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25 avril 2024

Libye : La « libération » peut être de courte durée par Ben de Belder et Tony Busselen


Libye : La « libération » peut être de courte durée

23 août 2011

Lundi 22 août. Après 72 heures de bombardements de l’Otan sur la capitale Tripoli, des rebelles sont entrés dans la ville en plusieurs endroits. Beaucoup de choses indiquent que la fin du régime Kadhafi est proche. Résultat : liberté et démocratie ou recolonisation par l’Occident ?

À Zliten, 160 km à l’est de Tripoli, les attaques aériennes de l’OTAN ont détruit un hôpital le 25 juillet dernier. Ce genre « d’incidents » s’est accumulé depuis l’entrée en guerre de l’alliance. (Photo Xinhua)

Il y a cinq mois, le Conseil de sécurité de l’ONU donnait le feu vert pour intervenir militairement en Libye, dans l’intention de protéger les citoyens de Benghazi contre les attaques attendues des troupes de Kadhafi. Mais, dès le début, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et aussi la Belgique prenaient ouvertement parti pour les rebelles. Militairement, avec des bombardements, mais aussi en armant et en entraînant les rebelles, et diplomatiquement avec la reconnaissance du Conseil national de transition (CNT).

L’Otan a déjà mené 7500 attaques aériennes avec, comme résultats, des milliers de victimes, des centaines de milliers de réfugiés et la destruction massive des infrastructures. La semaine dernière, l’alliance militaire occidentale décidait alors de mettre les bouchées doubles en bombardant intensivement Tripoli, une ville de 1,6 million d’habitants. Des sources de l’Otan confirment que, ces dernières semaines, la coordination avec les rebelles est devenue « plus sophistiquée et plus mortelle ». D’après le New York Times, les rebelles n’ont cessé de s’améliorer dans la fixation et la transmission d’objectifs à l’Otan en recourant aux technologies qu’ils ont reçues de l’alliance. De même, l’engagement d’avions américains sans pilote, ou drones, à des fins d’espionnage et de bombardement, a été déterminante1.

Aujourd’hui, on nous montre des images de gens qui dansent dans les rues de Tripoli. Mais cette ambiance pourrait très bien changer au cours des semaines et mois à venir. Car la Libye risque d’avoir une dette vis-à-vis de ses « libérateurs », des pays occidentaux. Paris, Londres et Washington voudront récupérer leur investissement en mettant en avant leurs intérêts géostratégiques et économiques. Il y a les richesses naturelles du pays (le pétrole, mais aussi de vastes sources d’eau). Il y a la situation géostratégique intéressante du pays, à la frontière du Maghreb et du Mashrek (l’ouest et l’est de l’Afrique du Nord) et avec vue sur tout le continent africain. Et il y a la possibilité d’y implanter une base militaire et d’y établir le quartier général du haut commandement américain pour l’Afrique (Africom).

L’Afrique dans le collimateur

Jusqu’au début des années 70, la Libye accueillait la plus grande base militaire de l’armée américaine et britannique en Afrique. Jusqu’à ce que Kadhafi y mette un terme. Depuis trois ans, les États-Unis cherchent en vain un pays d’accueil africain pour leur centre de commandement militaire pour l’Afrique, l’Africom, créé en 2008. Aucun Africain ne veut en entendre parler et le quartier général reste donc provisoirement installé à Stuttgart, en Allemagne. La Libye est-elle donc à nouveau pressentie à cet effet ?

Le pays est d’une grande importance géostratégique, en tant que point de départ possible d’opérations militaires en Afrique et dans le monde arabe. D’où l’opposition de l’Union africaine et de la plupart des dirigeants africains à l’opération de l’Otan en Libye. Ainsi, le président sud-africain Jacob Zuma s’énervait, le 10 août : « Les pays développés ont décidé d’intervenir en Afrique d’une façon absolument inacceptable. » La semaine dernière, le président angolais demandait encore, au nom de la principale organisation régionale du continent africain, la SADC2, que l’Otan mette un terme à ses actions en Libye afin de donner une chance au plan de paix de l’Union africaine.

Un fameux guêpier

Mais sur le plan interne non plus, l’avenir de la Libye n’a pas vraiment l’air réjouissant. Les dirigeants du CNT sont tout sauf des enfants de chœur et il n’y a aucun signe qu’ils entendent prendre davantage à cœur que Kadhafi les intérêts du peuple libyen. Car de qui s’agit-il ? Des intégristes islamistes radicaux proches d’al-Qaïda. Des transfuges du régime Kadhafi qui y ont occupé d’importantes fonctions des années durant (comme les ministres de la Justice et de l’Intérieur). Des partisans du roi Idris qui, de 1951 à 1969, avait régné d’une main de fer sur le pays. Et de riches négociants et mafiosi qui pensent pourvoir ramasser plus d’argent en collaborant avec l’Otan que sous Kadhafi. L’assassinat en juillet du commandant en chef des rebelles, le général Younes, a mis en lumière d’importantes contradictions internes au sein du CNT. Et, le 8 août, son président a renvoyé son propre gouvernement.

Et la Libye est désormais un pays divisé, avec plus de différences et de conflits (potentiels) entre régions, groupes de population, clans et tribus, projets religieux et politiques. Personne ne peut prédire quelle direction elle va prendre, mais si nous prenons comme référence la libération et l’occupation par l’Otan de l’Afghanistan et de l’Irak, nous pouvons nous attendre à un mélange de chaos, de guerre civile et de résistance.

Cette analyse est également partagée par l’ancien secrétaire général de l’Otan, Willy Claes : « Les rebelles sont la proie de frictions internes, a-t-il expliqué face aux caméras de VTM, et les contradictions entre les diverses tribus en Libye vont désormais ressortir très rapidement3 ». Et d’ajouter que la situation dans le pays n’est pas comparable avec les révolutions pacifiques en Égypte et en Tunisie.

De Crem reste sur le sentier de la guerre

Le ministre de la Défense Pieter De Crem est fier de la collaboration des F-16 belges aux bombardements sur Tripoli, avec 16 vols de 3 heures chacun. Au total, les avions de combat belges ont déjà exécuté 448 missions représentant 1 880 heures de vol et 365 bombes4. Le coût de l’affaire : plus de 25 millions d’euros. Mais « Crembo » en veut davantage. Déjà au début de la participation belge à l’agression de l’Otan, il avait évoqué la possibilité d’engager des troupes au sol et, aujourd’hui, il déclare qu’il n’est pas exclu qu’après la chute de Kadhafi on fasse encore appel aux militaires belges5. L’ambitieux ministre regarde d’ailleurs plus loin que la Libye : « La Libye n’est pas un pays isolé. Il se situe dans le nord de l’Afrique, où tout un cadre révolutionnaire est apparu. Je pense que nous devons vraiment prendre toutes les mesures, désormais, pour y apporter une stabilisation6. » De la sorte, De Crem admet sans sourciller qu’il ne s’agit pas tellement de la libération de la Libye mais surtout du contrôle de toute la région. Et, pour achever le tableau, le ministre des Affaires étrangères Vanackere a insisté sur l’importance des bonnes relations économiques avec la nouvelle Libye7. En fin de compte, la population libyenne n’est pas du tout aidée avec une intervention étrangère. Certainement ni hier ni aujourd’hui avec les F-16 belges, mais encore moins demain avec les troupes au sol de l’Otan ou les projets européens de reconstruction. Voyez le déroulement de l’époque d’après les Taliban en Afghanistan et de l’après-Saddam en Irak…

1. New York Times, 21 août • 2. Southern African Development Community. Cette organisation régionale rassemble 15 pays de l’Afrique centrale et australe, dont l’Angola, la République démocratique du Congo, le Mozambique, la Namibie, la Tanzanie et l’Afrique du Sud. • 3. DS Online, 22 août • 4. DS Online, 22 août •5. Terzake, Canvas, 22 août • 6.www.radio1.be • 7. Tv-journaal, Eén, 22 août

Olivier MONTULET

« L’homme, en effet, ne pourrait jamais atteindre le possible s’il ne tentait d’abord l’impossible, et cela requiert plus de souffle que de science »

Paul Klein

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