LE PRIX NOBEL DE LA PAIX EST-IL UN INSTRUMENT DE POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE L’OCCIDENT ? Le cas de la Chine en 2010, et du Liberia en 2011
13 octobre 2016
(Extrait chapitre 12 – pages 77-86 Tome-1 du livre : « Géostratégie Africaine » de Jean-Paul Pougala)Cela est bien connu que les Occidentaux (récemment rebaptisés en « communauté internationale ») aiment installer au pouvoir en Afrique les hommes et femmes les plus médiocres. Mais qu’ils soient prêts à tout faire pour les maintenir au pouvoir jusqu’à leur octroyer un Prix Nobel, relève d’une originalité des plus macabres issu d’un cerveau des plus tordus. C’est pourtant arrivé. C’est ce que la soi-disant « communauté internationale » va inventer pour améliorer les performances de leur candidate aux élections présidentielles du Libéria, lui offrant un Prix Nobel de la Paix à 4 jours seulement du scrutin. En Occident, le ridicule ne tue pas.
L’histoire commence en juin 2009, lorsque la Commission Vérité et Réconciliation (TRC) publie son rapport dans lequel elle met en cause la présidente libérienne Ellen Johnson-Sirleaf pour crime de guerre et crime contre l’humanité pour son financement destiné aux multiples massacres de la guerre civile qui ont commis 250 000 morts entre 1998 et 2003. La TLC lui intime alors un « éloignement de toute responsabilité officielle pendant 30 ans ». En théorie, à la fin de son mandat, pour réconcilier les Libériens entre eux, elle aurait dû prendre sa retraite et se retirer de la politique. Donc, elle n’aurait pas dû être candidate aux élections présidentielles du 11 octobre 2011. Mais c’était oublier que lorsqu’on a servi certains intérêts situés en Occident, il y a le retour de l’ascenseur au moment des difficultés.
Mme Ellen Johnson Sirleaf est alors la chouchoute de Washington et de tout l’Occident. Le long marathon médiatique de propagande pour réhabiliter son image s’est terminé avec le prix Nobel de la Paix, mais va démarrer avec un déjeuner de travail qu’Obama improvise à New York en septembre 2009 avec quelques chefs d’État d’Afrique subsaharienne. En réalité, c’est une occasion pour que Mme Johnson se présente en experte auprès des autres chefs d’État présents puisque c’est elle qui mène la discussion sur la création d’emplois. Après cette rencontre, Obama lui envoie un courrier le 28 octobre 2009 rendu public sur le site de la Maison-Blanche, dans lequel il affirme : « J’apprécie l’attention que vous avez accordée à l’éducation et la formation basée sur les compétences, en particulier dans les situations post-conflit ». Quel génie ! On a envie de se demander pourquoi elle n’a pas appliqué ces recettes à son propre pays le Libéria. Qu’importe. Elle sera de nouveau reçue par Obama le 27 mai 2010 cette fois-ci à la Maison-Blanche où elle est présentée comme l’exemple pour tous les présidents africains avec une décoration que les Libériens ont encore du mal aujourd’hui à comprendre ce que cela récompense.
Jusqu’au prix Nobel de la Paix de 2011, à 4 jours seulement des élections et alors qu’elle accuse un retard dans les sondages de 10 à 20 points sur ses principaux adversaires. La cause de ce retard ? Sa gestion calamiteuse du pays qui a permis en 6 ans à l’ancienne étudiante de la prestigieuse université américaine de Harvard, fonctionnaire de la Banque Mondiale et de Citygroup de battre un record mondial du plus important nombre de chômeurs durant un mandat présidentiel, 80% de la population active. Même le Zimbabwe de Mugabe sous embargo de l’UE n’a pas atteint les performances de Madame Johnson qui ajoute à son piteux palmarès le taux de violence sexuelle sur les femmes le plus élevé d’Afrique, dépassant de loin la République Démocratique du Congo qui est pourtant la seule qui intéresse la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton lorsqu’elle dénonce les viols en Afrique. Et c’est pour la battre qu’a été formé le ticket entre Tubman (fils de l’ex-président Tubman), arrivé 4ème en 2005 et l’ancien footballeur Georges Weah, arrivé second lors des élections de 2005 et très populaire chez les jeunes plus touchés par le chômage à 94%. Madame Ellen Johnson Sirleaf n’avait donc aucune chance de l’emporter. Qu’importe, l’Occident adore les dirigeants africains lorsqu’ils sont serviles. Et c’est pour lui donner ce coup de main inespéré qu’on va lui décerner un Prix Nobel des plus contestables, 4 jours seulement avant les élections.
Le Libéria est la preuve même de l’échec de la politique américaine en Afrique. Si les É.-U. pouvaient aider un pays africain à se développer, ce pays serait le Libéria, car il est le fruit de leur création (en 1816, pour accueillir les anciens esclaves libérés), c’est leur seule colonie en Afrique. C’est leur unique bijou sur le continent africain. C’est la vitrine même des É.-U. en Afrique. Les descendants d’anciens esclaves revenus des États-Unis ne représentent que 5% de la population, mais sont malgré tout les seuls depuis l’indépendance en 1847 à détenir le pouvoir politique. C’est une sorte d’apartheid entre Noirs (divisés entre Américains et Africains), une division bien entretenue par Washington qui a toujours fait et défait tous les gouvernements de cette minorité américaine dans ce pays d’Afrique.
Comme tous les présidents qui l’ont précédée, Ellen Johnson Sirleaf provient de la minorité dite des « civilisés », parce qu’originaire des É.-U.. Comme les autres présidents avant elle, elle a étudié aux É.-U., elle y a travaillé. Aujourd’hui, la présidente du Libéria tant adulée est celle-là même qui reconnaît avoir financé et porté au pouvoir en 1997 Charles Taylor dont elle a été la collaboratrice intime. À Oslo étaient-ils au courant de ce rapport ? Ou bien comme en Côte d’Ivoire, les décisions des instances mises sur pied pour gouverner et gérer les conflits ne comptent pas ? Il n’empêche que la mère patrie américaine a su lui redonner sa virginité et alors que Taylor doit répondre de onze chefs d’inculpation de crimes de guerre et crimes contre l’humanité et est aujourd’hui sous les verrous à La Haye, aux Pays-Bas, Johnson, bien soutenue par Washington peut tranquillement concourir pour un deuxième mandat à la présidence de la République, et même devenir un prix Nobel de la Paix démontrant par-là l’exemple emblématique de la contradiction et de l’incohérence de la politique occidentale en Afrique. Ce qui me fait dire qu’en Afrique il n’existe pas de dictateur. Il y a les saints, parce qu’amis de l’Occident ; peu importe leur bilan, peu importe leur popularité, peu importe leur rejet par la population, et il y a les mauvais qui tentent de ne pas se mettre au pas. Ceux-là sont priés de jouer le jeu de la prétendue « démocratie » et d’une seule manière : en cédant leur place.
Ce n’est pas la première fois qu’un Prix Nobel est purement et simplement utilisé comme instrument de politique étrangère de l’Occident. Prenons l’exemple du dernier avant celui examiné plus haut, le Prix Nobel 2010, le Chinois Liu Xiaobo.
A- En Chine, un prix Nobel pour tenter de déstabiliser le pays
Pourquoi le dissident chinois Liu XiaoBo a-t-il gagné le prix Nobel de la Paix en 2010 ? En quoi s’est-il particulièrement distingué des autres très nombreux dissidents chinois ? Pour sa fâcheuse tendance à insulter son pays et célébrer l’asservissement de la Chine à l’Occident. Voici ce qu’il déclare :
En 1988, alors qu’il travaille comme critique littéraire à la Columbia University à New York, il déclare dans une interview : « s’il a fallu 100 ans de colonisation à Hong Kong pour être ce qu’elle est, alors il faut 300 ans de colonisation à la Chine pour devenir comme Hong Kong, mais je ne suis pas sûr que 300 ans suffiraient pour développer le pays». Comme si cela ne suffisait pas, il ajoute : « la modernisation est synonyme d’occidentalisation totale ». Et encore notre cher génie de conclure : « choisir de vivre signifie choisir le mode de vie occidental. La différence entre le mode de gouvernement occidental et le mode de gouvernement chinois, c’est la même que celle entre l’humain et le non humain, il n’y a pas de compromis. L’occidentalisation est le choix non pas de la nation, mais de la race humaine ». En d’autres termes, selon Liu, les pays qui ne choisissent pas le mode de gouvernement occidental sont des races animales. Ce que Liu ignore alors, c’est qu’il n’existe pas de mode de gouvernement occidental, chaque pays ayant un système différent de son voisin. Pire, personne n’avait jamais expliqué à Liu les contre-performances des Chicago Boys au Chili dans les années 1970. Encore moins les guerres civiles répétitives que ce modèle avait instaurées en toute normalité au Libéria depuis sa création en 1847 à cause d’un pouvoir entre les mains de 20 000 Noirs américains avec des noms britanniques contre la population locale, avec la majorité ayant des noms africains.
En 2004, il apporte son soutien à l’agression américaine contre l’Irak avec ces mots : « la guerre contre Saddam Hussein est juste, la décision du président Bush est la bonne […] un Irak libre, démocratique et paisible va naître »
En mars 2008, il soutient la position du Dalaï-Lama sur le Tibet, c’est-à-dire que la Chine devrait faire ce que lui demande l’Occident : se désengager du Tibet. Parce que pour Liu, le monde devrait être sous la conduite des États-Unis et la Chine son élève. Il trouve pour cela justifiables toutes les guerres que les Américains peuvent déclencher sur la planète, même contre la Chine pour asseoir sa domination. Il affirme : « Toutes les guerres importantes menées par le gouvernement américain sont défendables sur le plan éthique »
Voilà en clair pourquoi cet illustre Chinois a été sélectionné parmi ses 1,3 milliard de concitoyens chinois comme le tout premier prix Nobel de la Paix de l’Empire du Milieu.
La malchance c’est que le pays qui distribue ces bons et mauvais points a aussi besoin de la Chine pour vivre. Quelque part, à Oslo, ils ont dû imaginer qu’ils avaient à faire à un pays africain où les dirigeants finissent toujours par se mettre à genou devant l’Occident et leur donner raison parce qu’ils sont des pays autoproclamés riches, développés, démocratiques et généreux. Erreur ! Ils avaient à faire à la Chine qui a tout simplement coupé toute relation au haut niveau. Le jour de la remise de ce prix en décembre 2010, par exemple, la Chine importait 1 000 tonnes par mois de saumon norvégien. Deux mois plus tard en février 2011, on est passé à 75 tonnes. Comme par hasard, les contrôles vétérinaires de la douane chinoise à l’entrée du poisson norvégien en Chine ont subitement découvert que ce poisson n’était pas adapté à la consommation des Chinois. Et depuis un an, la Norvège s’est retrouvée toute seule à gérer son conflit avec le colosse chinois.
La solidarité de tout l’Occident qui avait suivi la proclamation du Prix Nobel s’est faite plus discrète, personne ne voulant risquer de voir retomber sur lui la foudre chinoise. Pire, des pays comme le Royaume-Uni ont plutôt cherché à tirer profit du faux pas norvégien pour exporter vers la Chine plus de saumon écossais. La Norvège, pour contrer l’offensive britannique, a tenté de faire transiter son poisson vers d’autres pays, sans succès.
Lorsque ce pays scandinave abandonné à son triste sort par toute l’Europe a écourté sa participation aux bombardements de l’OTAN contre la Libye, elle a clairement expliqué qu’elle était à court d’argent par des manques à gagner de ses échanges avec la Chine qui paradoxalement a vu ses exportations vers la Norvège augmenter de 43% pendant la même période.
Les petits Norvégiens ne voulant pas renoncer au dernier smartphone ou à la dernière tablette, bien évidemment made in China.
B- Quelles leçons pour l’Afrique ?
La démocratie est un leurre que certains pays utilisent pour s’octroyer un instrument de pouvoir sur les autres en portant le costume de donneurs de leçons. Mais dans les faits, aucun pays n’est démocratique. Rousseau disait : « les Anglais croient qu’ils sont libres parce qu’ils élisent des représentants tous les cinq ans, mais ils ne sont libres qu’un jour tous les cinq ans : le jour de l’élection ». La vérité est que le résultat qui sort des urnes a été fomenté au préalable par le petit groupe de politiciens aux affaires du moment, système méticuleusement élaboré avec le seul objectif non pas de faire parler le peuple, mais de se pérenniser au pouvoir. En voici quelques exemples :
– Aux É.-U. le parti républicain créé le 28 février 1854 a gagné les premières élections de 1856 et avec un système électoral qui lui est favorable, il a remporté 23 des 39 élections présidentielles aux États-Unis, dont 7 sur 11 les derniers 40 ans, alors que sur le papier, les démocrates sont plus nombreux que les républicains. Selon le recensement de 2004, 72 millions d’Américains se sont enregistrés comme démocrates et 55 millions comme républicains et 42 millions comme ni à droite ni à gauche appelés « Indépendants ». Voilà la preuve qu’un système électoral peut donner des résultats différents de la volonté populaire. Cherchez l’erreur dans le système électoral où les politiciens peuvent tout falsifier pour faire dire au peuple ce qu’ils veulent. Pour l’élection présidentielle de 2000, par exemple, le candidat démocrate Al Gore avait en effet obtenu 550 000 voix de plus que son adversaire républicain George Bush, mais l’histoire retiendra que c’est ce dernier qui a été choisi par le peuple américain.
– En France, sous la Vème République, depuis la prise de pouvoir du général de Gaulle le 8 janvier 1959 comme Président de la République jusqu’à nos jours, hormis la parenthèse de François Mitterrand, les 5 présidents français ont été de droite. De même pour le Sénat qui est à droite depuis sa création en 1958. En septembre 2011, pour la première fois de son histoire, il y a une majorité de gauche, mais à cause d’un fort rejet du président Sarkozy. Le plus grave au Sénat est que 53% de ses membres proviennent de communes de moins de 1 500 habitants qui ne forment que 33% de la population française. Encore une fois, la loi électorale en vigueur fait que seulement 33% s’approprient le choix du peuple français. La droite avait fait ce choix parce que les villages sont habités surtout par des personnes âgées qui sont traditionnellement conservatrices et votent massivement à droite. Voilà pourquoi la France est un pays de droite et le restera, tant que cette règle ne sera pas modifiée.
– En Italie, le système électoral proportionnel à un tour élaboré à la sortie de la Seconde Guerre mondiale privera du pouvoir pendant 46 ans les résistants contre le fascisme, le parti communiste, parce que pendant la guerre froide, pour Washington, le plus puissant parti communiste de l’Occident avec 40% de l’électorat ne devait pas accéder au pouvoir. Encore une fois, le peuple n’a jamais eu son mot à dire. Même lorsqu’il a voté en masse, son vote a été orienté vers le résultat déjà voulu.
C- Conclusion
En conclusion, si la « Communauté internationale » croyait dans la démocratie qu’elle professe et cherche à exporter, elle serait la première à l’appliquer à la majorité de la population autochtone dite africaine du Libéria. Mais c’est juste une manœuvre de diversion, une propagande pour asseoir la domination économique sur les autres peuples du monde. Il s’agit de mettre les administrations publiques de la planète au service d’une poignée de multinationales très actives à financer les élections américaines et se garantir la mise au pas de toute l’administration américaine pour assurer le profit de leurs entreprises sur la planète entière.
Et dans tout cela, nulle part le peuple n’a son mot à dire. C’est raté, parce que la Chine qui avance sachant que les règles de ce jeu sont truquées d’avance a décidé d’inventer son propre jeu, sa propre danse que l’Occident a un mal fou à suivre. Il serait temps qu’il change vite de logiciel pour l’adapter au nouveau monde et ses règles du jeu dictées par la Chine. Le plus difficile à admettre pour Washington dans la question libérienne est que le seul élément positif des 6 ans de Madame Johnson à la tête du Libéria est d’avoir réussi l’exploit de faire affluer les capitaux étrangers.
Malheureusement, ces investissements évalués à environ 20 milliards de dollars US sont pour 75% chinois et les 25%restants partagés entre l’Inde et le Brésil. Peut-on prétendre commander l’Afrique et le monde sans en avoir les moyens?
Genève le 12/10/11
Jean-Paul Pougala
Extrait chapitre 12 – pages 77-86
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