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30 décembre 2024

Justice : saison 2018/2019, la politique toujours…


Vu du Droit

Régis de Castelnau

Mercredi 24 juillet 2019

Le journal Atlantico m’a demandé une petite rétrospective des décisions qui ont marqué l’année judiciaire. J’en ai sélectionné quatre qui me semblent significatives de la volonté du dévoiement politique voulu d’abord par François Hollande est poursuivi ensuite par Emmanuel Macron. Qui n’ont bien sûr l’un comme l’autre que le mot indépendance à la bouche. Sachant que la vraie question est celle de l’impartialité de la justice dont l’indépendance ne serait que le moyen.

On peut aussi retrouver l’article directement sur le site d’Atlantico.

Retour sur les procès les plus intéressants de l’année 2018-2019

Pas forcément les plus médiatiques, certains procès ont eu une importance majeure au cours de l’année, car ils révèlent l’état de la justice.

C’est une banalité de dire que l’année scolaire a depuis longtemps supplanté l’année civile dans le vécu des Français. Pour tout le monde, après les congés d’été la vraie rentrée ce n’est pas celle qui se déroule au début du mois de janvier mais bien au mois de septembre. Pendant fort longtemps la Justice a été organisée à ce rythme et les rentrées solennelles des juridictions avaient lieu en automne. Cela a changé, mais pas dans les têtes et concernant le bilan de l’année judiciaire, on partira comme d’habitude de septembre 2018.

Nous avons retenu quatre décisions pour leur valeur symptomatique en ce qu’elles révèlent les contradictions qui traversent le corps des magistrats reflet de celles qui agitent la société. Ce qui fait que la dimension politique de chacune d’entre elles est évidente, et démontre que le chemin à parcourir pour que l’institution judiciaire soit irréprochable dans son impartialité sera encore long et tortueux.

Mort de Clément Méric : quand la justice combat la bête immonde

Le septembre 2018, après une semaine de débats, la Cour d’assises de Paris a rendu son verdict dans le dossier concernant la mort de Clément Méric. De façon surprenante ont été prononcées des peines très lourdes, sans commune mesure avec celles que l’on rencontre habituellement dans les affaires de violences similaires. Force a été de constater qu’après une conduite d’audience empreinte de partialité, les onze ans de prison infligés à Esteban Morillo et les sept à Samuel Dufour, l’ont plus été au regard de leur passé de skinhead qu’à celui des faits qui leur étaient reprochés. Ce qui en fait malheureusement une décision incontestablement politique.

Rappelons brièvement les faits tels qu’ils ont pu être exposés à l’occasion des débats largement répercutés par la presse. Deux groupuscules violents et antagonistes se sont confrontés à l’occasion d’une vente privée de vêtements dans un appartement du quartier Caumartin de Paris. Une bagarre de rue s’est déclenchée à l’occasion de laquelle le skinhead Esteban Morillo, a porté deux coups violents au visage de Clément Méric, jeune étudiant appartenant à la mouvance « anti-fas ». Dont la tête lors de sa chute, a heurté un élément de mobilier urbain, ce qui a entraîné son décès. Les rôles respectifs dans l’affrontement ont été à peu près cernés, la volonté initiale d’en découdre étant plutôt du côté des « anti-fas », et Clément Méric ayant participé directement à la bagarre. Le bon sens aurait dû considérer qu’on était en présence d’une bagarre de rue opposant des abrutis déclassés à des antifascistes de pacotille. C’est pour cela que la mort de Clément Méric est à ce point désolante, stupide et si inutile. Mais c’est un fait divers tragique, et la justice aurait dû le traiter comme tel. La violence d’Esteban Morillo méritait le passage en Cour d’assises, mais aussi le même traitement que celui relevé dans des affaires similaires. Le quantum de la peine excède très largement celui que l’on rencontre lorsque l’on étudie la jurisprudence. Et c’est dans cet écart de plusieurs années au détriment d’Esteban Morillo que se loge la dimension politique de la décision rendue par la Cour d’assises de Paris.

Le principe de « la personnalisation des délits et des peines » aurait dû permettre la prise en compte du fait que l’accusé avait rompu avec ce passé et essayé de reconstruire une vie. Ce n’est pas un militant nazi ou même pétainiste que la cour devait juger mais un fils d’immigrés, aux études réduites à celles d’apprenti boulanger et dont tous les espoirs de vie étaient bornés par la pauvreté. Au lieu de cela, par la conduite des débats, les réquisitions du parquet, et l’importance des peines infligées la justice donne l’impression d’avoir voulu apporter sa pierre à la lutte contre la bête immonde. Ce n’était pas sa mission.

L’affaire Georges Tron ou la Justice sous le feu du lobby néo-féministe

Par un arrêt rendu le 25 novembre 2018 la cour d’assises de Bobigny  a prononcé l’acquittement prévisible de Georges Tron après quatre semaines d’audience. Acquittement qui a provoqué l’habituel concert de hurlements de la cohorte des néo féministes en rage.

On rappellera que cet acquittement est intervenu ce après une procédure d’instruction minutieuse aboutissant à une ordonnance de non-lieu prononcé par le juge d’instruction ayant accompli tous les actes et en particulier auditionné toutes les parties. Cette ordonnance a été rendue sur réquisitions conformes d’un parquet également partie à la procédure au fur et à mesure qu’elle se déroulait. Sur appel de la seule partie civile, l’ordonnance fut soumise à la chambre d’instruction. Malgré de nouvelles réquisitions de non-lieu du parquet, par un arrêt qui a surpris le monde judiciaire, la chambre d’instruction a réformé l’ordonnance de non-lieu.

Après l’affaire Weinstein et la campagne #metoo, et malgré les faiblesses relevées par le juge d’instruction et le parquet ce dossier est devenu emblématique du combat des néo féministes victimaires. Une première audience avait commencé à se tenir au mois de décembre 2017 dans des conditions de pression médiatique et politique incompatibles avec l’exercice d’une justice sereine. Le procès fut donc renvoyé. Chose surprenante, le parquet utilisant l’adage «la plume est serve mais la parole est libre » avait décidé de ne pas suivre à l’audience les réquisitions écrites tout au long de la procédure, et a demandé la condamnation des accusés.

Toute l’instruction fut refaite à la barre pendant quatre semaines et un débat contradictoire beaucoup plus serein s’est déroulé, à la suite duquel le jury populaire et les trois magistrats qui composaient la Cour ont considéré qu’une vérité judiciaire de culpabilité.

Et ce fut immédiatement le tollé. On a retrouvé les mêmes agités et les mêmes démagogues que d’habitude occupés à exciter la meute et à insulter la justice comme cela avait été le cas dans l’affaire Jacqueline Sauvage où il fallait faire passer, contre l’évidence, une meurtrière pour une victime. Cette fois-ci, pour transformer un homme politique acquitté après une procédure régulière en un abominable Barbe-Bleue. Lorsque l’on voit ceux qui mènent ces campagnes, on mesure parfaitement quel est leur objectif. Tout à leur ignorance en matière de libertés publiques quand ce n’est pas de la haine pour celles-ci, ils réclament à grands cris l’abandon des principes qui gouvernent le procès pénal dans notre pays. Lamentable spectacle où sur les plateaux et les réseaux, des leaders d’opinion et des responsables politiques ont rivalisé de démagogie n’hésitant pas à prôner le retour à des formes de barbarie pénale et l’abandon des principes de liberté qui organisent la vie dans une société démocratique. La palme revenant à Juliette Méadel, ancienne avocate et ministre socialiste de François Hollande, installée depuis sur la niche marketing qu’elle pense porteuse du néo féminisme. Elle s’était fendue d’un tweet grandiose : «accusations de viol: Georges Tron acquitté. Verdict désespérant pour le droit des victimes. Le doute ne doit pas bénéficier aux accusés ! C’est le retour du droit de cuissage ! » 

Le parquet sensible à la clameur et aux pressions médiatiques a de nouveau renié sa position de toute l’instruction et fait appel de la décision d’acquittement.

Espérons que la cour d’assises d’appel aura la même fermeté et le même professionnalisme que celle de première instance.

Gilets jaunes : quand la Justice fait la police

Face à la crise des gilets jaunes, dans le silence obstiné des organisations syndicales de magistrats déshonorées à cette occasion, le pouvoir Macronien, un moment aux abois a instrumentalisé une répression judiciaire sans précédent pour tenter de mater un mouvement social. Il y a eu bien évidemment la stratégie du ministère de l’intérieur qui a poussé à la violence pour tenter de disqualifier le mouvement. Mais malheureusement la magistrature de façon très large a accepté ces dérives et est mis en œuvre une répression de masse qui a entretenu des rapports très lointains avec l’État de droit dont on nous rebat pourtant les oreilles. Cravachés par Nicole Belloubet et Édouard Philippe, les parquets déchaînés ont basculé avec zèle dans la répression brutale, faisant procéder à des arrestations souvent préventives, par milliers, déférant à tour de bras devant les tribunaux, à l’aide de procédures d’urgence dans lesquelles par des réquisitoires violents, ils demandaient des peines folles. Et de façon stupéfiante la magistrature du siège a accepté de rentrer dans cette logique et a distribué en cadence des peines parfois énormes. Depuis le mois de novembre 2018, début du mouvement, près de 10 000 arrestations, 1500 condamnations, 450 personnes incarcérées sur la base d’incriminations parfois farfelues. Désolé, mais ceci n’était pas de la justice, mais de l’abattage. Édouard Philippe s’est présenté à l’Assemblée nationale se gargarisant de ce triste bilan. Qui a scandalisé à l’étranger.

On ne retiendra qu’une qu’une décision pour sa valeur symbolique. Au cours d’une manifestation qui est l’exercice d’une liberté constitutionnelle, trois manifestants usant de la liberté d’expression également constitutionnelle avaient scandé : « Castaner assassin ». Le ministre de l’intérieur sous la responsabilité duquel ont été commis un nombre incroyable de violences policières, après avoir traité publiquement les manifestants « d’abrutis » en a fait poursuivre trois pour « outrage au ministre de l’intérieur ». Il s’est trouvé, un procureur pour poursuivre et requérir et trois magistrats du siège pour les condamner, ce qui constitue une grande première dans l’histoire du droit de manifester dans ce pays. Montrant ainsi que la grande majorité de l’appareil judiciaire a accepté d’oublier sa mission de Justice, pour considérer à la demande du pouvoir exécutif qu’il devait rétablir l’ordre, c’est-à-dire exercer une mission de police. Tout ceci est désolant.

La relaxe de Bernard Tapie ou la défaite de la Justice politique.

À la surprise générale, la collégialité de magistrats du Tribunal correctionnel de Paris a refusé de poursuivre à l’encontre de Bernard Tapie ce qui n’était rien d’autre qu’une vendetta politique. Le courageux et juridiquement très solide jugement de relaxe rendu par la 13chambre au profit des personnes poursuivies pour escroquerie en bande organisée, ne fait pas plaisir qu’aux seuls prévenus, mais également à tous ceux qui sont attachés à une Justice impartiale et respectueuse du droit. Est-ce le retour enfin à un fonctionnement normal de l’institution, ou bien un acte isolé qui sera sans lendemain, voyant se poursuivre la dérive avec à la manœuvre le couple infernal Parquet National Financier et Pôle d’instruction financière ?

Quiconque s’était penché un peu en détail sur ce dossier ne pouvait croire Bernard Tapie coupable cette fois-ci « d’escroquerie en bande organisée ». Il sautait aux yeux que le dossier pénal avait été ficelé et ne tenait pas debout. Mais on pouvait craindre que la juridiction du fond n’aurait pas l’audace de mettre un coup d’arrêt à ce modèle d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Comme l’ont été par les mêmes institutions les affaires concernant Nicolas Sarkozy, François Fillon, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ou encore Gérard Collomb récemment. Il faut quand même rappeler que ce dispositif de lutte judiciaire contre l’opposition a été mis en place à la demande de François Hollande avec la création du PNF après l’affaire Cahuzac. Il a ensuite été récupéré par Emmanuel Macron, pour être utilisé également pour assurer à ses proches une certaine immunité pénale.

Au moment de son départ, avec une certaine ingénuité la patronne du PNF fait ce singulier aveu aux journalistes de Marianne : « Je n’ai jamais subi aucune pression ». Pardi, pourquoi en aurait-il fallu ? Par ailleurs le juge d’instruction spécialisé dans la chasse au Sarkozy a lui aussi quitté son poste au pôle financier. Alors changement ? Nous verrons mais on peut craindre la volonté déjà constatée du chef de l’État d’utiliser les mêmes outils à son profit.

L’examen rapide de ces quatre décisions montre à quel point la question, non pas de l’indépendance de la Justice mais de son impartialité politique reste à ce point sensible. Certaines juridictions ont sauvé l’honneur, et en particulier la cour d’assises de Bobigny et le tribunal correctionnel de Paris. Il y en a quelques autres. Mais malheureusement le bilan n’est pas franchement globalement positif. Et en particulier, l’acceptation par cette Justice d’être l’outil de la répression brutale du mouvement social des gilets jaunes a été une très mauvaise surprise. Amis magistrats, encore un (gros) effort pour devenir vraiment impartiaux.

 

 

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Source : Vu du Droit
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