Le secret des sept soeurs
19 mars 2012
« Exploiter fraternellement et le plus profitablement possible les ressources pétrolières mondiales », c’est la proposition faite à ses pairs en 1928 par Henri Deterding, cofondateur de la Royal Dutch Oil.
Une plongée dans les arcanes de l’univers pétrolier. C’est ce que propose Fabrice d’Almeida dans La Case du siècle avec quatre documentaires qui retracent la véritable et impitoyable histoire de l’or noir. Intitulé Tempêtes et fortunes du désert, le premier épisode plante le décor au Moyen-Orient.
Depuis presque un siècle, elles font et défont des gouvernements, influencent les relations entre des Etats ou nourrissent des conflits au gré de leurs intérêts. Elles, ce sont les toutes-puissantes compagnies pétrolières. Une poignée de sociétés qui, un jour, se sont arrogé le droit de se partager le monde ! Et leur arrogance va se révéler très profitable…
L’histoire commence un soir d’août 1928, en Ecosse, au château d’Achnacarry, où sont réunis les hommes forts de l’industrie pétrolière de l’époque. Le Néerlandais Henri Deterding, cofondateur de la Royal Dutch Oil, propose alors aux autres convives « d’exploiter fraternellement et le plus profitablement possible les ressources pétrolières mondiales ». Zones d’exploitation, prix du transport et de vente… tout est débattu et distribué équitablement. Au petit matin, le pacte est scellé et le nouveau cartel, prêt à dominer le marché planétaire. D’autres compagnies vont bientôt rejoindre ce complot de milliardaires. Exxon, Shell, BP, Mobil, Chevron, Gulf et Texaco forment par la suite le groupe connu sous le nom des Sept Sœurs. Etabli dans le plus grand secret, l’accord informel de 1928 qui les lie ne tient aucun cas des pays consommateurs de pétrole, et encore moins des pays producteurs. Il faudra attendre le début des années 1950 pour que le voile commence enfin à se lever…
Entente et opacité
Mais, pour l’heure, avec l’aide de l’Arménien Calouste Gulbenkian, un intermédiaire de génie, les Sept Sœurs s’attribuent les réserves du Moyen-Orient. Actionnaires à parts égales, elles obtiennent, par l’Accord de la ligne rouge qui épouse les contours de l’ancien Empire ottoman de 1919, des contrats de concession leur permettant d’avoir la mainmise sur la quasi-totalité du territoire. Partout, les compagnies s’imposent, devenant de véritables Etats dans chaque Etat. Dans les années 1930, les Américains obtiennent du tout nouveau roi d’Arabie saoudite, Ibn Séoud, le droit d’exploitation de la péninsule. Le monarque exige en contrepartie protection pour son pays et une partie des bénéfices. Aramco — un consortium regroupant Exxon, Chevron, Mobil et Texaco — est créé. Les gisements du désert vont se révéler extraordinaires et faire la richesse du royaume. Mais, à l’époque, Aramco est encore libre d’exploiter le pétrole comme il l’entend et de fixer le prix de vente. Selon cheikh Zaki Yamani, ancien ministre du Pétrole (1962-1986), « l’Arabie n’avait aucun pouvoir hormis celui de tendre la main pour recevoir l’argent que les compagnies voulaient bien lui donner ». Une situation qui perdure ailleurs dans d’autres pays.
Le temps de la révolte
Mais trop, c’est trop. En 1951, en Iran, le refus de la BP (British Petroleum) de satisfaire des revendications salariales déclenche une grève qui paralyse le grand terminal pétrolier d’Abadan. Le peuple descend dans la rue. Le député nationaliste Mossadegh prend la tête du mouvement, avec pour mot d’ordre la nationalisation du pétrole. Ce qu’il s’empressera de faire dès son arrivée au pouvoir comme Premier ministre. Une victoire de courte durée et au goût amer. Car les pays occidentaux contre-attaquent en menaçant de poursuites tout acheteur de pétrole iranien. De leur côté, les Britanniques demandent l’aide américaine. Un coup d’Etat sanglant, fomenté par la CIA et coordonné par le propre neveu du président Roosevelt, renverse le gouvernement. En 1953, le shah est de retour, et les affaires peuvent reprendre. Désormais présents en Iran, les Américains contrôlent, avec l’Arabie saoudite, deux des principaux producteurs d’or noir de la planète. La révolte suivante viendra d’Egypte, trois ans plus tard. Nasser nationalise à son tour le canal de Suez. La crise qui s’ensuit donne naissance au nationalisme arabe. S’opposer aux pays occidentaux devient une réalité envisageable…
Beatriz Loiseau france5.fr