins d’admettre que la coopération avec les puissances amies ait été encore beaucoup plus poussée qu’on ne l’a imaginé, ou encore que la performance des espions au service d’Israël est largement plus élevée qu’on ne l’a cru.
[2] contrairement à Israël, l’Afrique du Sud a signé en 1991 le Traité de non-prolifération nucléaire et se soumet aux contrôles de l’AIEA, tandis qu’Israël n’a jamais accepté aucun contrôle international.
[3] une aide militaire étatsunienne qui est, il est vrai, en grande partie une subvention indirecte de l’Oncle Sam à ses propres fabricants d’armements.
[4] les armes nucléaires étaient, à l’époque de la “guerre froide”, destinées à assurer un “équilibre de la terreur” dans lequel chaque protagoniste d’une éventuelle guerre avait l’assurance de sa propre destruction totale; même s’il anéantissait l’ennemi. Autrement dit, il s’agissait d’armes qui, en raison même de leur puissance dévastatrice, étaient destinées à ne jamais être utilisées, puisque leur utilisation équivalait en tout hypothèse à un suicide : le scénario de toute guerre nucléaire se terminait sans vainqueur possible. La donne a changé avec la mise au point d’armes nucléaires “du champ de bataille”, aussi dites “tactiques”, beaucoup moins puissantes, qui ne sont pas destinées à anéantir complètement l’ennemi. Par le fait même de leur moindre puissance, leur utilisation est redevenue vraisemblable pour s’assurer une victoire. Paradoxalement, l’arme nucléaire de “faible” puissance peut donc être vue comme plus dangereuse que les armes nucléaires stratégiques, car leur utilisation est plus plausible.

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