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22 novembre 2024

Sommes nous au début d’un Chaos libyen ? par Wassim Nasr


ANALYSE DU JOUR
Sommes-nous au début d’un chaos libyen ?
12 décembre
Par Wassim NASR, Veilleur analyste Proche/Moyen-Orient, diplômé d’IRIS Sup’

Le nouveau gouvernement libyen fait face à plusieurs défis, le plus pressant restant celui du partage du pouvoir. Qui va parvenir à se tailler la part du lion ? Sont-ce les hommes de Misrata, les hommes du Djebel el Gharbi, ou bien les islamistes qui ont eu un rôle décisif sur le terrain et qui ont été les principaux opposants au régime bien avant la révolution de février ? Que deviendra le rôle des tribus qui ont soutenu Kadhafi ? Que faire d’une population qui sort de quatre décennies d’oppression, mais aussi d’assistanat… militarisée et armée jusqu’aux dents ?

Pas d’armée libyenne en déroute, mais des stocks d’armements en libre service

Une grande quantité d’armes reste en circulation sur le territoire libyen et les initiatives de collectes initiées par le Conseil National de Transition (CNT) ont toutes échoué. Le nouveau gouvernement a donné aux différentes milices un ultimatum de deux semaines (jusqu’au 20 décembre 2011) pour évacuer la capitale. Le ministre de l’Intérieur, Faouzi Abdelaali, a annoncé un plan d’intégration de cinquante mille combattants dans les forces armées et dans celles du ministère de l’Intérieur. Cela dans le cadre d’un plan complet qui vise la réhabilitation d’un total de deux cent mille combattants.

Selon différentes sources, AQMI a mis la main sur un arsenal non négligeable d’armes modernes dont des missiles sol-air Sam-7, missiles qui seraient aussi parvenus au Hamas palestinien via les tunnels qui relient la bande de Gaza au Sinaï. Il y a donc beaucoup de spéculation, mais toujours sur fond de vérité, différentes ONG assurant que les casernes et dépôts de l’armée libyenne sont ouverts à tous, donnant accès à des armes allant de la simple Kalachnikov, aux roquettes antichars Crotale (de fabrication française), jusqu’aux missiles sol-air Sam-7.

Abdel Rahman Chalgham – ancien ministre des Affaires étrangères sous Kadhafi, actuellement ambassadeur libyen aux Nations unies – accuse par ailleurs le Qatar d’ingérence. Le petit émirat soutiendrait financièrement et militairement certaines mouvances islamiques libyennes, outrepassant de fait les nouvelles autorités libyennes. Il est à noter que Mahmoud Djibril, avant dernier Premier ministre, a rejoint Chalgham dans ces accusations.

Le nouveau gouvernement libyen doit faire face aux attentes d’une population habituée à l’assistanat. A cet égard, l’Etat providence kadhafiste a un système similaire à ceux des pétromonarchies du Golfe, la redistribution de la richesse étant un des piliers du régime. Bien sûr la redistribution – qui se limitait à l’électricité gratuite, un appartement, une voiture, etc. – était inéquitable, les infrastructures manquantes, la corruption endémique, tout comme la prédation du clan Kadhafi. Mais une partie de la population – surtout parmi les soutiens du Guide « bâtisseur » – craint un avenir « humiliant » et n’hésiterait pas à user des armes pour faire valoir ses droits.

A la frontière tunisienne

Depuis la fin officielle des combats en Libye, le passage de Ras Jdir et sa zone économique (à 170km à l’ouest de Tripoli) ont été le théâtre de plusieurs incidents armés. Le passage de Dehiba dans l’extrême sud tunisien a connu l’attaque d’une patrouille de garde-frontières tunisienne.
Après la fermeture de la frontière et la demande pressante des autorités tunisiennes, le gouvernement libyen a réagi. Suivant les déclarations du ministre de l’Intérieur libyen Faouzi Abdelaal à son homologue tunisien, des « arrangements » seraient en cours avec les chefs locaux pour « éloigner » les combattants de la frontière en vue d’une prise en charge « professionnelle » des points de passages.
Mais il est connu que des hommes en armes n’abandonnent pas facilement un passage frontalier. Car grâce à la « taxation », qu’ils imposent souvent au nom de la « cause » et du combat mené (ou à mener), ces passages deviennent source d’autofinancement.

Rivalités tribales et tractations politiques

Les escarmouches entre combattants perdurent et ne se limitent pas à la capitale ou aux villes traditionnellement pro-Kadhafi, mais sont également journaliers en Cyrénaïque. La tribu d’Abdel Fatah Younès – chef militaire des rebelles mort assassiné – aurait chassé les représentants du CNT de Tobrouk (une des premières villes à rejoindre la rébellion) à la frontière égyptienne.
Depuis la mi-novembre, des combats opposent différents groupes rebelles dans les faubourgs ou au sein même de Tripoli. Les autorités libyennes assurent que ces affrontements sont provoqués par des hommes toujours loyaux à Kadhafi ou par des éléments « qui ne représentent qu’eux-mêmes ». Si des factions rebelles étaient directement impliquées, cela représenterait un aveu de faiblesse, qui jetterait un sérieux doute sur la mécanique en cours et remettrait en question la crédibilité du nouveau pouvoir, non seulement aux yeux des Libyens mais aussi aux yeux de la communauté internationale.

D’un autre côté, l’attitude des rebelles de Zintan, suite à leur capture de Seïf el Islam Kadhafi, reflète la complexité accrue de la scène libyenne. Cette capture survenue en pleine tractation pour la formation du nouveau gouvernement, a permis à Oussama el Djouali – chef militaires des rebelles de Zintan – d’obtenir le portefeuille de la Défense. Les Zinatas, qui entretiennent des « bonnes » relations avec les partisans du Guide, justifient le maintien du fils Kadhafi chez eux par un pacte vieux de 200 ans – conclu avec les Kadhafas – qui les obligent à veiller sur sa sécurité ; défiant de fait le nouveau pouvoir et même la Cour pénale internationale (CPI).
Ce sont aussi des combattants Zinatas qui tiennent l’aéroport international de Tripoli. Le dimanche 11 décembre, des combats ont opposé des militaires de la nouvelle armée libyenne à ces rebelles qui ont refusé d’évacuer l’aéroport. Leur chef Moukhtar el Akhddar assure que la force qui a essayé d’investir l’aéroport « était certes dans des véhicules de l’armée nationale », mais qu’elle n’agissait pas suivant des ordres de l’état-major, qui selon lui « a nié toute implication ». Les violences ont pris fin après l’intervention du chef du CNT Moustafa Abdeldjalil, du Premier ministre par intérim Abdel Rahim al Kib et du ministre de la Défense Oussama el Djouali.

Le très médiatique Abdel Hakim Belhajj – ancien djihadiste autoproclamé gouverneur militaire de Tripoli, propulsé par Al-Jazeera au devant de la scène le jour de l’investiture de Bab el Azzizia – s’impose dans la capitale avec une petite force de 300 combattants, bien équipés et qui bénéficient surtout du soutien politique et matériel du Qatar. Cela dit, les frictions se multiplient entre les hommes de Belhajj et les Zinatas, beaucoup plus nombreux et moins disciplinés.

Les différentes tribus libyennes

Pour comprendre la Libye de demain, il faut revenir sur sa mosaïque tribale, sur leur rôle et emprise sur le terrain :
Kadhafas : tribu du Guide forte de deux cents milles individus. Les Kadhafas habitent principalement à Syrte (dernière ville à être tombée entre les mains des rebelles) et à Sebha dans le Centre-Sud du pays. Certains ont soutenu la rébellion (à titre personnel), à l’instar du responsable sécuritaire de Bab el Azzizia qui, en appelant ses hommes à déposer les armes, a accéléré la chute du complexe.
Warfallas : la plus grande tribu libyenne avec plus d’un million d’individus. Principalement à Bani Walid et très présente au sein des forces armées. Néanmoins, plusieurs de ses officiers ont été exécutés suite au coup d’Etat raté de 1993. Néanmoins, Bani Walid demeurera loyale au Guide jusqu’au dernier moment, avant qu’elle ne soit investie par des rebelles eux aussi Warfallas.
Megarhas : parmi les plus influentes au temps de Kadhafi, malgré le petit nombre d’individus qui la composent. Abdallah Sanoussi, chef des renseignements et n°2 officieux du régime, appartient à cette tribu.
Tarhounis : les trois quarts des habitants de Tripoli sont des Tarhounis. Ils se trouvent essentiellement au Sud-Ouest de la capitale. Un grand nombre est resté fidèle à Kadhafi.
Oubeïdates : habitent l’Est libyen. C’est la tribu de l’ancien ministre de l’Intérieur (sous Kadhafi), ultérieurement chef militaire des rebelles, Abdel Fatah Younès. Accusé de trahison, il fut assassiné dans les faubourgs de Benghazi lors de son transfert devant un juge militaire du CNT. Les combattants du « mouvement du 17 février » sont soupçonnés d’être les exécuteurs, au vu du rôle que Younès a joué dans la répression des islamistes. Youssef el Aseifer, procureur militaire de Tripoli, a désigné sept suspects dans ce meurtre, parmi lesquels Ali Issawï, ancien vice-président (n°2) du CNT en charge des Affaires étrangères.
Misratis : la plus virulente dans son opposition, ayant toujours subi la répression du régime. Les Misratis n’ont reconnu l’autorité du CNT que suite à d’importantes pressions politiques occidentales ; « Le cas échéant, l’approvisionnement de Misrata par la mer aurait été coupé ». C’est aussi par la mer (opération Sirène) que les Misratis ont participé à la conquête de Tripoli, avant qu’ils ne capturent et exécutent Kadhafi le 20 octobre dernier. Contrôlant la majorité des états-majors à l’Est du pays, ils ont à leur tour exercé une grande pression sur le CNT pour avoir des ministères « importants ».
Zinatas : ils étaient parmi les plus virulents dans la contestation du régime dès les premières heures de la révolution, tout en maintenant des « bonnes et respectueuses » relations avec les tribus loyales à Kadhafi.
Les Berbères (Amazighs) : représentent 3% de la population libyenne, ils habitent Djebel Neffoussa et Djebel el Gharbi (Montagne Ouest). Ils ont activement participé à l’investiture de la capitale libyenne par le sud ; néanmoins ils n’ont aucun représentant dans le nouveau gouvernement. Ce qui a valu le retrait de leurs représentants du CNT.
Tebous (Touaregs) : Ils habitent en petit nombre dans le sud du pays. A la différence des autres Touaregs, les Tebous sont libyens de naissance et ont soutenu la rébellion. Certains Touaregs ont soutenu Kadhafi, surtout ceux qui ont fui la sécheresse des années 1980 et à qui le Guide a donné la nationalité libyenne tout en les enrôlant dans l’armée. Ils étaient majoritairement originaires de pays frontaliers comme le Mali et le Niger ; un certain nombre est retourné au Mali – avec armes, véhicules, munitions – en coordination avec les autorités maliennes.
Braassa, Massamirs, Awakirs : petites tribus de l’Est habitant aux alentours de Benghazi et du Djebel el Akhdar (la Montagne Verte). Elles ont joué un grand rôle dans la révolution mais n’ont finalement obtenu que sept ministères dans le nouveau gouvernement.

La structure tribale et traditionnelle est la seule structure « opérationnelle » qui ait eu cours en Libye. Même les mouvances islamiques, historiquement opposées au régime, n’ont aucune réelle structure politique ou organisationnelle digne de ce nom. La « vie » politique inexistante, l’absence totale des institutions, des administrations et d’une société civile active, épaississent le brouillard de l’après guerre. La Libye est dans une phase très critique, qui peut mener à des confrontations violentes entre les différentes tribus. L’émergence des seigneurs de guerre qui organisent des semblants des partis politiques, complique un peu plus encore la donne, dans la mesure où ils auront du mal à se soumettre aux généraux. Les régions « vaincues » doivent être classées « prioritaires dans la reconstruction », comme l’a stipulé Abdel Hafid Gogha porte-parole du gouvernement car le cas échéant, une contre-révolution risque bel et bien de voir le jour.
Le processus démocratique risque d’être très long, mais la richesse du pays exclut toute forme de division entre Tripolitaine et Cyrénaïque. Les tensions tribales, à défaut d’être apaisées par le « devoir » de réussite qui s’impose aux puissances occidentales, s’apaiseront par nécessité grâce au facteur géographique ou plus précisément géologique : les champs d’hydrocarbures se trouvant au Centre et à l’Ouest du pays, vainqueurs et vaincus sont obligés de trouver un terrain d’entente pour pacifier ces zones au profit de tous.

Sources : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pa… ; http://www.lemonde.fr/afrique/artic… ; http://magharebia.com/cocoon/awi/xh… ; http://www.elkhabar.com/ar/autres/h… ; http://www.google.com/hostednews/af… ; http://tempsreel.nouvelobs.com/mond… ; http://www.liberation.fr/monde/0101… ; http://www.jeuneafrique.com/Article… ; http://www.jeuneafrique.com/Article… ; http://www.irinnews.org/fr/ReportFr… ; http://ara.reuters.com/article/topN… ; http://www.taghribnews.com/vdcay0n0… ; http://www.leparisien.fr/internatio…

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