L’ancien ambassadeur Boris Boillon fait son numéro au tribunal
23 mai 2017
- MEDIAPART –23 MAI 2017 PAR MICHEL DELÉANArrêté gare du Nord en juillet 2013 avec un sac de sport rempli d’espèces, l’ancienambassadeur sarkozyste Boris Boillon est jugé au tribunal correctionnel de Paris. Il neveut rien perdre de sa superbe.Boris Boillon est décidément un homme étonnant. Mitraillé de questions pendant plus de huitheures, ce lundi, à la barre du tribunal correctionnel de Paris, l’ancien ambassadeurcathodique, qui fut à une époque récente la quintessence du “Sarkoboy” décomplexé, ne veutrien perdre de sa superbe et se montre très sûr de lui, à la limite de l’arrogance, alors qu’ilrisque une condamnation conséquente. Seul le col de chemise, un peu plus court, et lescheveux, ras mais légèrement grisonnants, ont changé depuis les années où ce jeune hommeétait le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy (d’abord au ministère de l’intérieur, puis àl’Élysée, avant d’être promu ambassadeur).Pour le reste, le costume gris anthracite cintré assorti à la cravate, la chemise blanche, lessouliers noirs bien cirés et la grosse montre sont toujours arborés aussi fièrement, comme autemps de sa splendeur politique. L’allure sportive, le visage encore juvénile malgré les 47 ans,la voix légèrement nasillarde, le débit ultra-rapide et la gestuelle dynamique sont mobilisés auservice d’une cause impérieuse : promouvoir son personnage. Il peut se résumer à une énergierevendiquée, une soif d’aventure un peu naïve qui évoquent à la fois Tintin au pays de l’ornoir et OSS 117 version Jean Dujardin. « Je suis dans l’action », revendique un Boris Boilloncontent de lui, sans paraître comprendre que le tribunal ne peut se satisfaire de ce seul ressortpsychologique.Diplomate « suspendu », mais « contraint de rester dans son administration », après un départpeu glorieux de son poste d’ambassadeur en Tunisie, en 2012, Boris Boillon (il faut prononcerBoilon) est jugé aujourd’hui pour transfert de fonds illicite, faux et usage de faux, blanchimentde fraude fiscale et abus de biens sociaux. Le 31 juillet 2013, lors d’un contrôle inopiné desdouanes, gare du Nord, il avait été arrêté avec un sac de sport contenant quelque 350 000euros et 40 000 dollars en grosses coupures. Fâcheux. En jean et polo, ce jour-là, le hautfonctionnaire n’avait pas de documents d’identité sur lui et allait prendre le Thalys pourBruxelles, où il résidait alors. L’affaire est révélée un mois plus tard par Mediapart.Ultérieurement placé en garde à vue, l’ancien ambassadeur livre un récit assezrocambolesque, d’où il ressort que des hommes d’affaires irakiens l’ont payé à Paris avec desespèces, et qu’il était sur le point de créer une filiale de sa société en Belgique. Un récit qui vaévoluer au fil des semaines. Pour l’accusation, Boris Boillon a cherché à justifier cessommes a posteriori, avec des contrats et des attestations dont la sincérité est contestée.Le gros hic, c’est que les billets de banque saisis dans son sac sont neufs, leurs numéros desérie se suivent, et ils n’ont visiblement jamais servi. Comme s’ils avaient été stockés par unÉtat ou une Banque centrale. Une partie des euros a été mise en liasses en 2003, en Finlande,l’autre, fin 2008, en Italie. Étrange.
- « En 2012, je refuse le placard doré qu’on me propose. Je décide de rester dans l’action, et jefonde ma société, Spartago », déclare Boris Boillon, bien droit à la barre du tribunal. « Je suisun grand sportif, et j’aime sortir de ma zone confort. J’aurais pu rester sur un poste à Paris,bien payé sans grand-chose à faire », dit-il crânement. Mais voilà, au cas où on l’aurait oublié,il préfère l’action… Arabisant confirmé, diplômes ronflants et gros carnet d’adresses enpoche, notre ambassadeur va donc se lancer dans le business.« La commission de déontologie m’a autorisé à travailler en Irak », répond Boillon quand leprésident du tribunal lui fait observer qu’il fait des affaires dans un pays où il a étéambassadeur de France, et en monnayant son titre. Pourquoi se gêner ? Il fait de l’argent avecun certain Adil al-Kenzawi, membre d’une tribu irakienne puissante, qu’il a d’abord faitnommer consul honoraire de France dans le sud de l’Irak, et qu’il a ensuite pistonné pour qu’ilsoit naturalisé français. « Ma seule valeur ajoutée, c’est d’aller dans les endroits difficiles oùd’autres n’osent pas aller, c’est le salaire de la peur, il était normal que j’en retire bénéfice »,argumente Boillon. Le voici donc, parcourant l’Irak avec des gardes du corps, jouant lesintermédiaires et les apporteurs d’affaires dans un pays en ruines, et en reconstruction. « Unpays d’opportunités », dit-il. « Il n’est pas honteux de vouloir tirer des avantages de mesanciennes fonctions, ajoute Boillon. Je travaillais avec des entreprises que je ne connaissaispas lorsque j’étais ambassadeur. Mon titre me facilitait la tâche, mais ça n‘avait riend’illégal. »Spartago, créée en novembre 2012 à Paris, est une société de conseil et de fournitures deprestations de services à l’international. Une sous-préfète en disponibilité (encore un titreronflant et rassurant) y jouera les utilités, en tant que directrice générale, pendant que Super-Boillon traverse des contrées dangereuses et parcourt le vaste monde. « J’ai aidé desentreprises à s’installer dans des pays difficiles d’accès », se rengorge l’ex-ambassadeur. « J’ai aussi identifié des entreprises qui voulaient y travailler, et les aidais àrépondre aux appels d’offres dans les secteurs de la santé l’électricité, les transports, l’eauou le sport. À l’époque, en Irak, c’était “panem et circus”, il fallait du pain et des jeux pour lepeuple », dit-il, l’air satisfait. Soucieux d’afficher son immense culture générale, Boris Boillonest capable de citer pêle-mêle Bergson (« Agir en homme de pensée, penser en hommed’action »), Michel Audiard (« Je m’énerve pas, j’explique »), le chanteur Renaud (« Je suisune bande de jeunes à moi tout seul »), une pub télé (« Le double effet Kiss cool »), et delâcher un magnifique « Last but not least », censé produire son plus bel effet sur le tribunal etla presse. On en reste coi.« Buriné de chez buriné »Des explications de Boris Boillon sur le dossier lui-même, il ressort qu’il aurait mis enrelation une entreprise roumaine avec des partenaires irakiens, pour leur fournir du béton. Ils’agissait alors de construire un stade flambant neuf de 30 000 places à Nassiriya, dans le Sudirakien (le Thiqar Stadium), pour un montant d’une centaine de millions de dollars. De groscontrats bien juteux ont été signés en 2012, dans ce pays classé parmi les plus corrompus de laplanète. Mais le ministère de la jeunesse et des sports irakien a fini par arrêter les frais en2015, et les travaux, réalisés à 70 %, n’ont jamais été achevés. Entre temps, il est vrai, Daechavait fait son entrée en Irak.
- Boris Boillon a créé d’autres sociétés et s’est associé à des entrepreneurs irakiens à laréputation contrastée. Bien qu’il n’ait aucune connaissance technique en architecture, BTP ougénie civil, l’ex-diplomate l’assure, il s’est réellement rendu utile dans ce dossier de complexesportif, ce que contestent plusieurs témoins entendus pendant les trois années d’enquêtepréliminaire menée par le parquet de Paris et les douanes judiciaires. Une enquête « partialeet déloyale », selon Jean Reinhart, le défenseur de Boillon, qui demande l’annulation de toutela procédure.Nicolas Sarkozy et Boris Boillon, en 2010 àl’Élysée. © ReutersCe n’est pas de la faute de Boris Boillon si on a retrouvé peu de traces écrites de son acvité en Irakauprès d’un autre membre du clan Al-Kenzawi, Mohamed, l’un de ses partenaires en a#aires. « Pourune entreprise européenne, avec notre logique occidentale, il faut rendre de nombreux rapports,explique l’ancien ambassadeur. Mais avec Mohamed, les choses sont diérentes, c’est une relaond’homme à homme. On se passe la main sur l’épaule, et on parle. Mohamed, il est buriné de chezburiné, il est sur le terrain. »Les explications les plus cocasses concernent les espèces saisies dans son sac, gare du Nord.Boris Boillon assure que le contrôle des devises et le système bancaire irakiens empêchent laplupart des entreprises d’effectuer des virements à l’international. Il a donc été, en quelquesorte, obligé, en récompense de ses éminents services, d’accepter de l’argent liquide.Une « coutume locale », à laquelle on croit comprendre que sacrifieraient de nombreuxhommes d’affaires et intermédiaires. Dans son petit bureau de Nassiriya, Mohamed al-Kenzawi lui aurait remis les liasses d’euros et de dollars tout neufs, qui seront saisies quelquesjours plus tard sur un quai de gare parisien. Boillon écourte son séjour en Irak. Il regagneBagdad avec des gardes du corps, et embarque pour Vienne, puis Paris, avec son sac bourré debillets de banque. Il assure très sérieusement que beaucoup d’autres Français font la mêmechose que lui.« Vous êtes haut fonctionnaire, et vous ne savez pas qu’il existe des lois sur le transport dedevises et le blanchiment ? » demande le président du tribunal, Peimane Ghaleh-Marzban.Boillon dit que non. Une fois à Paris, il a réparti le magot en trois tas, qu’il a cachés dans sonstudio des beaux quartiers et dans sa cave, quelques liasses étant même enterrées dans lesparties communes de son immeuble. Mais prenant subitement peur d’être cambriolé, il auraitfinalement décidé de rapatrier ce pactole dans son appartement de Bruxelles, mieux protégé,
- d’où l’épisode rocambolesque de la gare du Nord. Le procureur Nicolas Baïetto lâche à cepropos une série de questions tranchantes qui déstabilisent quelque peu Boris Boillon.Le réquisitoire doit être prononcé ce mardi matin, avant les plaidoiries de la défense.Il n’a pas été question des affaires libyennes pendant les débats, à peine une allusion fugace audossier de la libération des infirmières bulgares. Pourtant, selon plusieurs témoins dignes defoi, des fonds importants auraient été remis par le régime de Kadhafi à des personnalitésfrançaises, en lien avec la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy. Claude Guéantet Boris Boillon ont notamment été cités dans l’enquête menée sur cette affaire, comme l‘arévélé Mediapart.En ce qui concerne les espèces versées à Sarkozy ou à des proches, un témoin sous X anotamment confié aux policiers français de l’OCLCIFF que « 20 millions d’euros ont étédonnés directement à Boris Boillon [conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy à l’Élysée –ndlr] et à Claude Guéant et ont été ramenés dans un voyage en avion privé de Syrte auBourget. Claude Guéant et Boris Boillon étaient dans l’avion. La somme a été remise enbillets de 500 et 100 euros, principalement 500. Pour les espèces, c’est le bureau du Guidequi a directement remis l’argent dans des mallettes. […] Ce sont des personnes quitravaillaient sous les ordres de Hamed Ramadan, chef de cabinet du Guide, celui qui géraitl’intendance de toutes les résidences du Guide ».« Boris Boillon, a-t-il ajouté, venait souvent voir le Guide et qu’il appelait “papa”. ClaudeGuéant, lui, il venait de temps en temps pour rappeler que la France était présente et amie enLibye mais il venait aussi pour prendre un peu d’argent de poche. Boillon aussi venait pourson argent de poche. Il faut savoir que chaque fois qu’un visiteur important comme ClaudeGuéant et surtout comme Boris Boillon venait voir le Guide, celui-ci leur faisait un petitcadeau. Ce petit cadeau était une enveloppe, qui contenait soit des dollars soit des euros.C’était des sommes de l’ordre de 40 000 à 70 000 euros. »