Défendre sa terre et la nature par Abderrahmane Zakad
20 septembre 2011
Défendre sa terre et la nature.
Par Abderrahmane Zakad, urbaniste, romancier.
« Mais qu’ont-ils ces gens là à s’intéresser au sable », m’avait dit un griot au Mali.
Dès qu’on touche aux intérêts de l’impérialisme ou du colonialisme, dès que les états pauvres ou les petits états montrent des velléités à demander des droits de regards concernant leur devenir, dès que se manifeste une volonté pour que cela change, il se met en branle toute une panoplie de rétorsion pour juguler la contestation contre l’abus et l’injustice. C’est ce qui s’était passé au Pérou où les péruviens des forets amazoniennes se battent pour que soient sauvegardés leur identité, leurs forêts et leur honneur.
C’est ce qui se passe également en Libye aujourd’hui, où le sable a englouti les forêts d’époques lointaines, ce sable qui semble intéresser les conquérants onusiens et otanesques, plus pour s’y enfoncer et pomper dans les profondeurs pétrolières que de se bronzer sur les plages de Syrte ou de Tripoli. Les Libyens, comme les amazoniens devront eux aussi se battre pour que soient sauvegardés leur identité, leur sable, leur pétrole et leur honneur.
L’Algérie, mon pays, dont l’indépendance a été arrachée par la guerre, est sortie victorieuse de nombreuses confrontations et défis lancés à son endroit, particulièrement à la suite de la nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971. Mon pays avait alors subit un embargo en signe de représailles à sa décision souveraine portant sur la nationalisation de ses hydrocarbures. Cela avait ouvert une brèche dans le camp impérialiste et avait permis aux pays africains et sud américains d’entreprendre également les revendications pour la défense des peuples à disposer de leurs propres richesses.
En Iran du temps de Mossadegh en 1953, au Chili hier, en Irak et en Libye aujourd’hui, au Venezuela, dans les pays du Sahel (prochaine zone de confrontation pour les richesses minières) les forces occultes n’ont de cesse pour fomenter des troubles afin de donner l’occasion aux puissances étrangères d’intervenir. Et quand les conquérants armés de feu et de haine débarquent dans ces pays sans défense, après la comptabilité des morts, des veuves et des orphelins, c’est la désolation sur des territoires convoités devenus cimetières. On a assisté par le passé à la disparition de civilisations et de peuplades : les bochimans, les Kikuyus en Afrique, les incas au Pérou. Aujourd’hui, c’est en Irak, en Afghanistan – quoiqu’on dise, parce que les afghans ne sont pas tous des talibans – en Somalie et au Soudan, c’est dans ces pays convoités que disparaissent des tribus et des civilisations construites patiemment depuis des millénaires, vivant en paix jusqu’à l’arrivée du Diable : le dollar ou l’euro. La Libye va bientôt servir de laboratoire pour tester les nouvelles formes de conquêtes plus sophistiquées. Et l’Algérie ne sera pas épargnée, puisque déjà s’insinuent dans les réseaux du web des rumeurs inquiétantes.
C’est ainsi que s’infiltrent déjà dans l’Amazonie péruvienne, des sociétés pétrolières voraces, la Perenco, la Pétrolifera et autres Petrobas, pétrissant d’arrogantes conquêtes tels des piranhas échappés aux lois de la pesanteur, allant mordillant dans la chair des indiens, ce qui restent de leurs biens, la forêt et les rivières. Assisterons-nous, par la réaction des indiens massacrés le 8 juin 2009 à l’éclosion d’un mouvement qui rappelle celui du Sentier Lumineux de 1980, que les pays occidentaux avaient alors diabolisé. Les Indiens manifestent depuis deux mois contre une série de lois qui ouvrent leurs forêts communautaires aux compagnies pétrolières. L’Amazonie a été divisée en concessions et la récente découverte de plusieurs gisements importants menacent de détruire la plus grande partie des forêts vierges où vivent les Indiens. Des projets similaires ont déjà eu un effet dévastateur en Equateur et ont entraîné une pollution chronique et de graves conséquences sanitaires sur les Indiens, c’est ce que dénonce Survival. C’est ce qui se passera en Libye : l’application du plan de partage par les multinationales, plan concocté depuis longtemps par les cabinets spécialisés.
Comme les palestiniens, les Indiens péruviens sont contraints de prendre des mesures désespérées pour tenter de sauver les terres spoliées. Comme les palestiniens, les Libyens devront eux aussi se mobiliser pour protéger leur pays et défendre leur honneur.
Le seul moyen de défense contre cette pratique nouvelle des conquêtes par l’argent et la compromission c’est l’éveil des consciences des ‘damnés de la terre’ selon le mot de Fanon. Et tout d’abord, il faut que les peuples rejettent cette idée de mondialisation sous-tendue par l’argent et la technologie pour s’ouvrir aux autres par la culture. Ils doivent s’accrocher à leur culture comme le font les péruviens qui veulent sauver leurs forêts et leurs manières de vivre. Les Libyens, les algériens, tous les africains devront s’accrocher aux lègues de leurs ancêtres pour protéger leur pays et leur culture. Ils devront sauvegarder les acquis obtenus par leur travail depuis des millénaires, afin de ne pas subir ce qu’ont subit, les palestiniens, les irakiens et les Libyens. La résistance devra s’organiser autour des gens connus pour leur attention au genre humain et à la paix, rallier les intellectuels honnêtes et désintéressés et aux leaders plébiscités par leur peuple ; les leaders qu’ils connaissent et avec qui ils vivent avec eux et non pas ceux téléguidés d’occident par des réseaux occultes.
C’est ce que font les palestiniens qui ont su, en maintenant l’esprit de leur idéal et les valeurs de leur peuple par la voix de leurs poètes, Mahmoud Darwich, Hanna Abou Hanna, Samir El Qacim, poursuivre un combat qui dure depuis 1948 face à l’armée la plus puissante du monde, celle d’Israël.
Le 28 mars 2009, à l’occasion de la célébration en Algérie de l’année de la culture arabe, dont El Qods a été désignée capitale, notre ministre de la Culture, Madame Khalida Toumi a rendu hommage à tous les poètes palestiniens, aux femmes et aux hommes de ce pays, qui ont pu sauvegarder leur personnalité, sauver également l’honneur des pays arabes qui perdurent dans la mollesse. La ministre avait alors déclaré, en parlant des états-majors israéliens qui avaient refusé l’organisation de cette manifestation dans la ville sainte : « Ils ont voulu faire taire la voix culturelle de la Palestine. Ils ont commis un autre crime. Ils ont prouvé au monde entier, par leur esprit colonial, leur peur de la culture. Ils ne veulent pas reconnaître qu’El Qods est une réalité arabe…Nous ne céderons pas. Plus de compromission. Pas de normalisation. La résistance doit continuer ». Sur l’exemple des palestiniens, la résistance devra également se poursuivre partout où le libéralisme sauvage tentera de s’imposer afin que les droits des gens humbles soient respectés.
L’histoire l’enseigne. Dès lors que la patrie ou une communauté se trouvent en péril, menacées dans leur existence ou leur devenir, elles ne trouvent pas seulement des soldats pour combattre l’envahisseur ou des populations qui se rebellent contre l’injustice. Des artistes, des poètes se rallient et chantent pour perpétuer et sauvegarder les vertus du peuple et du sol. Ce qu’avaient fait Neruda, Darwich et Kateb Yacine.
Ces peuples, ces communautés qui défendent leurs doits doivent-ils tendre la main aux multinationales qui cherchent à gagner les sympathie par des promesses fallacieuses et des ruses qui ne trompent personne ? Doivent-ils accorder leur confiance à des gouvernements inféodés aux banques et qui reviennent sur les promesses déjà faites à leur peuple ? Ces multinationales, ces gouvernements feront semblant d’agir dans notre intérêt et souhaitent notre progrès. Ils nous peindront leurs erreurs sous les traits de la vérité pour nous abuser plus sûrement. Ils substitueront des points de vue qui les arrangent à nos idées clairement exposées de sorte que nous finirons à les adapter et nous en servir jusqu’à ce que nous devenions entre leurs mains un instrument dont ils peuvent user efficacement, ensuite le calme revenu, ils nous dépouillent de nos propres droits, nous humilient et consolident leurs positions en veillant à leurs intérêts. En Palestine, en Irak comme au Pérou et en Libye, quelque soit la dimension des conflits, l’homme étant un, les intérêts des uns ne sont pas nécessairement ceux des autres. Surtout quand les intérêts sentent le pétrole, l’uranium ou sont régis par l’argent.
La véritable histoire de ces dernières décennies, celle qui s’écrira et que nos enfants retiendront, c’est celle de la conquête de petits pays sans défense par l’ordre impérialiste et néocolonial. Malgré une médiatisation manipulée, orientée et abrutissante pour cacher la vérité, nos enfants comprendront car la réalité finit toujours par s’imposer.
Abderrahmane Zakad, urbaniste, écrivain.