Le Brésil écrit l’histoire à l’Assemblée Générale des Nations Unies
16 octobre 2013
15 octobre 2013
L’Assemblée Générale de l’ONU n’a pas fort attiré l’attention sur elle. Cependant, des choses y ont été dites qui mériteraient d’être analysées. Entre autres, la présidente du Brésil et le président des États-Unis y ont prononcé des paroles plus que dignes d’intérêt.
La présidente brésilienne Dilma Rousseff avait clairement fait savoir durant les semaines précédant l’AG que certains événements s’étaient déroulés qu’elle condamne avec sévérité. Il ressortait ainsi des révélations d’Edward Snowden que la NSA avait espionné pour ainsi dire toutes les communications de la compagnie pétrolière brésilienne Petrobras, alors que quelque jours plus tard, il semblait que le service de renseignements britannique GCHQ avait fait de même.
Petrobras n’est pas vraiment une organisation terroriste. Mais bien un concurrent sérieux aux entreprises pétrolières américaines et britanniques. En d’autres termes, la NSA s’est livrée en l’occurrence à de l’espionnage économique. Et comme si ce n’était pas assez grave en soi, la NSA aurait également espionné, depuis des années, les courriels internes entre la présidente et son staff.
Rousseff a annulé une visite officielle prévue aux États-Unis. Une série d’accords commerciaux importants, dont l’achat de matériel militaire, qui devaient être paraphés durant cette visite, ne sont désormais plus à l’ordre du jour. Même après une conversation en tête à tête avec le président Obama, Rousseff n’est pas revenue sur sa décision.
Dilma Rousseff ne cède pas
Quiconque pensait qu’elle s’exprimerait à demi-mots durant l’Assemblée Générale s’est bien trompé. Roussef n’y a pas été par quatre chemins pendant son discours. Vous le retrouverez en intégralité dans la vidéo ci-dessous. Extrait :
« Ce dont il s’agit ici constitue un cas grave de violation des droits de l’homme et du citoyen, un cas d’invasion et de vol d’informations confidentielles et secrètes concernant des activités commerciales. Et il s’agit surtout d’un cas de mépris de la souveraineté nationale de mon pays. Nous avons protesté auprès du gouvernement américain et exigeons des explications, des excuses et des garanties que de tels agissements ou procédures ne se reproduiront plus. Des gouvernements amis et des sociétés qui veulent mettre sur pied des partenariats stratégiques sincères, comme dans notre situation, ne peuvent en aucun cas admettre de telles actions illégales comme si elles étaient de bonne guerre en affaires. Ces actions sont totalement inacceptables. »
Plus tard dans son allocution, elle a évoqué une proposition de régulation d’Internet au niveau international selon cinq principes :
« Le Brésil va déposer un certain nombre de propositions sur la table pour créer un cadre civil multilatéral de gouvernance et d’utilisation d’Internet, ainsi que des structures régulatrices garantissant une protection effective des données et de l’information qui circulent sur Internet. Nous devons mettre en place des mécanismes multilatéraux pour le World Wide Web, des mécanismes à même de concrétiser un certain nombre de principes.
1. Le premier principe est celui de la liberté d’expression, du respect de la vie privée des personnes et des droits de l’homme.
2. Le deuxième principe est une gouvernance démocratique, multilatérale et transparente, exercée dans un esprit d’ouverture, qui stimule à la fois la créativité collective et la participation de la société, des autorités et du secteur privé.
3. En troisième lieu, le principe d’universalité garantissant tant le développement social que le développement humain, ainsi que la création de sociétés inclusives et non-discriminantes.
4. Le quatrième principe est celui de la diversité culturelle, sans aucune imposition compulsive de croyances, de coutumes ou de valeurs.
5. Le principe numéro cinq est celui de la neutralité d’Internet à travers des accords sur des critères techniques et ethniques, qui rendent inacceptable le fait que des arguments politiques, commerciaux ou religieux y posent quelque limitation que ce soit. »
Précédent historique
La présidente d’une des plus importantes économies émergentes du monde déclare ainsi ouvertement à l’Assemblée Générale de l’ONU que les États-Unis portent atteinte à la souveraineté d’autres pays – la souveraineté nationale est un des principes de base de la charte de l’ONU. En outre, il s’agit de la présidente du pays le plus puissant d’Amérique latine, traditionnel pré-carré des États-Unis. C’est, en d’autres mots, du jamais vu dans l’histoire de l’ONU.
Coïncidence ou non, après son allocution suivit celle du président Obama. Celui-ci n’a pas consacré un seul mot aux accusations de sa collègue brésilienne. Ce qu’il a dit n’en fut pas moins déconcertant. L’allocution complète n’est pas encore disponible. Extrait :
« Les États-Unis d’Amérique sont prêts à mettre en œuvre toutes les composantes de leur puissance, en ce comprise la composante militaire, pour sécuriser nos intérêts dans la région. Nous répondrons aux agressions externes contre nos alliés et partenaires comme nous l’avons fait pendant la guerre du Golfe. Nous garantirons l’accès libre du monde aux ressources énergétiques de la région. »
En résumé, il a déclaré que les États-Unis agiront en considérant les ressources naturelles partout dans le monde comme leur propriété. Le fait que l’armée US agit à sa guise a été confirmé par les dernières attaques de drones au Yémen et au Pakistan, qui continuent sans relâche.
Il confirme ainsi ce qui fut à l’époque dénoncé par ses opposants mais qui fut toujours nié par les États-Unis, à savoir que la guerre du Golfe fut menée au nom du pétrole. Quant au plus important scandale d’espionnage de ces cinquante dernières années, il n’en dit mot. Il n’a même pas pris la peine de réfuter les accusations de la présidente brésilienne.
Menaces avec la violence comme seule option
La politique extérieure de ses prédécesseurs diffère à peine de la sienne, mais aucun d’entre eux n’avait jamais exprimé aussi ouvertement que ce président américain-ci que les USA s’accordent le droit d’imposer par la force et unilatéralement leur volonté où que ce soit dans le monde.
C’est d’une part fort inquiétant, et d’autre part cela signifie que les États-Unis ne parviennent plus à imposer leur volonté au monde d’une manière qui évite des déclarations comme celle du Brésil. Le temps où les USA menaient le monde à la baguette à coups de dollars, de chantage ou de menaces militaires est révolu.
L’allocution de la présidente brésilienne fut à peine évoquée dans les médias de masse occidentaux. Dans le reste du monde ce ne fut pas le cas. Cet exemple pourrait en inspirer d’autres.
Un ordre mondial économique multipolaire s’annonce. La question principale est de savoir comment les États-Unis y réagiront. Les États-Unis ont beau avoir perdu leur suprématie politique et économique, ils demeurent la nation possédant l’armée la plus puissante du monde. Celle-ci peut encore provoquer bien des dégâts, d’autant plus si les USA se sentent acculés dans un coin.
Traduction pour Investig’Action : Thomas Halter
Source originale : dewereldmorgen.be