Par Matt Kennard (revue de presse : Les Crises – 27 avril 2023)*
Bien que les ministres britanniques aient nié que la guerre d’Irak était liée au pétrole, le fleuron des entreprises britanniques a profité d’une aubaine dès son retour en Irak après l’invasion de 2003, selon Declassified.
- BP est retourné en Irak en 2009 après 35 ans d’absence et a obtenu une participation importante dans le plus grand champ pétrolier du pays, près de Bassorah, occupée par les Britanniques.
- BP a pompé 262 millions de barils de pétrole irakien depuis 2011.
- Sir John Sawers, premier représentant spécial du Royaume-Uni en Irak après l’invasion, a gagné 1,1 million de livres Sterling depuis qu’il a rejoint le conseil d’administration de BP en 2015.
- Shell, autre « supermajor » du pétrole britannique, a également remporté un contrat en Irak en 2009 en tant qu’opérateur principal chargé de développer le champ pétrolier « super-géant » de Majnoon.
BP a pompé du pétrole pour une valeur de 15,4 milliards de livres Sterling en Irak depuis 2011, date à laquelle elle a commencé à produire dans le pays pour la première fois en près de quarante ans, selon une nouvelle analyse.
Ces nouvelles informations sont publiées à l’occasion du 20e anniversaire du début de l’invasion de l’Irak, jugée illégale par les Nations Unies. Toutefois, ni le président américain George W. Bush ni le Premier ministre britannique Tony Blair, les dirigeants qui ont mené la guerre, n’ont fait l’objet d’une enquête criminelle.
L’invasion a commencé en mars 2003 et a déclenché un désastre humanitaire catastrophique : on estime à 655 000 le nombre d’Irakiens tués au cours des trois premières années du conflit, soit 2,5 % de la population.
Elle a été largement dénoncée comme une guerre pour le pétrole de la part des États-Unis et du Royaume-Uni : l’Irak détient les cinquièmes réserves prouvées de pétrole au monde. L’Irak n’avait aucun lien avec les attentats terroristes du 11 Septembre, qui avaient eu lieu 18 mois auparavant et avaient déclenché la « guerre contre la terreur. »
Les données relatives à la production de BP en Irak après l’invasion proviennent des rapports annuels de la société et ont été calculées en utilisant le prix annuel moyen du baril de pétrole pour chaque année de production.
De 2011 à 2012, BP a pompé 262 millions de barils de pétrole irakien.
Blair Petroleum
La société a commencé à produire 31 000 barils de pétrole irakien par jour en 2011, mais ce chiffre a rapidement augmenté pour atteindre 123 000 barils par jour en 2015.
En 2020, BP a produit plus de pétrole irakien que l’ensemble de ses activités européennes, y compris en mer du Nord britannique.
Dans les mois qui ont précédé l’invasion de 2003, BP a été surnommée « Blair Petroleum » en raison du lobbying intensif du Premier ministre britannique en faveur de l’entreprise.
L’histoire de BP et de Shell en Irak remonte à un siècle, et l’industrie pétrolière du pays a été largement dominée par les deux sociétés britanniques pendant la majeure partie du XXe siècle.
L’Iraq Petroleum Company, qui détenait un quasi-monopole sur la production pétrolière du pays pendant les quatre décennies qui ont précédé les années 1960, avait son siège à Oxford Street, à Londres. BP et Shell en détenaient ensemble 48 %, avant qu’elle ne soit nationalisée en 1972 et que ses concessions ne soient expropriées.
Accéder aux ressources
Mais BP est revenu en Irak pour la première fois depuis les années 1970, six ans après l’invasion britannique. « Nous cherchons continuellement à accéder aux ressources et, en 2009, l’Irak en faisait partie », avait alors déclaré la société.
La nouvelle opportunité était un contrat remporté auprès d’une entreprise publique pour augmenter la production du champ de Rumaila, près de Bassorah, l’un des plus grands champs pétrolifères au monde. À l’époque, l’armée britannique occupait Bassorah et les zones environnantes dans le sud de l’Irak.
Le champ de Rumaila, qui s’étend sur une longueur de 80 km, a été « découvert » par BP en 1953. C’est le plus grand d’Irak.
Le plan initial de l’administration Bush prévoyait la signature par le gouvernement irakien d’une nouvelle loi sur le pétrole qui aurait indirectement privatisé le pétrole irakien par le biais d’un type de contrat non conventionnel appelé « accords de partage de la production » (PSA).
Ces accords auraient permis aux compagnies pétrolières étrangères de signer des contrats avec le gouvernement pour développer des zones spécifiques du secteur pétrolier irakien en échange d’une part des bénéfices pétroliers.
Mais la constitution irakienne exige que le parlement ratifie les lois et, en raison de la dynamique interne du pays à l’époque, le parlement a fini par être contrôlé par des partis nationalistes opposés à l’occupation.
Le gouvernement irakien a dû revenir à une loi plus ancienne qui n’autorisait que les « contrats de services techniques » (TSC), ce qui permettait au pétrole de rester la propriété de l’Irak tout en donnant aux compagnies pétrolières étrangères un taux forfaitaire en échange de services.
L’investissement de BP dans Rumaila a pris la forme d’un TSC, qui est entré en vigueur en décembre 2009. L’accord prévoit que BP récupère les coûts, quel que soit le prix du pétrole, et perçoit une redevance par baril de production au-delà d’un seuil défini.
Toutefois, la société a déclaré que « le contrat de service technique (TSC) en vertu duquel nous opérons en Irak fonctionne comme un PSA [accord de partage de la production]. »
Entrepreneur principal
BP était le maître d’œuvre du développement de Rumaila, avec une participation directe de 38 %. La China National Petroleum Company (CNPC) en détenait 37 %, les 25 % restants étant détenus par le gouvernement irakien.
BP a déclaré, aux côtés de la CNPC, qu’elle avait l’intention d’investir 15 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années pour porter la production de Rumaila à près de 3 millions de barils par jour, soit 3 % de la production mondiale de pétrole.
À l’époque, Rumaila produisait déjà la moitié des exportations de pétrole de l’Irak et comprenait cinq réservoirs de production. BP et ses partenaires remettraient en état les puits et les installations.
Au cours de sa première année d’exploitation, BP a augmenté la production du champ de Rumaila de 10 % par rapport au taux initialement convenu avec le ministère irakien du Pétrole, ce qui a permis à la société d’obtenir une part du pétrole produit. Au cours de la décennie suivante, BP extraira en moyenne 65 000 barils de pétrole par jour de Rumaila.
En 2014, BP a augmenté sa participation dans le TSC de Rumaila à 48 % et le contrat a été prolongé de cinq ans, jusqu’en 2034.
« Malgré l’instabilité et la violence sectaire dans le nord et l’ouest du pays, les opérations de BP se poursuivent dans le sud », a déclaré la société.
En 2015, elle a indiqué que « nous continuons à établir des relations dans les régions historiques de BP au Moyen-Orient, avec des opportunités croissantes », notamment en Irak, où la production de BP a atteint un niveau record de 123 000 barils par jour. L’Irak est désormais désigné comme l’une des « principales zones de production » de BP.
Représentant spécial en Irak
Sir John Sawers, premier représentant spécial du Royaume-Uni en Irak en 2003, qui a rejoint le conseil d’administration de la société en 2015, est l’une des personnalités qui a su tirer son épingle du jeu au sein de BP.
Au cours des sept années suivantes, Sawers a perçu 1,1 million de livres Sterling d’honoraires de la part de l’entreprise. Sa participation dans BP valait également 135 000 livres l’année dernière, soit une augmentation de 181 % par rapport à son entrée dans l’entreprise.
Sawers a rejoint BP en tant qu’administrateur non exécutif en mai 2015, après avoir été apparemment « identifié » l’année précédente lorsqu’il a quitté son poste de chef du MI6, l’agence britannique de renseignement extérieur.
« John apporte une longue expérience de la politique internationale et de la sécurité, qui sont si importantes pour nos activités », a déclaré la société. Sawers a passé l’essentiel de sa carrière dans la diplomatie, « représentant le gouvernement britannique dans le monde entier », a ajouté BP. En raison de cette expérience, BP a nommé Sawers président de son comité géopolitique.
Sawers était proche du Premier ministre Tony Blair au moment de l’invasion de l’Irak, dont il a été le conseiller en matière de politique étrangère de 1999 à 2001. En mai 2003, Blair a nommé Sawers premier représentant spécial de la Grande-Bretagne pour l’Irak après l’invasion.
Le rôle du représentant spécial était de « travailler avec les Irakiens, avec les partenaires de la coalition et avec d’autres représentants de la communauté internationale pour aider et guider les processus politiques menant à la mise en place d’une administration intérimaire. »
Sawers est ensuite devenu directeur politique et membre du conseil d’administration du Foreign Office de 2003 à 2007. Son influence en Irak s’est poursuivie puisqu’il est retourné dans le pays pour représenter le gouvernement britannique en octobre 2005, au lendemain du succès du référendum constitutionnel.
Proche du MI6
Il semble que Sawers ait été un agent du MI6 au début de sa carrière. En 2009, lorsqu’il a été nommé à la tête du MI6, la BBC a commenté ainsi : « Comme Downing Street l’a timidement noté, Sir John « rejoint » le SIS [Secret Intelligence Service] – aucun détail n’a été donné sur sa carrière antérieure au MI6. »
BP est depuis longtemps proche du MI6. Dans un article paru en 2007 dans le Mail on Sunday, qui a été supprimé par la suite, un dénonciateur de l’entreprise affirmait que « BP travaillait en étroite collaboration avec le MI6 au plus haut niveau pour l’aider à remporter des marchés […] et à influencer le climat politique des gouvernements. »
L’ancien officier renégat du MI6 Richard Tomlinson a écrit dans ses mémoires de 2001 que BP a des « officiers de liaison du MI6 qui reçoivent les données CX [Cummings Exclusively, niveau de protection des renseignements selon le code interne au MI6, NdT] pertinentes. »
Le prédécesseur de Sawers à la tête du MI6, Sir John Scarlett, était le haut fonctionnaire du renseignement responsable du fameux dossier de Tony Blair sur les armes de destruction massive de l’Irak, élaboré avant l’invasion. Scarlett « a proposé d’utiliser le document pour tromper le public sur l’importance des armes interdites de l’Irak. »
Dans la section consacrée à ses compétences, BP indique que la « gestion de la réforme du MI6 par Sawers complète également l’accent mis par BP sur la valeur et la simplification. »
Le champ pétrolier super géant de Shell
L’autre « supermajor » pétrolière britannique, Shell, est également revenue en Irak en 2009 lorsqu’elle s’est « assurée une position importante » dans le pays avec un contrat gouvernemental pour développer le champ de Majnoon, toujours près de Bassorah, dans le sud de l’Irak occupé par les Britanniques.
La compagnie l’a décrit comme « l’un des champs pétrolifères les plus importants au monde », avec une quantité de pétrole estimée à 38 milliards de barils.
Shell s’est vu attribuer un contrat de services techniques (TSC) d’une durée de 20 ans en tant qu’opérateur principal, avec une participation de 45 % dans l’exploitation de Majnoon. La compagnie pétrolière malaisienne Petronas détiendrait 30 % des parts et l’État irakien les 25 % restants.
La production devrait atteindre 1,8 million de barils de pétrole par jour, selon Shell, contre 45 000 à l’époque. Shell a également déclaré que le champ avait un « potentiel d’exploration supplémentaire. »
Toujours en 2009, Shell a obtenu une part de 15 % dans un contrat pour le développement du champ West Qurna 1 – toujours près de Bassorah – dans le cadre d’un consortium dirigé par ExxonMobil.
Ce contrat a été renégocié en 2014 et la part du gouvernement a été réduite de 25 % à 5 % et distribuée à d’autres actionnaires, dont Shell.
Toutefois, en 2018, Shell a vendu au gouvernement irakien sa participation de 20 % dans le champ West Qurna 1 et sa participation de 45 % dans le champ Majnoon.
BP et Sir John Sawers n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
A propos de l’auteur :
Matt Kennard est enquêteur en chef à Declassified UK. Il a été boursier puis directeur du Centre for Investigative Journalism à Londres. Suivez-le sur Twitter @kennardmatt
*Source : Les Crises
Version originale : Declassified UK, Matt Kennard, 22-03-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises