Aller à…
RSS Feed

22 décembre 2024

DE LA SYRIE AU SAHEL


France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.

Publié par Gilles Munier sur 28 Mars 2019,

Catégories : #Sahej, #Algérie, #Mali, #Niger, #Libye, #Tunisie

Abou Walid al-Sarahoui, chef de l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS)

Note d’analyse de Leslie Varenne (revue de presse : IVERIS – 28 mars 2019)*

Il y a plus d’un an, en octobre 2017, le chef d’Etat-major US, le général Dunford, annonçait un déplacement de la guerre en Syrie: « La guerre est en train de se déplacer. Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire qu’elle se déplace vers l’Afrique seulement. Nous sommes confrontés à un défi qui s’étend de l’Afrique de l’Ouest à l’Asie du Sud-Est. »

Dans la foulée, feu le sénateur John McCain lui emboitait le pas et déclarait que « les serpents se dirigent vers l’Afrique.» (1) Quelques mois plus tard, Brett McGurk, l’émissaire spécial de Donal Trump pour la lutte contre le terrorisme, réitérait les mêmes propos lors d’un colloque au Maroc (2). Au passage, il est intéressant de noter que Brett McGurk, qui semblait destiné à poursuivre l’œuvre du sénateur va-t-en-guerre, a démissionné en décembre 2018, après que Donald Trump ait annoncé le retrait des troupes US de Syrie. L’émissaire spécial connaissait fort bien la question des mouvements des terroristes puisqu’il était chargé de la ville de Raqqa en Syrie, lorsque, selon le reportage de la BBC, quelques 250 combattants de l’EI avaient pu fuir la ville après négociations avec les forces kurdes, sous le regard bienveillant de la coalition internationale (3).

Ce pivot vers l’Afrique était-il une prédiction ou une prophétie auto-réalisatrice ? Si l’Etat Islamique est présent dans la Bande sahélo-saharienne (BSS) depuis 2015, date à laquelle Abou Walid al-Sarahoui, ancien porte-parole du Mujao a fait allégeance à al-Baghdadi et créé l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ; si al-Qaeda est également présent avec Yiad Ghali qui dirige Jama’at Nusrat al-Islam Wal Muslimeen (JNIM), cette zone semblait rester néanmoins uniquement entre les mains de combattants sahélo-sahariens.

Des signaux forts

Pendant des mois, l’auteur de ces lignes a interrogé ces contacts et scruté les informations de la BSS sans voir le moindre signe de la présence de combattants étrangers. Puis, le mois dernier, deux événements consécutifs particulièrement marquants ont eu lieu.

Le 15 février, au Burkina Faso, dans la province du Soum, région du Sahel, deux militaires ont trouvé la mort en manipulant le corps d’un homme revêtu d’une tenue militaire, des explosifs étaient dissimulés dans l’uniforme (4).

Une dizaine de jours plus tard, selon le même mode opératoire dans le centre du Mali, 17 civils étaient tués en s’approchant du cadavre d’un jeune homme (5). Ces cadavres piégés ne portent pas une signature africaine, ce n’est pas dans la culture, les traditions, le rapport à la mort, aux ancêtres. En revanche, depuis 2011, c’est une pratique constatée en Syrie.

D’autres signes permettent de penser que des combattants en provenance de Syrie ou d’Irak se sont récemment transportés dans la BSS avec leurs méthodes. Lors de son récent voyage au Burkina, l’IVERIS a rencontré un militaire qui lui a confié que depuis août 2018, il avait remarqué des changements dans les modes opératoires avec notamment des engins explosifs improvisés (EEI) très sophistiqués dont certains sont commandés à distance. Un contact malien a confirmé que dans le centre du Mali, les pratiques étaient également plus « professionnelles ».

Autre fait encore plus inquiétant, ce même militaire a raconté que des munitions sans marque avaient été retrouvées sur le théâtre des combats, ce qui signifie qu’il existe une organisation avec une usine quelque part dans le monde qui produit des munitions intraçables. Cette pratique aussi a été relevée sur le terrain syrien.

Ces faits font écho à la question qu’a posée, d’une manière faussement naïve, le représentant de la Syrie aux Nations Unies, Bachar al-Jaafari, lors d’une interview sur la chaine arabe al-Mayadeen : « Qui a transféré les terroristes d’Alep vers le Niger ? » (6)

Tous ces faits font également écho avec ceux d’un diplomate tunisien qui a confié à l’IVERIS que des Daechistes tunisiens en Syrie étaient arrivés dans la BSS et dans le sud de l’Algérie.

Cela explique aussi la dégradation sécuritaire constatée dans le centre du Mali et dans le nord et l’est du Burkina-Faso. Dans ce dernier pays, il y a eu plus de morts, 311, pendant le seul premier trimestre de 2019 que pendant toutes les années précédentes cumulées depuis le début des exactions des groupes armés en 2015. Cette détérioration est mise sur le compte des conflits intercommunautaires avec les terribles massacres des communautés peules d’Ogossagou au Mali en mars et de Yirgou au Burkina en janvier. Mais, c’est un peu vite oublier qu’ils se sont passés dans le Liptako une région où l’EI est très présent.

Les terroristes sont de bons sociologues, ils savent instrumentaliser les tensions ethniques, exploiter toutes les failles d’un Etat, faiblesse de l’armée, absences de l’administration, pauvreté, injustice. Ils soufflent sur les braises (7). Pour preuve, en novembre 2018, Amadou Koufa, le chef de la Katiba du Macina, allié au JNIM d’Yiad Ghaly, dont la ministre des Armées, Florence Parly, avait un peu vite annoncé la « neutralisation » en novembre 2018 et qui est réapparu dans une vidéo bien vivant en mars 2019, s’était adressé aux Peuls en les appelant au Djihad de Dakar à Lagos (8).

De Baghdadi à Sarahoui…

La semaine dernière, les dirigeants de la coalition internationale en Syrie, US, France et Royaume Uni, ont lancé des cocoricos et célébré la fin de Daech en s’auto-glorifiant. Pourtant l’EI n’est pas mort, le général Dunford avait été, à l’instar de feu McCain, soit fin prévisionniste soit très au fait des futures opérations : la guerre se déplace de la Syrie vers la BSS et plus largement vers toute l’Afrique de l’Ouest (9).

Dans une interview, le 6 février dernier, le secrétaire d’Etat, Mike Pompéo, a confirmé que des extrémistes syriens fuyaient vers l’Afrique et le nord de la Libye (10). Le même jour les ministres de la coalition déclaraient : « Le mouvement de combattants terroristes étrangers aguerris au combat dans des régions et des continents aussi divers que l’Asie du Sud-Est et l’Afrique est particulièrement troublant. » (11)

L’espace sahélo-sahérien devient donc un nouveau théâtre d’opérations avec les mêmes acteurs que ceux de la scène syrienne : L’EI, al-qaeda et toutes les forces de la coalition. Dans cet objectif, les US renforcent leur présence au Niger qui est pourtant déjà fort imposante avec l’une des plus grandes bases de drones d’Afrique à Agadez et une base de la CIA à Dirkou (12-13). Au Niger sont présents également les Allemands, les Italiens et bien entendu les Français qui couvrent avec l’opération Barkhane les cinq pays de la région, Mali, Niger, Burkina, Mauritanie, Tchad. Il ne manquait plus que la Russie, mais ce 22 mars, le Kremlin a signé un accord de coopération militaire avec Bamako… (14)

Enfin, en ce qui concerne la propagande et l’eschatologie religieuse, la symbolique du « Cham » pourra aisément être remplacée par le retour de l’empire théocratique du Macina qu’Amadou Koufa appelle de ses vœux.

(1) https://www.iveris.eu/list/notes_danalyse/290-le_pivot_africain
(2)https://www.atlasinfo.fr/Brett-McGurk-Envoye-special-du-President-americain-Le-Maroc-a-fait-montre-de-leadership-dans-le-cadre-de-la-coalition_a92646.html
(3) https://www.bbc.co.uk/news/resources/idt-sh/raqqas_dirty_secret
(4)http://www.rfi.fr/afrique/20190215-burkina-faso-cadavre-piege-tue-deux-militaires-djibo-soum
(5)https://www.voaafrique.com/a/civils-tu%C3%A9s-par-l-explosion-d-un-cadavre-pi%C3%A9g%C3%A9-/4805929.html
(6)https://french.almanar.com.lb/1275782
(7)https://theconversation.com/comment-le-djihad-arme-se-diffuse-au-sahel-112244 Dans un prochain article l’IVERIS reviendra sur la situation au Burkina et le massacre des Peuls à Yirgou.
(8)https://www.jeuneafrique.com/mag/665565/politique/mali-amadou-koufa-le-visage-peul-dal-qaida/
(9) Selon nos informations des incursions de terroristes auraient déjà eu lieu en Côte d’ivoire à la frontière avec le Burkina, le Togo, le Bénin et le Ghana ne cachent pas leurs inquiétudes sur ce sujet.
(10) https://www.daeshdaily.com/february-7-2019/
(11)https://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2019/02/288841.htm
(12) https://www.algeriepatriotique.com/2019/03/19/sahel-larmee-americaine-renforce-sa-presence-au-niger/
Dans le moment historique que traverse l’Algérie, il n’est pas inutile de rappeler que du fait de la lutte contre le terrorisme, ce pays est presque totalement encerclé par les armées occidentales.
(13) https://www.iveris.eu/list/notes_danalyse/371-le_sahel_estil_une_zone_de_nondroit__
(14) Le Burkina Faso avait signé en août 2018 des accords de coopération militaire avec la Russie, mais selon nos informations, ceux-ci ne seraient plus en vigueur.

Leslie Varenne est directrice de l’IVERIS (Institut de Veille et d’Etude des Relations Internationales et Stratégiques)

*Source : IVERIS

Par Leslie Varenne, sur France-Irak Actualité :

Le Sahel est-il une zone de non-droit ?

De Tripoli à Caracas

Partager

Plus d’histoires deAFRIQUE