L’Irak gratis, ni en Tunisie, ni en Egypte, les régimes ne sont encore tombés par Mohamed Habili
13 septembre 2011
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La question du jour
L’Irak gratis
Ni en Tunisie ni en Egypte, les régimes ne sont encore tombés, comme on peut s’en rendre compte avec les événements qui continuent de s’y dérouler, et qui peuvent à tout moment retrouver leur première intensité. Ce qui le cas échéant leur ferait recouvrer leur dimension révolutionnaire. Ce ne sont que les présidents qui ont été renversés. En Libye, c’est autant dire l’inverse : le régime s’est effondré, mais pas son chef, toujours présent sur le champ de bataille même s’il s’est occulté. Ni sa mort ni sa capture (celle-ci étant d’ailleurs tout à fait improbable) ne se traduiraient nécessairement par la fin du conflit. C’est l’embrasement général, pas seulement de la Libye, mais de toute la région, qui semble le scénario le plus probable, dès lors que l’aviation de l’Otan aura quitté le ciel du pays. Il ne faut pas perdre de vue que des villes entières, pas seulement Syrte, restent entre les mains des forces pro-Kaddafi. A l’encontre des prévisions, selon lesquelles la chute de Tripoli sonnerait du même coup le ralliement de tout le pays au nouveau pouvoir.
En Syrie et au Yémen, ni les présidents ni les régimes ne sont encore tombés. Dans le premier cas, en particulier, le fait qu’il y ait eu quelques défections dans les rangs de l’armée, très médiatisées du reste, n’autorise pas à penser que le régime est en train de se fissurer. C’est en Syrie que le mouvement démocratique arabe joue sa partie la plus difficile, à tout point de vue. Rien ne permet de prédire ce que sera la suite des événements. Une chose semble toutefois certaine : il n’y aura pas d’intervention étrangère comme en Libye. D’abord parce que les révolutionnaires syriens eux-mêmes n’en veulent pas. Ensuite, parce que les conditions régionales s’y opposent. Il ne sera pas facile d’isoler le régime syrien, condition sine qua non pour pouvoir intervenir militairement contre lui. Comme cela a pu se faire à l’encontre du régime de Kaddafi : le maillon faible que l’impérialisme, toujours à l’affût, s’est empressé d’attaquer.
Pour peu qu’on y pense, Kaddafi devait tomber il y a de cela des années, en tout cas bien avant Saddam. C’était lui qui était programmé pour inaugurer la liste des chefs d’Etat arabes à faire disparaître. Et puis, il y a eu l’invasion du Koweït par l’armée irakienne, qui lui a accordé un long sursis en faisant passer Saddam en premier.
Si la jamahiria n’est plus, quel que soit le sort réservé à la personne même de Kaddafi, ou plutôt aux Kaddafi, l’établissement du nouveau régime, indépendamment de sa nature, sur l’ensemble de la Libye, est loin d’être chose acquise. Qu’il y ait au non occupation étrangère, en manière de béquille au nouvel ordre.
S’agissant de cette occupation, sur le modèle irakien, il va de soi qu’elle n’est au programme ni de la France ni de la Grande-Bretagne, qui vraisemblablement se seraient abstenues d’intervenir si elles avaient été certaines que cela y conduirait. Ces deux pays n’avaient été aussi chauds en l’occurrence (en somme pour une équipée à l’américaine mais qui serait la leur) que parce qu’ils s’étaient convaincus, sur certains indices trompeurs, que la chose serait rondement menée et qu’il n’y aurait pas de grandes complications à gérer par la suite. Qu’ils n’auraient à rien payer d’abord, à rien verser, ni en argent ni en sang de leurs soldats. Tout le sang à consentir devrait être libyen, de même que l’argent que ça coûterait. Les «révolutionnaires» libyens sont tenus de prendre en charge les deux additions. Une fois la victoire acquise, qui ne leur sera en rien disputée, tout ce qu’eux-mêmes demanderont en échange, c’est de se voir attribuer les contrats les plus juteux dans la perspective de la reconstruction et de la relance du développement.
La Libye, c’est l’Irak gratis pour la France et le Royaume-Uni – mais plus encore pour la France, qui s’est en quelque sorte le plus dépensée pour qu’il en soit ainsi. L’autre compère n’a fait somme toute que lui filer le train, passez-moi l’expression, pour obtenir sa part du gâteau à l’heure de sa découpe, en contrepartie de la couverture internationale qu’il apporte dans cette affaire. La France toute seule à batailler pour la libération de la Libye, la ficelle serait en effet trop grosse.
Par Mohamed Habili