KAWAMA, DEMOCRATIC REPUBLIC OF CONGO - JUNE 8 A "creuseur," or digger, climbs through the mine in Kawama, Democratic Republic of Congo on June 8, 2016. The cobalt that is extracted is sold to a Chinese company, CDM. Cobalt is used in the batteries for electric cars and mobile phones. Working conditions are dangerous with no safety equipment or structural support for the tunnels. The diggers are paid on average US$2-3/day. (Michael Robinson Chavez/The Washington Post)Un « creuseur », ou mineur, se déplace dans une mine de cobalt et de cuivre à Kawama, au Congo. Juin 2016.

La filière du cobalt

Le chemin parcouru depuis les mines meurtrières du Congo creusées à mains nues jusqu’aux téléphones et ordinateurs portables du consommateur.

Le soleil se levait sur l’un des gisements les plus riches sur terre, dans l’un des pays les plus pauvres au monde, tandis que Sidiki Mayamba se préparait à partir travailler.

Mayamba est un mineur de cobalt. La terre rouge de la savane, devant chez lui, recèle une richesse en cobalt et autres minerais si stupéfiante qu’un géologue la qualifia un jour de « scandale géologique ».

Ce paysage isolé du Sud de l’Afrique est au cœur de la folle ruée mondiale vers le cobalt bon marché, un minerai indispensable aux batteries lithium-ion rechargeables qui alimentent les smartphones, ordinateurs portables et véhicules électriques fabriqués par  Apple, Samsung et les grands constructeurs automobiles.

Mais Mayamba, âgé de 35 ans, ne savait rien du rôle qu’il tenait dans la gigantesque chaîne d’approvisionnement mondiale. Il se saisit de la pelle en métal et du marteau à l’extrémité endommagée entreposés dans un coin de la pièce qu’il partageait avec sa femme et son enfant. Puis il enfila une veste couverte de poussière. En homme fier, il aime à revêtir une chemise boutonnée même lorsqu’il descend à la mine. Justement, il comptait y travailler à la main toute la journée et toute la nuit. Il ferait un somme dans les tunnels souterrains. Pas d’outils industriels. Pas même un casque. Le risque d’éboulement est permanent.

« As-tu assez d’argent pour acheter de la farine aujourd’hui ? » Demanda-t-il à sa femme.

Elle en avait. Mais voilà qu’un agent de recouvrement se présenta à la porte. Ils s’étaient endettés pour du sel. La farine attendra.

Mayamba tenta de rassurer sa femme. Il dit au revoir à son fils. Puis jeta sa pelle sur son épaule. Il était temps de partir.

La demande mondiale croissante en cobalt est parfois comblée par une main d’œuvre — dont des enfants — qui trime dans des conditions rudes et périlleuses. Selon les ouvriers, les autorités gouvernementales et les témoignages recueillis par le Washington Post lors de ses visites dans des mines isolées, il y aurait environ 100 000 mineurs de cobalt au Congo qui se servent d’outils manuels pour creuser à des centaines de mètres de profondeur avec peu de surveillance et de maigres mesures de sécurité. Les décès et les accidents sont monnaie courante. De plus, les autorités sanitaires indiquent que l’activité minière expose les communautés locales à des métaux dont les niveaux de toxicité semble liés à des affections parmi lesquelles on compte des problèmes respiratoires et des malformations congénitales.

Le Washington Post [WP] remonte le parcours du cobalt et, pour la première fois, expose comment le cobalt extrait dans ces conditions si rudes aboutit dans des produits de consommation courante. Depuis les mines congolaises à petite échelle, il est acheminé vers une seule compagnie chinoise – la Congo DongFang International Mining, appartenant à l’un des plus gros producteurs de cobalt dans le monde, Zhejiang Huayou Cobalt – qui fournit depuis des années quelques uns des plus grands fabricants mondiaux de batteries. Ceux-ci, à leur tour, fabriquent les batteries qu’on trouve dans des produits tels que les iPhones d’Apple – une découverte qui remet en cause les affirmations des entreprises lorsqu’elles prétendent être en mesure de contrôler leurs chaînes d’approvisionnement s’agissant des violations des droits humains ou du travail des enfants.

En réponse aux questions posées par le WP [Washington Post], Apple a reconnu que ce cobalt se retrouvait bien dans ses batteries. Le géant de la high-tech, dont le siège se trouve à Cupertino, en Californie, a déclaré qu’environ 20 % du cobalt qu’il utilise provient de Huayou Cobalt. Paula Pyers, cadre en charge des responsabilités sociales de la chaîne d’approvisionnement, a annoncé que la firme envisageait d’accorder davantage d’attention à la provenance de son cobalt. Elle a ajouté qu’Apple s’engageait à travailler avec Huayou Cobalt pour assainir la chaîne d’approvisionnement et pour régler les problèmes sous-jacents, tels que l’extrême pauvreté, qui engendrent les conditions de travail pénibles et le travail des enfants.

Un autre client de Huayou, LG Chem, l’un des principaux fabricants mondiaux de batteries, a confié au WP qu’il avait cessé d’acheter des minerais en provenance du Congo à la fin de l’année précédente. Samsung SDI, un autre gros fabricant de batteries, a déclaré qu’il menait une enquête interne mais que « selon ce qu’ils étaient en mesure de savoir », si la compagnie utilise du cobalt extrait au Congo, celui-ci n’est pas fourni par Huayou.

Peu d’entreprises retracent régulièrement l’origine de leur cobalt. Ainsi que l’a constaté le WP, suivre le parcours depuis la mine jusqu’au produit fini est difficile mais possible. Car des gardes armés bloquent l’accès à de nombreuses mines du Congo. De là, le cobalt transite par plusieurs entreprises et parcourt des milliers de kilomètres.

Cependant, 60 % du cobalt mondial provient du Congo – un pays chaotique en proie à la corruption et marqué par une longue histoire d’exploitation étrangère de ses ressources naturelles. Au siècle dernier, les sociétés pillaient la sève de l’hévéa et les défenses des éléphants alors que le pays était une colonie belge. Aujourd’hui, plus de cinq décennies après l’accès à l’indépendance du Congo, ce sont les minerais qui attirent les entreprises étrangères.

Quelques uns de ces minerais font l’objet d’une vigilance accrue. Une loi états-unienne de 2010 exige que les entreprises tentent de s’assurer que l’étain, le tungstène, le tantale et l’or qu’elles utilisent proviennent de mines non contrôlées par la milice dans la région du Congo. Il en résulte un système généralement perçu comme un moyen de prévention des violations des droits humains. Certains disent que le cobalt devrait être rajouté à la liste des minerais de conflit, même si on pense que les mines de cobalt ne jouent aucun rôle dans le  financement de la guerre. Apple a déclaré au WP que la firme est d’accord pour inclure le cobalt dans cette loi.

Le commerce du cobalt au Congo fait l’objet de critiques depuis une dizaine d’années, essentiellement de la part de groupes de défenses des droits. Aux États-Unis, les groupes de commerce ont eux-mêmes reconnu l’existence de ce problème. La Coalition citoyenne de l’industrie électronique – dont les membres comptent des sociétés telles que Apple – a fait part de ses préoccupations en 2010 concernant les risques d’atteintes aux droits humains liés à l’extraction de minerais, dont le cobalt, ainsi que la difficulté de remonter les chaînes d’approvisionnement. Le ministère du Travail des États-Unis inscrit le cobalt congolais parmi les produits dont il y a tout lieu de penser qu’ils sont issus de la main d’œuvre infantile.

L’inquiétude concernant les conditions d’exploitation du cobalt « est mise sur le tapis tous les quatre matins » a déclaré Guy Darby, analyste auprès de la société d’étude « Darton Commodities » à Londres. « On aborde le problème avec force grognements, réticences et désapprobations, et puis on l’oublie ».

Au cours de l’année qui vient de s’écouler, une organisation néerlandaise, le Centre de recherche sur les sociétés multinationales, connue sous le nom de SOMO, ainsi qu’Amnesty International, ont publié des rapports rapportant des pratiques irrégulières, notamment des déplacements forcés de villages et la pollution de l’eau. Le rapport d’Amnesty, qui accuse Congo DongFang d’acheter des matériaux extraits par des enfants, a incité d’autres sociétés à assurer que le parcours de leur cobalt était passé au crible.

Mais lorsque les journalistes du WP se rendirent sur les sites miniers du Congo cet été, ils constatèrent que les problèmes demeuraient flagrants.

En septembre, Chen Hongliang, le président de Huayou Cobalt, société mère de Congo DongFang a indiqué au WP que sa firme ne s’était jamais interrogée sur la manière dont ses minerais étaient obtenus, bien qu’ayant des exploitations au Congo et dans des villes telles que Kolwezi depuis une décennie.

« Il s’agit là d’une lacune de notre part », a déclaré Chen dans une interview à Seattle, lors de ses premières observations publiques relatives à ce sujet. « Nous ne savions pas ».

Chen a specifié que Huayou comptait reconsidérer le processus d’achat du cobalt, qu’elle en avait confié le contrôle à une entreprise extérieure et qu’elle avait entrepris, avec l’aide de clients tels que Apple, la création d’un système destiné à empêcher les pratiques abusives.

Mais le fait que des problèmes aussi graves aient pu persister si longtemps – malgré la fréquence des signaux d’alarme – illustre ce qui peut se produire au sein de chaînes d’approvisionnement difficiles à décrypter parce qu’elles sont pour la plupart réglementées, que les bas prix prédominent et que les difficultés surviennent dans une région du globe lointaine et tumultueuse.

Les batteries au lithium-ion étaient censées se distinguer des technologies sales et toxiques du passé. Plus légères et concentrant davantage d’énergie que les batteries au plomb-acide classiques, ces batteries riches en cobalt sont considérées comme étant « vertes ». Elles sont indispensables aux projets visant à dépasser un jour les moteurs à essence asphyxiants. Ces batteries sont déjà indissociables des appareils de pointe du monde entier.

Les smartphones ne tiendraient pas dans nos poches sans elles. Les ordinateurs portables ne tiendraient pas sur nos genoux. Les véhicules électriques seraient inutilisables. A bien des égards, la ruée vers l’or actuelle de la Silicon Valley – depuis les appareils mobiles jusqu’aux voitures sans conducteur – est fondée sur la puissance des batteries au lithium-ion.

Mais tout cela se paye à un prix exorbitant.

« C’est vrai, il y a des enfants dans ces mines », a avoué, dans une interview, Richard Muyej, gouverneur provincial (le poste officiel le plus élevé) de Kolwezi. Il a également reconnu l’existence de décès et de pollution liés aux activités extractives.

Mais, a-t-il ajouté, son gouvernement est trop pauvre pour s’attaquer tout seul à ces problèmes.

« Le gouvernement n’a pas à mendier », a surenchérit Muyej. « Toutes ces entreprises ont l’obligation de créer de la richesse dans la zone qu’elles exploitent ».

Il est peu probable que les entreprises abandonnent le Congo, pour la simple raison que le monde a besoin de ce que le Congo possède.

Chen a indiqué qu’il s’attendait à ce que la controverse autour du processus de fabrication du cobalt au Congo aient des répercussions bien au-delà de Huayou Cobalt.

« Nous ne sommes pas les seuls concernés par cette question », explique-t-il. « Nous pensons que de nombreuses entreprises sont dans une situation identique à la nôtre ».

LES POUMONS DU CONGO

Les pires conditions affectent les mineurs « artisanaux » du Congo – une appellation trop élégante pour désigner cette main d’œuvre démunie qui travaille sans marteaux-piqueurs ni excavatrices.

Cette armée informelle constitue un secteur lucratif, auquel on doit entre 10 et 25 % de la production mondiale de cobalt et entre 17 et 40 % de la production au Congo. Les mineurs artisanaux fournissent à eux seuls plus de cobalt que n’importe quel pays autre que le Congo, se classant juste derrière les mines industrielles du pays.

Cette industrie devrait être une aubaine pour un pays que les Nations Unies classent parmi les moins développés. Mais les choses se sont passées différemment.

« Nous sommes confrontés au paradoxe d’avoir une grande richesse en ressources naturelles mais une population très pauvre », explique Muyej.

Environ 90 % du cobalt de Chine provient du Congo, où les firmes chinoises dominent l’industrie minière.

Le cobalt commence son périple dans une mine telle que celle de Tilwezembe, un ancien site industriel devenu artisanal, situé à la périphérie de Kolwezi et où des centaines d’hommes fouillent la terre à l’aide d’outils à main.

Ces hommes se font appeler « creuseurs ». Ils triment à l’intérieur de dizaines de trous criblant comme autant de cratères le paysage lunaire de la mine. Les tunnels sont creusés profondément à la main, avec pour seul éclairage les lampes en plastique semblables à des jouets, attachées au front des mineurs.

Lors d’une de nos visites au mois de juin, une scène aux allures préindustrielles s’offrait à notre regard. Des dizaines de mineurs travaillaient mais seul le claquement ponctuel et assourdi du métal sur la roche parvenait à nos oreilles.

« Nous souffrons », nous confia Nathan Muyamba, un creuseur de 29 ans. « Mais à quoi sert notre souffrance ? »

LA FLEUR DU COBALT

Les creuseurs ne disposent ni de cartes minières ni de forages de prospection.Au lieu de cela, ils dépendent de leur intuition.« On se déplace avec la foi qu’on tombera un jour sur une bonne production », dit André Kabwita, un creuseur de 49 ans.

On dit que la Nature est un bon guide. Des fleurs sauvages jaunes sont considérées comme signalant la présence de cuivre. Une plante aux fleurs vertes minuscules porte le nom révélateur de « fleur du cobalt ».

Ne pouvant prétendre qu’à un nombre limité de sites officiels, les mineurs artisanaux creusent partout où ils peuvent. Le long des routes. Sous les voies ferrées. Dans les jardins. Lorsqu’un gisement important de cobalt fut découvert il y a quelques années de cela, dans le quartier surpeuplé de Kasulo, ils creusèrent directement dans les sols en terre battue de leurs maisons, créant ainsi un labyrinthe de grottes souterraines.

D’autres creuseurs attendent la nuit pour envahir des terres appartenant à des compagnies minières privées, ce qui entraîne des affrontements mortels avec les gardes de sécurité et la police.

Les creuseurs sont désespérés, indique Papy Nsenga, creuseur et président d’un syndicat de creuseurs qui vient de voir le jour.

La rémunération est basée sur ce qu’ils trouvent. Pas de minerais, pas d’argent. Et la somme est maigre – l’équivalent de 2 à 3 dollars pour un bon jour, ajoute Nsenga.

« Nous ne devrions pas être obligés de vivre ainsi », regrette-t-il.

Et lorsque les accidents surviennent, les creuseurs sont livrés à eux-mêmes.

L’an dernier, lorsqu’un creuseur eut la jambe écrasée et un autre une blessure à la tête après un effondrement, Nsenga dut récolter lui-même auprès des autres creuseurs les centaines de dollars nécessaires aux soins. Les entreprises qui achètent les minerais proposent rarement leur aide, expliquent Nsenga et d’autres creuseurs.

Ils nous ont également rapporté que les décès survenaient régulièrement. Mais ce n’est que lorsqu’il y a un grand nombre de victimes, semble-t-il, que les petits médias locaux, tels que Radio Okapi financée par l’ONU, traitent l’événement. Treize mineurs de cobalt ont été tués en septembre 2015 lorsqu’un tunnel de terre s’est effondré à Mabaya, près de la frontière de Zambie. Il y a deux ans, 16 creuseurs ont été tués à Kawama par des glissements de terrain, suivis quelques mois plus tard par un incendie souterrain à Kolwezi où 15 autres creuseurs périrent.

A Kolwezi, un inspecteur d’une mine de province, contrarié par une série d’accidents récents, accepta de parler au WP à condition que son identité ne soit pas dévoilée, parce qu’il n’est pas autorisé à s’adresser aux médias.

Il rencontra les journalistes dans un minibus – dans lequel il sauta en fermant la porte et en s’installant sur un siège du milieu, loin des vitres teintées, de manière à ce que personne dans la rue ne l’aperçoive.

Ce matin-là, raconta-t-il, il avait aidé à secourir quatre mineurs artisanaux pratiquement asphyxiés par des émanations toxiques dues à un incendie souterrain à Kolwezi. Il ajouta que la veille, deux hommes avaient péri dans l’effondrement d’un tunnel.

Il nous raconta qu’il avait personnellement retiré 36 corps des mines artisanales locales au cours des années précédentes. Nous n’avons pas été en mesure de vérifier ses propos par nous-mêmes, mais ils faisaient écho à d’autres récits rapportés par les mineurs concernant la fréquence des accidents miniers.

L’inspecteur tenait pour responsables les entreprises comme DongFang qui achètent le cobalt artisanal et l’expédient à l’étranger par voie maritime.

« Ils s’en fichent », nous dit-il. « Pour eux, ce qui compte c’est que vous leur apportiez les minerais. Cela leur est complètement égal que vous soyez malade ou blessé ».

Congo DongFang a répondu qu’elle avait supposé à tort que ces questions étaient prises en charge par ses partenaires commerciaux, qui achètent le cobalt aux mineurs pour le transmettre aux compagnies minières.

Des enfants au travail

Personne ne sait exactement combien d’enfants travaillent dans l’industrie minière du Congo. En 2012, L’UNICEF a estimé leur nombre à 40 000 filles et garçons dans le sud du pays. En 2007, une étude financée par l’USAID (l’Agence des États-Unis pour le développement international) a révélé que 4000 enfants travaillaient sur des sites miniers dans la seule ville de Kolwezi.

Les autorités locales déclarent qu’elles manquent de moyens pour faire face au problème.

« La question des enfants est très délicate car il est difficile de les sortir des mines lorsqu’il n’y a pas d’écoles », souligne Muyej, le gouverneur de la province. « Nous devons remédier à cette situation ».

Bien que les autorités et les creuseurs reconnaissent le problème de la main d’œuvre infantile, le sujet demeure sensible. Les enfants ne travaillent pas seulement dans les mines souterraines, ce qui est une violation du code minier du Congo, mais aussi en marge du commerce du cobalt.Des gardes ont empêché des journalistes du WP de visiter des zones où, selon les creuseurs locaux, on peut souvent trouver des enfants en train de travailler. Un jour, nous avons aperçu un garçon vêtu d’un sweat rouge ployant sous le fardeau d’un sac de minéraux à moitié plein. Un autre garçon vêtu d’un maillot de foot noir a accouru pour lui apporter son aide. Kabwita, le creuseur, les observait.

« Ils n’ont que 10 et 12 ans », expliqua-t-il.

Nous [le Washington Post, NdE] avons également donné un iPhone à un creuseur afin qu’il prenne des vidéos des femmes et des enfants en train de laver le cobalt ensemble.

L’un de ces enfants se nomme Delphin Mutela, un garçon silencieux qui ne faisait pas ses 13 ans.

Lorsqu’il avait environ 8 ans, sa mère avait commencé à emmener Delphin avec elle lorsqu’elle se rendait à la rivière pour nettoyer les minerais de cobalt. Le lavage de minerais est une tâche répandue chez les femmes ici. Au début, Delphin était chargé de garder un œil sur ses frères et sœurs.

Mais il apprit à identifier les morceaux de minerais qui tombaient dans l’eau au cours du lavage.

Le cuivre avait des reflets verts.

Le cobalt ressemblait à du chocolat noir.

S’il pouvait ramasser suffisamment de morceaux, il pouvait être payé, peut-être 1 dollar.

« J’utilise l’argent que je gagne pour acheter des cahiers et payer les frais de scolarité », nous expliqua Delphin.

Sa mère, Omba Kabwiza, trouve cela normal.

« Il y a beaucoup d’enfants à la rivière », nous dit elle. « C’est comme ça que nous vivons ».

Une demande qui explose

Le cobalt est la matière première la plus onéreuse à l’intérieur d’une batterie au lithium-ion.

Cela représente depuis longtemps un défi pour les gros fournisseurs de batteries – et leurs clients, les fabricants de voiture et d’ordinateurs. Cela fait des années que des ingénieurs tentent de mettre au point des batteries sans cobalt. Mais ce minerai, qu’on connaît surtout en tant que pigment bleu, possède une capacité unique d’augmentation des performances des batteries.

Le prix du cobalt raffiné a varié au cours de l’année qui vient de s’écouler, entre 20 000 et 26 000 dollars la tonne.

Selon Benchmark Mineral Intelligence, la demande mondiale en cobalt émanant du secteur des batteries a triplé au cours des cinq dernières années et devrait au moins doubler de nouveau d’ici 2020.

Cette progression a surtout été alimentée par les véhicules électriques. Tous les grands constructeurs automobiles se pressent de mettre leurs voitures électriques sur le marché. Au Nevada, l’usine de batteries à 5 milliards de dollars de Tesla, baptisée Gigafactory, accélère sa production. Daimler compte ouvrir bientôt une deuxième usine de batteries sur le sol allemand. LG Chem fabrique des batteries pour General Motors dans une usine à Holland, dans le Michigan. La compagnie chinoise BYD projette la construction de gigantesques nouvelles usines de batteries en Chine et au Brésil.

Tandis que la batterie d’un smartphone peut contenir entre cinq et dix grammes de cobalt raffiné, une seule batterie de voiture électrique peut en contenir jusqu’à 15 000.

Sur le marché mondial, l’importance du cobalt artisanal a suivi l’accroissement de la demande. Cela fait deux ans que toute l’industrie de la batterie s’en est rendu compte, affirme Kurt Vandeputte, vice-président de la division des matériaux pour batteries rechargeables chez Umicore en Belgique, l’un des plus gros raffineurs de cobalt au monde.

Le prix du cobalt chutait, même au moment où la demande de batteries explosait. Le prix du lithium, un autre matériau clef des batteries, montait en flèche.

« Il est devenu évident que l’extraction artisanale prend une place de choix dans la chaîne d’approvisionnement », explique Vandeputte, ajoutant que Umicore se fournit uniquement auprès des mines industrielles, dont celles du Congo.

Le cobalt artisanal est habituellement moins cher que celui des mines industrielles. Les entreprises n’ont pas à verser de salaires aux mineurs ni à financer des exploitations minières à grande échelle.

Comme les marchés étaient inondés par le cobalt bon marché, certains négociants internationaux ont annulé des contrats pour des minerais industriels, préférant faire main basse sur les minerais artisanaux.

« Tout le monde savait qu’il se passait quelque chose », affirme Christophe Pillot, consultant chez Avicenne Energy en France.

Dans le même temps, les entreprises sont confrontées à une surveillance de plus en plus étroite de leurs chaînes d’approvisionnement.

Les consommateurs exigent un certain contrôle ; Les entreprises leur répondent avec des promesses d’approvisionnement « éthique » et de « vérification requise concernant la chaîne d’approvisionnement ».

Au Congo, on peut constater un des effets de ce contrôle accru.

En 2010, les États-Unis ont adopté une loi portant sur les minerais de conflit, visant à juguler le flux d’argent destiné à la milice meurtrière du Congo. Cette loi se concentrait sur l’extraction artisanale de quatre minerais.

Mais cette vigilance n’est pas de mise lorsqu’il s’agit du cobalt.

Alors que l’extraction du cobalt n’est pas considérée comme étant liée au financement des guerres, bon nombre d’activistes et quelques analystes industriels affirment que les mineurs de cobalt pourraient bénéficier de la protection de la loi en matière d’exploitation et d’atteintes aux droits humains. La loi obligeant les compagnies à tenter de suivre leur chaine d’approvisionnement et à permettre la vérification de tous les processus par des évaluateurs indépendants.

Mais bien que le Congo ne possède pas beaucoup de ces quatre minerais de conflit, le monde dépend du Congo pour le cobalt.

Simon Moores, analyste chez Benchmark, pense que c’est une des raisons pour lesquelles le cobalt a été exclu de la liste jusqu’à présent.

Le moindre accroc dans la chaîne d’approvisionnement du cobalt dévasterait les entreprises.

« NOUS VENDONS TOUT CECI  AUX CHINOIS »

Pour la plupart des mineurs artisanaux de Kolwezi, la chaîne d’approvisionnement mondiale a pour point de départ un centre de négoce du nom de Musompo.

Les quelques 70 petites boutiques, appelées « comptoirs », sont alignées côte à côte le long de la grande route qui mène à la frontière. Les noms de ces boutiques sont peints sur des murs de ciment : Maison Saha, Dépôt Grand Tony, Dépôt Sarah. Chacune d’entre elles est ornée d’un panneau sur lequel on peut lire, écrit à la main, le prix en vigueur du cobalt et du cuivre.

Dans une boutique portant le nom de Louis 14, la grille tarifaire proposait l’équivalent de 881 dollars pour une tonne de roche contenant 16 % de cobalt. Une roche avec 3 % de cobalt valait 55 dollars.

Des minibus stationnaient non loin de là et proposaient à la vente des sacs blancs remplis de cobalt fraîchement extrait. D’autres sacs arrivaient sur des vélos chargés comme des bêtes de somme.

Chaque chargement était évalué par un Metorex, appareil évoquant un radar et servant à détecter la teneur des minerais. Certains mineurs disent que ces machines ne leur inspirent pas confiance, les soupçonnant d’être truquées. Mais ils n’ont pas le choix. Muyej, le gouverneur, nous apprit qu’il était à la recherche de fonds pour acheter un Metorex afin que les mineurs puissent évaluer eux-mêmes leurs minerais. Les boutiques sont nombreuses à Musompo, mais d’après les creuseurs elles vendaient toutes à la même entreprise : La Congo DongFang Mining.

« Nous vendons tout ceci aux Chinois, puis les Chinois le revendent à CDM », nous révéla Hubert Mukekwa, un employé occupé à pelleter du cobalt.

Au Congo, les étrangers n’ont pas le droit de posséder un comptoir. Mais aucune des boutiques visitées par les journalistes du WP ne semblait être gérée par des congolais. C’était des asiatiques qui actionnaient les Metorex, qui tapaient les prix sur d’énormes calculatrices, qui manipulaient l’argent – d’épaisses liasses de francs congolais. On les voyait souvent aussi assis en retrait tandis que des congolais transportaient les sacs de 120 tonnes. Aucun chef de comptoir n’accepta de s’entretenir avec le Post.

Mukekwa acheva de remplir un sac.

« Dès que nous atteignons une quantité suffisante, nous la portons à CDM », expliqua-t-il.

Il désigna un grand bâtiment aux murs bleus, qu’on distinguait au loin.

Devant un comptoir baptisé Boss Wu, deux travailleurs congolais vêtus de combinaisons portant dans le dos l’inscription CDM en lettres capitales, observaient d’autres hommes qui chargeaient des sacs de cobalt dans un camion.

Plus tard, nous avons aperçu un camion orange chargé de sacs de cobalt qui s’éloignait de Musompo et se dirigeait vers le grand axe routier.

« C24 » était peint en bleu sur la cabine du camion. Nous avons suivi le C24 qui quitta l’autoroute au bout de 3 kilomètres environ, pour bifurquer sur un chemin de terre longeant un grand mur de brique. Le camion poursuivit sa route jusqu’à une entrée devant laquelle se tenaient des gardes armés, puis s’introduisit à l’intérieur.

L’inscription CDM apparaissait nettement sur la façade du bâtiment aux murs bleus.

C’est à l’entrée de ce même bâtiment que CDM prétend que le contrôle de sa chaîne d’approvisionnement s’arrête, n’allant jamais jusqu’aux mines ou sur le lieu du négoce, nous dit Chen, président de Huayou Cobalt, la maison-mère de CDM.

« En réalité nous ignorions beaucoup de choses », ajouta Chen, à propos de leur approvisionnement en cobalt. « Maintenant nous faisons preuve de la vigilance requise ».

Pistage du cobalt de votre batterie

L’industrie des batteries au lithium-ion a une chaîne d’approvisionnement extrêmement complexe. Chaque société de produits de consommation a traité avec de multiples fournisseurs – et leurs fournisseurs ont traité avec une multiplicité de fournisseurs. Cela montre quelques unes des connexions existantes dans le milieu de l’industrie. Voir les réponses des compagnies à l’enquête du Washington Post.

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CE QUE DISENT LES ENTREPRISES

En réponse aux questions du WP, les entreprises ont elles aussi exprimé leur incertitude quant à leur chaîne d’approvisionnement en cobalt, prouvant à quel point on en sait peu sur les sources des matières premières.

Mais les attentes sont différentes aujourd’hui, explique Lara Smith, qui dirige, à Johannesburg, Core Consultants, une entreprise qui aide les compagnies minières à trouver une solution à ce problème.

« Les entreprises ne peuvent pas prétendre qu’elles ne sont pas au courant », ajoute-t-elle. « Car si elles voulaient comprendre, elles le pourraient. Elles ne le font pas ».

L’année dernière, CDM a déclaré avoir exporté 72 000 tonnes de cobalt industriel et artisanal du Congo, devenant ainsi la troisième plus grande compagnie minière du pays, selon les statistiques congolaises.

Si on en croit les analystes et l’entreprise elle-même, CDM est de loin le principal exportateur de cobalt artisanal du Congo.

CDM expédie son cobalt à sa filiale, Huayou, en Chine, où le minerai est raffiné. Les documents officiels et les entretiens qui ont été menés révèlent que parmi les plus gros clients de Huayou, on trouve les fabricants de cathodes de batteries Hunan Shanshan, Pulead Technology Industry et L&F Material.

Ces entreprises – qui achètent également des minerais raffinés à d’autres sociétés – fabriquent les cathodes de batteries riches en cobalt qui jouent un rôle essentiel dans les batteries au lithium-ion. Ces cathodes sont vendues à des fabricants de batteries, parmi lesquels figurent les firmes Amperex Technology Ltd (ATL), Samsung SDI et LG Chem.

Tous ces fabricants de batteries fournissent Apple, pour l’alimentation en énergie des iPhones, iPads et Macs.

Apple affirme que son enquête a révélé que ses batteries provenant de LG Chem et de Samsung SDI contiennent des cathodes venant de Umicore ; et que celles-ci peuvent contenir du cobalt du Congo mais pas de CDM. Apple pense que son cobalt suspect était contenu dans des batteries ATL munies de cathodes Pulead.

« Je crois que les risques peuvent être gérés », a déclaré au Post Yuan Gao, le directeur général de Pulead, ajoutant qu’il croyait que « la sensibilisation accrue fonctionne vraiment, dans la mesure où tout le monde contrôle tout le monde tout au long de la chaîne d’approvisionnement ».

Si on se base sur les analyses de IHS, le leader mondial de l’information technique, ATL aussi a fourni des éléments de batterie qu’on trouve dans certains produits Kindle proposés par Amazon. ATL s’est abstenu de tout commentaire.

Amazon.com, la société fondée par Jeffrey Besos qui détient aussi le WP, n’a pas répondu directement à nos questions concernant les liens éventuels avec du cobalt suspect. Elle a seulement publié une déclaration, notifiant entre autres choses : « Nous travaillons en étroite collaboration avec nos fournisseurs en veillant à ce qu’ils répondent à nos critères, et nous effectuons un certain nombre d’audits tous les ans afin de garantir que nos partenaires industriels respectent notre politique ».

Samsung SDI, qui fournit en batteries Samsung, Apple et des constructeurs automobiles comme BMW, a déclaré que sa propre enquête en cours « n’a montré aucune présence » de cobalt suspect, bien qu’elle utilise du cobalt en provenance du Congo.

Samsung, le fabricant de téléphones, a transmis au WP une déclaration expliquant qu’ils prennent au sérieux les problèmes de chaînes d’approvisionnement mais éludant la possibilité d’une connexion avec CDM. Conformément aux données sectorielles, Samsung achète des batteries pour ses téléphones à Samsung SDI et à ATL, entre autres.

BMW a reconnu qu’une partie du cobalt contenu dans ses batteries Samsung SDI provient du Congo mais qu’il faudrait interroger Samsung SDI pour obtenir des détails supplémentaires.

LG Chem, le plus gros fournisseur mondial en batteries pour voitures électriques, a indiqué que L&F Material, la société auprès de laquelle elle s’approvisionne en cathodes, a cessé l’an dernier d’acheter à Huayou du cobalt originaire du Congo. Celui-ci a été remplacé par du cobalt provenant de mines situées en Nouvelle-Calédonie. En guise de preuve, LG Chem a fourni un « certificat d’origine » relatif à une cargaison de cobalt de 212 tonnes et datant de décembre 2015.

Mais deux analystes du secteur du minerai doutent que le fournisseur en cathodes de LG Chem ait pu remplacer le cobalt du Congo par celui de Nouvelle-Calédonie – ou du moins qu’ils puissent le faire longtemps. LG Chem consomme plus de cobalt que n’en produit toute la Nouvelle-Calédonie, selon les analystes et les données publiques disponibles. LG Chem n’a pas donné suite aux demandes répétées de commentaires. Lorsque le WP a demandé à LG Chem de « répondre aux affirmations selon lesquelles les chiffres ne correspondent pas », LG Chem n’a pas répondu directement à la question, indiquant seulement qu’elle contrôle régulièrement les certificats d’origine.

LG Chem dirige également une usine de batteries dans le Michigan pour un de ses plus gros clients, GM, qui prévoit de lancer la vente de sa Chevrolet Bolt électrique avant la fin de l’année. LG Chem a déclaré que l’usine du Michigan n’a jamais reçu de cobalt congolais.

Un autre client de LG Chem, Ford Motor, affirme que LG Chem lui a assuré que les batteries Ford n’ont jamais eu aucun lien avec le cobalt de CDM.

La plupart des modèles Tesla utilisent des batteries fournies par Panasonic, qui achète du cobalt venant d’Asie du Sud-Est et du Congo. Les batteries de rechange pour Tesla sont fabriquées par LG Chem. Tesla a déclaré au WP qu’elle savait que les batteries Tesla de LG Chem ne contiennent pas de cobalt congolais, mais elle n’a pas indiqué comment elle le savait.

Tesla, plus qu’aucun autre constructeur automobile, a bâti sa réputation sur le « sourçage éthique » de chaque pièce de ses illustres véhicules.

« C’est quelque chose que nous prenons vraiment très au sérieux », a déclaré en mars lors d’une conférence qui s’est tenue à Fort Lauderlale en Floride, Kurt Kelty, le directeur technique du département batteries de Tesla. « Et il nous faut prendre cela encore plus au sérieux. Nous allons donc envoyer un de nos hommes sur place ».

Six mois plus tard, Tesla a indiqué au WP qu’elle prévoyait toujours d’envoyer quelqu’un au Congo.

Anomalies congénitales et maladies

A Lubumbashi, autre centre de l’industrie minière du Congo, situé à environ 300 kilomètres de Kolwezi, les médecins commencent à percer le mystère d’une série de problèmes de santé dont souffre depuis longtemps la population locale.

Leurs découvertes indiquent que l’industrie minière est à l’origine du problème.

Ces médecins de l’Université de Lubumbashi savent déjà que les mineurs et les habitants sont exposés à des métaux à des niveaux dépassant de loin le seuil de sécurité.

Une de leurs études a révélé que les résidents qui vivent près des mines ou des fonderies dans le sud du Congo avaient des concentrations urinaires de cobalt qui étaient 43 fois plus élevées que celle d’un groupe témoin, des niveaux de plomb cinq fois plus élevés et des niveaux de cadmium et d’uranium quatre fois plus élevés. Les niveaux étaient encore plus élevés chez les enfants.

Une autre étude, publiée au début de l’année, a révélé l’existence de niveaux élevés de métaux chez les poissons de la région minière. Une étude d’échantillons de sol autour de Lubumbashi qui regorge de mines a conclu que la zone figurait « parmi les dix régions les plus polluées du monde« .

Les médecins s’emploient désormais à tirer les conclusions qui s’imposent.

« Nous sommes en train d’essayer d’établir une distinction entre maladie et métaux », explique Eddy Mbuyu, chimiste à l’université.

Mais ils se montrent prudents dans leurs recherches.

« Le business de la mine détient l’argent et cet argent est synonyme de pouvoir », explique Tony Kayembe, épidémiologiste à l’hôpital de l’université.

Les études actuelles examinent les affections thyroïdiennes et les problèmes respiratoires. Mais les médecins sont surtout préoccupés par les liens qui pourraient exister avec les anomalies congénitales. Une étude publiée par les médecins de l’université en 2012 a identifié des données préliminaires indiquant qu’un bébé court un plus grand risque de naître avec une anomalie congénitale visible si le père travaille dans l’industrie minière du Congo.

Les médecins de Lubumbashi ont également publié des rapports concernant des anomalies congénitales si rares – l’une d’entre elles est appelée le syndrome de la sirène – qu’elles sont les seuls cas que le Congo ait jamais connu. Elles ont toutes touché des enfants nés dans des régions où l’exploitation minière est intense.

Pour Kayembe, l’étude la plus frappante est celle qui a examiné les cas de bébés nés avec une holoprosencéphalie, une affection souvent mortelle qui provoque des malformations faciales graves. Pratiquement inconnue. Des carrières médicales entières se déroulent sans être confronté à un seul cas. Mais l’an dernier, les médecins de Lubumbashi en ont dénombré trois en trois mois.

« Ce n’est pas normal du tout », souligne Kayembe.

Ces enquêtes médicales pourraient procurer un certain soulagement aux résidents, à l’instar de Aimerance Masengo, âgée de 15 ans, qui se sent coupable depuis qu’elle a donné naissance l’an dernier à un petit garçon atteint de graves et létales malformations.

Aimerance évoque, dans un chuchotement à peine audible, l’effroi qui l’avait saisie lorsqu’elle avait vu son nouveau-né. Le médecin aussi était effrayé, précise-t-elle.

Le médecin expliqua à Aimerance qu’il était impossible de savoir avec certitude pour quelles raisons les choses avaient mal tourné. Mais il constata que le père du bébé était creuseur de cobalt. Il lui révéla également qu’il avait vu de nombreux problèmes chez les enfants des creuseurs.

Aimerance et le père du bébé vivaient dans le village voisin de Luiswishi, où vivent 8 000 personnes. Tous les habitants semblaient avoir un lien avec l’activité minière artisanale. Au cours des trois dernières années, d’après les activistes locaux, quatre nouveaux-nés de ce tout petit village, sont morts à la suite de malformations congénitales graves.

LES CREUSEURS ATTENDENT

Pour les creuseurs comme Sidiki Mayamba, qui se demande s’il aura les moyens d’acheter de la farine pour sa famille, ce n’est ni la sécurité ni les éventuels problèmes de santé qui suscitent le plus d’inquiétude. C’est l’argent. Il a besoin de travailler. Mais il ne veut pas que son fils de deux ans, Harold, le suive dans les mines.

« Creuseur est un dur métier et il y a beaucoup de risques », explique Mayamba. « Je ne peux pas souhaiter à mon enfant d’avoir ce genre de boulot ».

Assainir la chaîne d’approvisionnement ne sera pas chose aisée pour Huayou Cobalt, même avec l’appui d’une entreprise aussi puissante que Apple.

Mais Chen, le président de Huayou, a déclaré qu’il était nécessaire de prendre cette mesure, non seulement pour l’entreprise mais aussi pour les mineurs congolais.

« Certaines entreprises cherchent seulement à fuir le problème », affirme Chen. Mais le problème du Congo est toujours présent. La pauvreté est toujours là.

La question est de savoir si les autres clients de Huayou, après avoir acheté du cobalt bon marché pendant des années sans se poser la moindre question, accepteront de coopérer.

Paula Pyers, directrice chez Apple, affirme que l’entreprise ne souhaite pas prendre des mesures qui ne viseraient qu’à « embellir la chaîne d’approvisionnement ».

« Si nous nous retirions tous de la République Démocratique du Congo, les congolais se retrouveraient dans une situation désastreuse », ajoute-t-elle. « En tout cas, nous ne prendrons pas ce genre d’initiative ici ».

Dès l’année prochaine, Apple traitera en interne le cobalt comme un minerai de conflit, en exigeant pour ce faire que tous les raffineurs de cobalt acceptent des contrôles externes de la chaîne d’approvisionnement et effectuent une évaluation des risques.

Ces mesures prises par Apple pourraient avoir des répercussions importantes sur tout le secteur des batteries. Mais le changement se fera lentement. Il a fallu cinq ans à Apple pour faire en sorte que sa chaîne d’approvisionnement ne contienne pas de minerais de conflit – et cette mesure a été rendue obligatoire par voie législative.

Aucun de ces efforts ne changera le destin des creuseurs tels que Kandolo Mboma.

A la mine de Tilwezembe, cet été, Mboma, assis sur un rocher, vêtu d’un jean maculé de noir, les pieds nus se balançant au-dessus de la terre rouge, semblait plongé dans un état catatonique. Ses yeux ne parvenaient pas à remarquer les autres creuseurs qui défilaient devant lui.

« Il a travaillé toute la nuit et il n’a pas mangé », nous dit un de ses compagnons.

Mboma, 35 ans et père de trois enfants, attendait que son cobalt soit pesé. Il serait alors payé, espérait-il.

Il était assis près d’une série de petits stands de nourriture constitués de vieux sacs tendus sur des piquets et où un creuseur pouvait acheter un petit pain pour 100 francs congolais, environ 10 cents US. Avec le pain, on avait droit à un verre d’eau gratuit.

« Vous mangez ce que vous faites », finit par articuler Mboma.

Et il faudra attendre pour manger.

Todd C. Frankel, à Washington, a participé à la rédaction de ce rapport.


(*) Article original: https://www.washingtonpost.com/graphics/business/batteries/congo-cobalt-mining-for-lithium-ion-battery/

Traduction : Héléna Delaunay

Note de fin : l’article du Washington Post est très intéressant, en ce qu’il dévoile des faits et des images peu connus du grand public, ou trop passés sous silence. Cependant, en bon partisans du progrès technologique, et, plus généralement, de la civilisation industrielle, leur critique est très limitée et segmentée ; de plus, tous les problèmes soulignés ont toujours une solution, technique, cela va sans dire, ne nécessitant jamais aucun renoncement à aucune pratique, à aucun processus, à aucune tendance, à aucune idéologie ; limitée parce que les coûts écologiques des diverses extractions sont infiniment plus élevés, nombreux et complexes que ce qu’ils ne laissent entrevoir, que ce que nous pouvons comprendre, en l’état actuel de nos connaissances écologiques ; les perturbations et détraquements écosystémiques, les pollutions, les destructions des espèces animales et végétales, tout cela présente des effets que nous ne pouvons que difficilement appréhender. Aucune activité d’extraction à grande échelle et aussi perturbatrice que celles exigées par le développement d’une civilisation hautement technologique ne sera jamais propre, verte, durable, en d’autres termes, écologique. La croissance ou le développement d’une civilisation hautement technologique est incompatible avec le respect de l’écologie planétaire, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un processus destructeur et donc autodestructeur. Segmentée parce qu’il faudrait relier ensemble les différents problèmes posés par les différentes activités extractives de la civilisation industrielle pour avoir un aperçu un peu plus complet de son insoutenabilité, du caractère absolument antiécologique de son existence et de son développement (l’extraction du cobalt est loin d’être le seul problème liée à l’industrie minière. Il faudrait également enquêter sur les extractions de cuivre, de nickel, d’or, d’argent, de plomb, de zinc, de molybdène et de platine, pour n’en citer que quelques exemples supplémentaires. Et d’ailleurs, pourriez-vous citer une seule industrie qui ne soit pas polluante et destructrice ?).

Pour beaucoup, habitués à un discours positiviste et réducteur, cela peut paraitre dur à entendre. & pourtant n’importe quel biologiste ou écologue honnête devrait l’admettre : aucune des activités extractives de la civilisation n’est écologique (dans le sens du respect de l’environnement, c’est-à-dire que toutes ces activités sont des nuisances, qu’elles sont destructrices vis-à-vis du monde naturel et des contingences biologiques qui le composent). Aucune n’est viable. Aucune n’est soutenable. Notre situation collective présente des problèmes insolubles, ou, plutôt, incompatibles avec le maintien de la civilisation telle que nous la connaissons. La situation des mineurs ici ou là peut être améliorée, l’extraction rendue un peu moins destructrice, le transport un peu moins polluant, etc. ; néanmoins, des inégalités doivent perdurer afin que certains n’aient d’autres choix que de travailler dans des mines, afin que d’autres puissent rester en mesure de le leur ordonner, ou de leur imposer (afin qu’une certaine hiérarchie sociale perdure, peu importe que ce soit sous la forme de mineurs dans des mines et de PDG de compagnies, ou sous une autre forme ; il serait grotesque de prétendre que ces PDG — que l’élite dirigeante — travaillent à la disparition des classes) ; et, enfin, ces activités restent destructrices peu importe à quel point les industriels les perfectionnent. Si vous souhaitez, si nous souhaitons, mettre un terme au réchauffement climatique, à la pollution de l’air, de l’eau, des sols, à la déforestation, au déclin des espèces animales et végétales (6ème extinction), il nous faut indubitablement renoncer à une certaine idéologie de croissance, de progrès, de développement, et aux pratiques et activités qu’elle engendre immanquablement. Ces remarques, nous les développons dans de nombreux articles sur notre site. Si le sujet vous intéresse, nous vous invitons à creuser.