Le nouveau fascisme est ultra-libéral
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Le nouveau fascisme est ultra-libéral
18 septembre 2023
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Voici une interview d’Andrei Doultsev, traduit par Marianne qui expose le stade actuel de l’impérialisme. Qui dit ultralibéralisme ne dit pas pour autant fin de l’État mais au contraire l’aggravation de ses aspects répressifs au fur et à mesure qu’il démantèle les services publics. “Les centres de pouvoir économique sur le marché mondial reposent donc sur une interaction complexe entre les États impérialistes, qui sont les plateformes initiales du capital développé en raison de la mise à disposition d’infrastructures matérielles et sociales, et les grandes sociétés transnationales dont le capital monétaire circule constamment autour du globe.” (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
Entretien avec le musicien et publiciste Achim Szepanski. M. Szepanski est né près de Karlsruhe en 1957 et a étudié l’économie sociale à l’université de Francfort-sur-le-Main. Szepanski a publié un certain nombre d’essais sur la théorie de l’impérialisme moderne. En 2014, il a publié le double volume “Capitalisation” et en 2019 l’essai “L’impérialisme, la fascisation de l’État et les machines de guerre du capital” chez Laika-Verlag.
Andrei Doultsev : L’essai que vous avez publié aux éditions Laika s’intitule “L’impérialisme, la fascisation de l’État et les machines de guerre du capital”. Qu’est-ce qui vous a poussé à publier cet essai ?
Achim Szepanski : Ces dernières années, le débat sur le concept d’impérialisme a été repris, bien que dans un sens très différent de celui dans lequel Lénine ou Hilferding avaient traité de l’impérialisme début du vingtième siècle. Aujourd’hui, un petit nombre d’États impérialistes forment une alliance hiérarchique sur le marché mondial, qui est en même temps constituée au moyen de leurs grandes sociétés multinationales qui alimentent les chaînes d’approvisionnement mondiales avec d’énormes quantités de biens et de services. Les centres de pouvoir économique sur le marché mondial reposent donc sur une interaction complexe entre les États impérialistes, qui sont les plateformes initiales du capital développé en raison de la mise à disposition d’infrastructures matérielles et sociales, et les grandes sociétés transnationales dont le capital monétaire circule constamment autour du globe.
Dans la mesure où l’État démantèle les services sociaux, il doit se réarmer dans sa fonction de police sociale, par exemple en orientant la politique du travail vers un recours accru aux méthodes répressives. L’austérité et l’autoritarisme vont de pair. Ou, pour le dire autrement, le marché et un État fort s’excluent mutuellement dans la doctrine néolibérale mais pas dans la pratique. Cependant, la fascisation structurelle de l’État d’un nouveau genre n’apparaît pas exclusivement en réaction aux tendances régressives du développement et aux processus de crise, mais anticipe plutôt les tendances à venir, les crises économiques, sociales et politiques et les potentialités de conflit, ce qui est également clairement énoncé dans les déclarations officielles correspondantes. À cette fin, l’État développe une série de techniques, telles que de nouveaux instruments de contrôle et de surveillance qui enregistrent, accumulent et évaluent les données, des techniques permettant de quantifier et de mesurer davantage la population, ainsi que des techniques de nature policière et militaire. La transformation de l’État ordinaire du capital en un État fascisé aujourd’hui ne résulte donc pas nécessairement d’une rupture spectaculaire, mais plutôt de l’accumulation, du glissement et de la consolidation larvés mais constants d’opérations restrictives, de reconstructions et de mesures qui ne doivent pas nécessairement conduire à un État fasciste, mais n’excluent pas non plus une rupture.
Andrei Doultsev : Quel développement a connu l’impérialisme depuis l’analyse de Lénine “l’impérialisme stade suprême du capitalisme” ?
Achim Szepanski : Avant tout, notre conception du capitalisme monopoliste d’Etat a changé à certains égards – Lénine ne théorisait pas l’impérialisme en termes de financiarisation, de composition organique croissante du capital ou de tendance à la baisse du taux de profit. Les données empiriques d’aujourd’hui n’existaient pas alors.
Les grandes entreprises des pays impérialistes disposent d’avantages économiques importants sur le marché mondial et occupent une position dominante dans les réseaux de l’économie nationale et dans ceux de l’économie mondiale, ces derniers précisément en raison de leurs relations intenses avec leur propre État. Les États impérialistes protègent massivement les droits de propriété de leurs propres entreprises et renforcent leur pouvoir économique dans le commerce international et dans l’expansion des investissements directs étrangers par une série de mesures politiques. Enfin, et surtout, ils assurent la solidité de leur propre monnaie, notamment en cas de crise, et agissent ainsi comme des institutions publiques d’assurance pour le capital. Les rapports de force politico-économiques diffèrent sur le marché mondial avec l’accumulation différentielle inégale des capitaux nationaux, la concurrence des sociétés transnationales et les luttes de pouvoir entre les différents pays.
Aujourd’hui, le pouvoir économique des grandes entreprises sur les marchés mondiaux se déploie notamment à travers les chaînes d’approvisionnement mondiales, c’est-à-dire à travers des espaces densément mis en réseau et transversaux constitués d’infrastructures, d’informations, de marchandises et d’acteurs sociaux, par lesquels transitent les flux de capital monétaire. Ces espaces transnationaux avec leurs nœuds, lignes et frontières sont traversés par des flux matériels et immatériels de logistique et des flux de capitaux. La logistique transforme l’usine en réseaux divisés de production et de circulation dispersés sur le globe, qui n’éliminent pas les territoires des États-nations, mais les remodèlent. Nous avons également affaire aujourd’hui à une surexploitation du travail dans l’hémisphère sud-est du globe, orchestrée par certaines sociétés transnationales, dont les profits sont constamment transférés vers les pays impérialistes du nord. Une grande partie de la production industrielle mondiale a été transférée du Nord vers le Sud, qu’il s’agisse des T-shirts produits au Bangladesh ou des derniers gadgets électroniques en Chine.
Il est toujours nécessaire de prendre en compte l’accès respectif des multinationales à l’industrie financière internationale lors de l’analyse du marché mondial. En effet, les sociétés opérant à l’échelle mondiale ont absolument besoin de leurs services financiers. Pensez à la stabilité des systèmes de paiement internationaux, au rôle des devises dans le commerce international, aux investissements à long terme, aux opérations sur titres et produits dérivés, aux prêts à court terme et, en général, à l’échange d’argent contre de l’argent.
Il existe trois facteurs importants qui indiquent que le secteur financier joue un rôle dominant dans l’économie d’un pays impérialiste et surtout dans l’économie mondiale :
(a) L’utilisation d’argent provenant de l’étranger pour prêter aux entreprises nationales et à l’État. Cela peut être fait aujourd’hui en particulier par les sociétés financières américaines (à cause du dollar dans sa fonction de monnaie de réserve mondiale) et le système bancaire basé à Londres.
b) Le financement des investissements réalisés à l’étranger par des entreprises nationales afin de mettre en place des processus de production à valeur ajoutée à l’étranger. Cela peut se faire par le biais du financement bancaire ou des marchés boursiers, ce qui permet une concentration accrue des capitaux au-delà des frontières nationales.
c) L’appropriation d’une partie de l’excédent produit au niveau mondial.
Andrei Doultsev : Que représente le capitalisme mondialisé aujourd’hui ?
Achim Szepanski : Les marchés financiers ont aujourd’hui une double fonction : d’une part, les acteurs économiques (entreprises, Etats et ménages) y sont évalués au moyen de technologies de pouvoir statistique et stochastique, et d’autre part, ils servent d’instance fonctionnelle de capitalisation des promesses de paiement futures, celles-ci étant désormais négociées à la vitesse de la lumière au niveau mondial. Alors que la comptabilité dans le “secteur réel” a longtemps été orientée vers le passé, à partir des années 1970, la capitalisation orientée vers l’avenir, c’est-à-dire le calcul ou l’actualisation des flux de paiement et des promesses futurs attendus, est devenue la méthode la plus importante du système financier capitaliste, grâce à laquelle la réalisation de profits monétaires se fait entièrement en termes réels ou est au moins financée. Les produits dérivés et tous les autres instruments financiers exotiques, qui doivent être compris, d’une part, comme des technologies de pouvoir et, d’autre part, comme de nouvelles formes spéculatives de capital permettant de réaliser des profits, sont aujourd’hui une condition nécessaire à la mise en œuvre constante de la financiarisation dans l’ensemble du champ économique.
La métaphore “système nerveux central du capital” indique avec précision ce développement des économies capitalistes. Si le principe du capital est le moteur du monstre respiratoire appelé capital total, alors le système financier est son cerveau et son système nerveux central. Le système financier exécute, dans une mesure non négligeable, la concurrence, la coordination et la régulation des entreprises (dans tous les secteurs), qui sont à leur tour présupposées par l’a priori du capital total, qui est actualisé par la concurrence réelle des entreprises, qui pour Marx n’est jamais un ballet mais une guerre. Le capital financier module et relance constamment la concurrence de toutes les entreprises – il fait donc partie intégrante de l’économie du capital et n’est pas un cancer qu’un médecin enlève pour redonner la santé au corps du capital.
Andrei Doultsev : Quel rôle jouent aujourd’hui les États dans l’interaction avec le capitalisme mondial ?
Achim Szepanski : Le fonctionnement transnational de la finance et de la logistique affaiblit l’Etat par rapport au capital. William I. Robinson plaide dans ce sens dans son livre « The Global Police State ». Pour lui, les principaux agents du capital sont une nouvelle classe capitaliste transnationale qui a émergé des principaux groupes capitalistes du monde industrialisé, soulignant l’importance des marchés mondiaux et représentant ainsi la faction hégémonique du capital à l’échelle mondiale. Ces entreprises ont internationalisé les marchés grâce à des réseaux qui transcendent les frontières nationales.
Mais au-delà de toutes les théories néolibérales du fondamentalisme du marché, le capital continue d’avoir besoin de l’État capitaliste, alors qu’inversement l’État est structurellement dépendant du capital. D’une part, le capital transnational et ses représentants instrumentalisent les États du monde entier ; d’autre part, chaque pays est désormais dépendant des circuits du capital transnational. Dans ce contexte, les États doivent créer de bonnes conditions d’implantation pour ce type d’accumulation de capital, c’est-à-dire d’une part un climat propice aux profits et d’autre part des règles répressives pour le prolétariat au service du capital. Les États, cependant, ne sont pas des instances politiques transnationales, même si la nouvelle classe transnationaliste tente régulièrement de traduire le pouvoir structurel de l’économie mondiale en une instance politique supranationale, une sorte d’appareil d’État transnational qui n’a pas de gouvernement mondial mais qui peut au moins être compris comme un réseau lâche d’organisations transnationales et supranationales qui travaillent étroitement avec les États-nations pour garantir les conditions de l’accumulation transnationale. Il s’agit d’un réseau institutionnel dans lequel les États-nations ne disparaissent pas car, d’une part, ils doivent produire les conditions nationales de l’accumulation mondiale du capital et, d’autre part, ils ne doivent pas perdre leur légitimité politique en tant que nation dans ce processus. Aujourd’hui, les puissantes entreprises capitalistes et les États impérialistes sont les acteurs clés des marchés mondiaux, dans la mesure où ils peuvent fixer presque toutes les conditions importantes du commerce international, du système financier et des flux d’investissement transfrontaliers, et enfin du commerce des produits dérivés.
Andrei Doultsev : Qu’est-ce que la nouvelle gouvernance de l’État et quelles sont ses principales caractéristiques ?
Achim Szepanski : Les nouvelles machines de guerre du capital correspondent à l’interaction du pouvoir civil et répressif dans l’Etat et tendent à rendre ces deux composantes indiscernables. L’État tend depuis longtemps à privilégier le pouvoir exécutif, ce qui est lié au déclin du pouvoir législatif et entraîne une transformation profonde de ses fonctions administratives et juridiques, ces dernières devenant redondantes par la production quasi quotidienne de lois, décrets et directives, tout en perfectionnant les fonctions de la police sociale.
Carl Schmitt a décrit l’État comme un législateur motorisé, notant une motorisation croissante de la machine exécutive. Les transactions et les poussées de crise du capital financier s’accompagnent désormais de vitesses et de réactions qui exigent tout simplement que les lois, notamment, qui nécessitent l’examen et la bénédiction du Parlement, soient remplacées par des décrets rapides. Ce type de technologisation des appareils d’État se fait par le biais de régimes d’experts privés, informels et étatiques qui, par l’utilisation de techniques exprimées en séries de projets, de pratiques, de canaux et de supports, créent également un corps étatisé de personnes qu’il faut constamment surveiller, évaluer et en même temps mobiliser précisément en exerçant un pouvoir sur elles.
Le déplacement du pouvoir du législatif vers l’exécutif, la perte d’importance des partis, l’expansion de la bureaucratie et le transfert de la prise de décision vers des réseaux de pouvoir informels opérant parallèlement à l’État officiel étaient déjà utilisés par Nikos Poulantzas pour caractériser l’étatisme autoritaire – pour lui un concomitant de l’intensification de l’intervention économique de l’État, qui doit désormais non seulement édicter en permanence des règles, des directives et des règlements en fonction des conjonctures, des fractures et des cycles des mouvements de capitaux dans le cadre de la politique économique à court terme et de la rationalité technique, mais aussi agir elle-même comme une entreprise. L’État lui-même devient une entreprise.
La fascisation de l’État ne vise pas seulement à étendre la répression et les discours et systèmes d’opinion autoritaires, racistes et nationalistes, mais exige plutôt l’utilisation de techniques de pouvoir hautement technologiques, qui ne visent plus à contrôler des individus-citoyens libres, mais réinterprètent la population comme une source potentielle de danger et conduisent finalement à un changement durable de la matérialité des appareils d’État et de leurs interventions, de sorte que l’on peut parler d’un nouveau dispositif de fascisation.
Andrei Doultsev : Quels éléments de fascisme le modèle néolibéral du capitalisme comporte-t-il ? Quelles sont ses différences avec le “vieux” fascisme des années 30 ?
Achim Szepanski : Theodor Adorno a déjà suggéré que le nouveau fascisme ne doit pas nécessairement venir avec des uniformes, des bottes et des symboles nazis.
Pour Lazzarato, le nouveau fascisme est une mutation du fascisme historique, également dans le sens où il apparaît national-libéral au lieu de national-socialiste. Les mouvements politiques issus de 68 sont si faibles aujourd’hui que les fascistes n’ont même pas besoin de reprendre leurs revendications et de les tordre, comme l’ont fait les fascistes et les nazis dans les années 30. Dans leur livre sur la finance autoritaire, Marlène Benquet et Théo Bourgeron se demandent si la classe du capital, précisément parce qu’elle n’est menacée par aucune autre classe ou élite concurrente, s’intéresse encore un tant soit peu à la démocratie aujourd’hui. Le nouveau fascisme n’a donc plus besoin des habillages socialistes, il est au contraire ultra-libéral : il est favorable au marché, au capital et à l’initiative individuelle, même s’il réclame un État fort pour exclure les minorités et les ” étrangers “, un État censé sécuriser à la fois le marché, les affaires et surtout le capital.
Les nouveaux libertaires réactionnaires vont plus loin que les néolibéraux dans la limitation du rôle de l’Etat : L’État doit être privé non seulement de l’éducation, des soins de santé et des infrastructures, mais aussi de ses pouvoirs souverains en privatisant encore davantage l’armée, la police et le système judiciaire. Néanmoins, le libertarisme économique ou l’avant-garde de la seconde financiarisation (gestionnaires d’actifs et fonds spéculatifs) a des tendances extrêmement autoritaires au niveau politique.
Andrei Doultsev : Vous écrivez, entre autres, sur le “modèle de prévention” et la surveillance globale. Comment la définissez-vous ?
Achim Szepanski : Si l’on observe le champ politique et l’Etat, on a affaire à une sorte de police permanente de la sécurisation de l’insécurité, où les procédures pertinentes présupposent que l’on puisse détecter en permanence de nouvelles situations de menace, de nouveaux dangers et facteurs de risque qui ne rendent possibles que la nécessité et la légitimation d’une action préventive de l’Etat, et cette politique de prévention est alors également mise en œuvre et, surtout dans le cas de la prévention de l’Etat, peut aller jusqu’à la liquidation des ennemis supposés du peuple ou de la classe. Cet hyper-rationalisme de la raison anticipatrice est en même temps un pragmatisme totalitaire lorsqu’il prétend éradiquer un risque comme si on exterminait la vermine ou qu’on arrachait les mauvaises herbes. Aujourd’hui, pour susciter la suspicion, il n’est pas nécessaire d’avoir des symptômes concrets d’anormalité ; il suffit simplement de présenter des caractéristiques classées comme facteurs de risque par les experts et les technocrates chargés de définir et de moduler la politique de prévention. L’objectif n’est pas seulement d’anticiper les actions individuelles indésirables, mais de construire et d’analyser les conditions objectives de l’émergence des dangers afin de concevoir ensuite de nouvelles stratégies d’intervention. Un laboratoire de facteurs de risque est créé, dans lequel se multiplient potentiellement à l’infini les possibilités d’intervention, à condition que la prévention élève la suspicion au rang et au mode scientifiques d’un calcul de probabilités. Dans tous les cas, ce type de prévention nécessite une collecte et un traitement exhaustifs des données de l’État afin, d’une part, de constituer et en même temps de contrôler la population et, d’autre part, de traduire les incertitudes de toute nature en risques probables calculables afin de pouvoir construire à partir de ceux-ci des appareils spécifiques de l’État de danger ou de sécurité. Ainsi, les politiques préventives requièrent virtuellement un nouveau type de surveillance, à savoir l’investigation systématisée à l’avance, l’objectif étant d’anticiper et de prévenir l’apparition de tout événement indésirable tel qu’un comportement déviant ou une résistance.
Concernant le 11 septembre : l’accent mis par la police sociale sur la politique de prévention a commencé avant le 11 septembre, mais il s’est accéléré après le 11 septembre avec la “guerre contre le terrorisme”. C’est précisément dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, de la production de l’ennemi interne et externe, que les “principes de précaution” ont été introduits, en partant des pires scénarios et en imaginant toutes les menaces possibles pour ensuite les rechercher, les projeter et finalement les combattre. L’ennemi n’est plus tant un État étranger que l’encerclement d’un ennemi non spécifique et invisible, un ennemi indescriptible qui opère au milieu de la population, ou, pour le dire autrement, il s’agit d’interventions contre un ennemi irrégulier qui est supposé exister en particulier dans les milieux ou les environnements de la pauvreté mondialisée, le terrain menaçant étant ici clairement les ghettos ou les banlieues de la population excédentaire. Tous ces récits politiques de l’État préventif opèrent également à travers la construction médiatique d’ennemis internes et externes : La Russie et la Chine, par exemple, sont classées par les médias privés ainsi que par les médias d’État comme des États particulièrement autoritaires qui menacent désormais aussi l’”Occident” par leur puissance capitalistique, alors que leur autoritarisme est toujours justifié par leur (ex)communisme. Au nom de la lutte contre le terrorisme, on construit des camps pour les “Orientaux” et on court-circuite la question de l’islam avec celle de tous les réfugiés. La guerre possible qui en résulte est une guerre irrégulière qui ne connaît plus de fronts et doit finalement encercler et frapper à nouveau la population.
Andrei Doultsev : Quel rôle joue le fossé entre le Nord et le Sud dans le monde d’aujourd’hui ?
Achim Szepanski : Le capitalisme a commencé avec l’exploitation du travail par la plus-value absolue (une journée de travail plus longue). Ensuite, avec le développement du capitalisme, une augmentation de la plus-value relative a dominé, à savoir l’introduction de technologies permettant d’économiser la main-d’œuvre afin de réduire la valeur de la force de travail dans une même journée de travail. Aujourd’hui, au XXIe siècle, cependant, l’exploitation des travailleurs du Sud ne passe pas tant par une expansion de la plus-value absolue et relative que par la réduction des salaires en dessous de la valeur de la force de travail (super-exploitation).
Mais pourquoi l’impérialisme s’est-il développé de telle manière que l’exploitation prend désormais la forme d’une super-exploitation ? Cela s’explique en partie par le fait que, dans les pays où la main-d’œuvre, autrefois paysanne, croît rapidement, les régimes autoritaires du Sud et les puissantes multinationales du Nord ont été en mesure de surmonter les limites sociales habituelles concernant les salaires, les heures et les conditions de travail excessivement bas, etc.