L’attaque-surprise que Khalifa Haftar a déclenchée jeudi 4 avril sur Tripoli fait trembler la communauté internationale.
10 avril 2019
Le Monde –
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ESAM AL-FETORI / REUTERS
En Libye, Khalifa Haftar, un maréchal en guerre
Par Frédéric Bobin
L’attaque-surprise que Khalifa Haftar a déclenchée jeudi 4 avril sur Tripoli fait trembler la communauté internationale. L’homme fort de la Cyrénaïque, forcé à l’exil sous Kadhafi, renforce son emprise sur le pays.
On soupçonne, sans grand risque de se tromper, qu’il doit passer de longues heures devant la carte de Tripoli, photo satellite agrandie et plastifiée, décor mural strié d’avenues et moucheté de blocs d’habitations. On l’imagine scrutant le damier de la capitale avec la même assurance en son destin qu’il trahissait quand nous l’avions rencontré, en mars 2015, posté devant la carte d’un autre champ de bataille, celui de Benghazi.
Cheveux blancs soigneusement lissés en arrière, raide dans son uniforme vert olive aux épaulettes piquées d’étoiles en or, Khalifa Haftar affectait la posture qu’il prise, celle de l’homme providentiel. « Mon devoir est de sauver les Libyens », clamait-il.
« Il est d’abord et avant tout un militaire. Il n’est pas intéressé par la politique, qui, dans son esprit, ne fait que suivre le militaire » Peter Millett, ancien ambassadeur britannique en Libye
A l’époque, sa légende de chef de guerre était laborieuse. Khalifa Haftar n’inspirait, dans les chancelleries et les forums diplomatiques, que des mines entendues, réprobatrices ou apitoyées. On le toisait comme un apprenti prétorien brouillon et inefficace, une nuisance à éloigner dans un coin.
Vent de crise
Aujourd’hui, Khalifa Haftar fait trembler le Conseil de sécurité des Nations unies, précipite des communiqués de Washington ou du G7. L’attaque-surprise qu’il a déclenchée, jeudi 4 avril, sur Tripoli, contre le gouvernement de Faïez Al-Sarraj, reconnu par la communauté internationale, fait souffler un vent de crise sur la géopolitique d’Afrique du Nord et au-delà. Huit ans après le soulèvement contre le « Guide » Mouammar Kadhafi, la Libye semble basculer à nouveau dans l’ornière. Une rechute vers les abysses ?
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En ce jour de printemps 2015, il avait donc reçu Le Monde dans le bureau de son quartier-général d’Al-Marj, situé à 80 km à l’est de Benghazi, la capitale de la Cyrénaïque (est de la Libye), alors ravagée par les combats mettant aux prises son Armée nationale libyenne (ANL) et les combattants du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi (CCRB), à tendance islamiste, voire djihadiste.
Dehors, cernant la bâtisse jaune pâle où le général avait logé son repaire, des champs de luzerne entouraient des chars russes hors d’usage, des pick-up aux mitrailleuses gainées d’une housse et des caisses de munitions fraîchement livrées. L’accès au site avait été une épreuve, fouilles multiples et gardes fébriles. Khalifa Haftar était très menacé et rien n’était laissé au hasard. Dans le hall d’entrée, une hirondelle qui s’était glissée par on ne sait quel fenestron fut pourchassée à coups de crosse. Sait-on jamais.