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22 novembre 2024

Le Tchad d’Idriss Déby victime collatérale de la chute de Kadhafi


Le Tchad d’Idriss Déby victime collatérale de la chute de Kadhafi

« Le Tchad a été jusqu’au bout l’un des soutiens du régime de Kadhafi offrant même, selon certaines rumeurs, une véritable base arrière pour les forces loyalistes ». Crédit Reuters
Proche de Kadhafi, le Président tchadien voit désormais sa position affaiblie au sein de son propre pays. Des accrochages auraient eu lieu ce week-end dans la région. Des événements pour l’instant passés sous silence dans l’essentiel des médias français…
Plusieurs organes de presse tchadiens relatent des accrochages ayant eu lieu ce weekend entre l’armée tchadienne et le Mouvement pour la Justice et l’Égalité (MJE) du Dr Ibrahim Khalil, un groupe militaire islamiste soudanais longtemps lié et protégé par le Président du Tchad Idriss Déby. L’information est d’importance : la révolution libyenne pourrait affaiblir la position du président tchadien.

C’est en effet un peu la mort dans l’âme qu’Idriss Déby s’est résolu à tenter de désarmer le MJE.Il aurait fallu que, selon des sources soudanaises, le Conseil national de transition libyen (CNT) écrive au gouvernement soudanais lui demandant de faire tout ce qui est en son pouvoir afin de désarmer le MJE et restituer les biens que la milice a récupéré à Tripoli grâce au soutien du régime de Kadhafi

Fermement, le Soudan a rappelé à Idriss Déby que les accords entre les deux pays prévoyaient le désarmement, voire l’expulsion des rebelles soudanais du Tchad et des rebelles tchadiens du Soudan. Afin de ne pas susciter de tensions avec le voisin soudanais, mais aussi de faire oublier son activisme pro-Kadhafi au CNT, le président tchadien a été obligé de dépêcher des soldats dans l’État d’Ennedi, à l’ouest du pays et notamment dans la région d’Ounianga, à la frontière tchado-soudanaise ainsi que dans le Tibesti, aux confins du Niger

La mort dans l’âme car Idriss Déby et le Dr Khalil sont liés depuis longtemps. Tous deux membres de l’ethnie Zaghawa, présente en majorité au Darfour soudanais et tchadien, les deux hommes sont également de la même famille. Khalil est en effet le cousin du demi-frère de Déby.
Le Mouvement pour la justice et l’égalité, milice engagée dans le conflit du Darfour, a combattu pendant de longues années les combattants janjawids, proches du gouvernement soudanais, tout en étant soutenu et protégé par le Tchad voisin. En mai 2010, en vertu de l’accord de Khartoum, le Tchad devait remettre le Dr Khalil aux autorités soudanaises. Au dernier moment, sous la pression des Zaghawas, Idriss Déby a préféré expulser Khalil vers la Libye où il a été accueilli les bras ouverts par le colonel Kadhafi.

Kadhafi, Déby : même combat
Jusqu’à la chute du régime libyen, le statut quo était de mise dans la région. Les relations entre Kadhafi et Déby étaient en effet excellentes. Le colonel s’est toujours mêlé des affaires tchadiennes et le président Idriss Déby est resté longtemps l’un de ses derniers soutiens. Celui-ci n’a d’ailleurs trompé personne lorsqu’il s’est rendu à la Conférence des amis de la Libye réunissant les soutiens du CNT le 1er septembre à Paris : aucun des participants n’a voulu le rencontrer !
Comme il l’a expliqué au magazine Jeune Afrique, Idriss Déby s’est fortement opposé à l’intervention de l’OTAN en Libye. Mouammar Kadhafi soutenait financièrement son régime et a même fait parfois la chasse aux opposants tchadiens. Quand les soulèvements ont pris de l’ampleur à la mi-février, Kadhafi a sollicité un retour d’ascenseur. Des mercenaires tchadiens, autrefois entraînés et financés par Kadhafi, seraient venus à son secours, même si certains étaient déjà sur le territoire libyen depuis des années. Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Acheikh Ibni Oumar, des milliers des proches de Kadhafi se sont repliés au Tchad avec des moyens financiers et matériels énormes.
Cet appui au colonel Kadhafi a d’ailleurs davantage coupé Idriss Déby du soutien de la population tchadienne, beaucoup de Tchadiens se rappelant l’époque où les avions libyens bombardaient N’Djamena.
Le CNT se méfie de Déby et vice-et-versa
Opposants à Idriss Déby et militants tchadiens des droits de l’homme sont unanimes pour dire que la chute du régime de Kadhafi aura des conséquences au Tchad. L’opposant Mahamat Abbo Sileck pointe les dangers d’une relation exécrable entre Idriss Déby et le CNT et relève que Kadhafi portait financièrement à bout de bras le régime d’Idriss Déby. Enfin, un militant tchadien des droits de l’homme estime que «le gouvernement va réfléchir à deux fois avant de commettre des exactions. Car cela peut toujours devenir la goutte d’eau qui fait déborder le vase.»

A présent, la Libye change et cela a forcément des conséquences aux alentours. Après avoir longuement tergiversé, Idriss Déby a finalement reconnu le 22 août le CNT comme l’autorité légitime du peuple libyen. Il faut cependant donner des gages, tant la confiance entre les deux parties est à un niveau très bas, d’où la nécessité pour Déby de dépêcher des soldats et d’intercepter les miliciens du MJE quittant la Libye en direction du Darfour. Même s’il semblerait que ce soit le MJE qui ait tendu une embuscade aux soldats tchadiens, la tension était vive depuis de nombreux jours.

La confiance est très basse entre le CNT et le Tchad non seulement car le Tchad a été jusqu’au bout l’un des soutiens du régime de Kadhafi offrant même, selon certaines rumeurs, une véritable base arrière pour les forces loyalistes (le fief de Sebha proche de la frontière tchadienne étant l’un des derniers bastions kadhafistes), mais aussi parce qu’une tribu vivant entre les deux pays a été partie prenante du conflit libyen.
Quand les Toubous entrent en jeu
Les Toubous ont ainsi aidé le CNT libyen en attaquant les troupes du général Kadhafi notamment dans la ville de Morzuk, dans la région désertique du Fezzan, principale ligne logistique reliant Tripoli aux frontières du sud-ouest. Alors que cette tribu, présente dans le Tibesti tchadien et la partie sud de la Libye, a longtemps été favorable au colonel Kadhafi, son soutien au CNT a été décisif et a permis d’ouvrir un front au sud du pays. Les Toubous ratissent le sud de la Libye où subsistent de nombreux loyalistes et interceptent ceux qui tenteraient de fuir vers le Tchad ou le Niger.
A présent, de nombreux observateurs prêtent aux Toubous l’intention de se retourner contre le régime d’Idriss Déby. Le président tchadien a donc dû dépêcher de nombreux soldats au Tibesti afin de calmer leurs ardeurs. Cependant, plusieurs sources sur place font état de combats entre la garde républicaine d’Idriss Déby et des Toubous ayant eu lieu la nuit dernière. Des affrontements face à cette tribu ayant soutenu le CNT en Libye pourrait tendre encore davantage les relations entre N’Djamena et le nouveau pouvoir en place à Tripoli.
Idriss Déby se retrouve donc fortement affaibli. La chute de Kadhafi et les pressions soudanaises le forcent à se séparer d’Ibrahim Khalil Mohammed, son ancien protégé et membre de son ethnie. Les affrontements entre une armée tchadienne amputée de nombreux éléments Zaghawas qui refusent pour certains de combattre le MJE « ami » et les troupes du Dr Khalil ravitaillées en armes depuis leur séjour en Libye mobilisent de nombreux hommes et pourraient déstabiliser l’est du Tchad et le Darfour.
Au Tibesti (nord-est), d’autres hommes, notamment de la garde républicaine, sont appelés afin de prévenir tout éventuel conflit d’envergure avec les Toubous.

Idriss Déby se retrouve donc à découvert. L’ouverture d’un vrai conflit avec le MJE le couperait encore davantage d’une partie de sa population (en l’occurrence, de sa propre ethnie) et affaiblirait considérablement ce qu’il lui reste d’armée. Refuser le conflit le brouillerait définitivement avec le CNT et le Soudan, mais lui permettrait de surveiller davantage l’attitude des Toubous au nord du pays. Enfin, ses opposants restent vigilants et guettent les moindres signes de faiblesse du président tchadien pour récupérer la grogne sociale qui monte dans le pays, notamment à cause de l’accaparement des richesses par des membres du clan Déby, et le déloger.
L’équation semble donc particulièrement difficile à réaliser pour Idriss Déby. Une étincelle et tout peut exploser. L’affrontement avec Ibrahim Khalil Mohammed pourrait être un début d’étincelle.

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