René Naba : «Entre la France et l’Algérie le rapport est désormais inversé»
11 décembre 2012
René Naba : «Entre la France et l’Algérie le rapport est désormais inversé»
René Naba : Entre la France et l’Algérie le rapport est désormais inversé. L’ Algérie dispose de réserves de l’ordre de deux cents milliards de dollars, alors que la France, frappée de la dégradation de sa notation, est affligée d’une dette publique de près de deux mille milliards d’euros. Les relations entre la France et l’Algérie, en dents de scie depuis l’indépendance de l’Algérie il y a 50 ans, se sont certes réchauffées depuis l’élection du socialiste François Hollande et les deux capitales entendent parvenir à un «partenariat d’exception», selon la formule consacrée. Les Algériens souhaitant même que le savoir-faire français puisse accompagner le développement industriel algérien, notamment dans l’industrie de pointe. Mais le rapport est désormais inversé. Et ceci explique cela.
Depuis son entrée en fonction en mai dernier, le président français a reçu à Paris une quinzaine de dirigeants arabes et s’est déjà rendu dans deux pays arabes, le Liban et l’Arabie Saoudite, de même qu’en Afrique (Sénégal et République démocratique du Congo). La visite de François Hollande en Algérie n’était donc pas si attendue que cela. Elle figurait dans l’ordre normal des choses. C’est plutôt lui qui était attendu… et de pied ferme. Pour l’Algérie, il a sans doute voulu attendre la fin de la commémoration du cinquantenaire de l’Indépendance, douloureuse pour le souvenir français… et sans doute que le sort des armes en Syrie et au Mali lui soit favorable pour se poser, sinon en vainqueur, du moins en prescripteur. Un rôle qu’affectionne particulièrement la France. Mais le sort en a décidé autrement.
La France vote pour l’admission de la Palestine en tant qu’État non membre à l’ONU et le même jour prête ses somptueux salons du Quai d’Orsay pour une réception célébrant le 65e anniversaire de la proclamation unilatérale de l’indépendance d’Israël.
Elle réclame avec insistance la fourniture d’armes lourdes à l’opposition syrienne et la constitution d’une «no fly zone» au-dessus de l’espace aérien syrien, mais ne pipe mot sur le blocus de Ghaza, ne serait-ce que pour la fourniture d’aides substantielles à la reconstruction. Elle aide les islamistes en Syrie mais veut les combattre au Nord-Mali.
Tant de contradictions expliquent sa mise à l’écart du règlement en cours à Ghaza, ainsi que le dégagement des binationaux franco-syriens des postes dirigeants au sein de l’opposition off-shore, au bénéfice d’un islamiste démarcheur de la firme pétrolière anglo-néerlandaise Shell.
La repentance : la France doit-elle demander pardon ?
C’est la question qui fâche par excellence. Je vais tenter de faire un sort définitif à cette question qui empoisonne la vie politique nationale française et les rapports franco-algériens depuis un demi-siècle. Vidons l’abcès une bonne fois pour toutes.
Depuis près de vingt ans, la France, à intervalles réguliers, procède à une sorte de repentance sur certains aspects hideux de son histoire : la collaboration vichyste avec l’Allemagne nazie et sa coopération avec le génocide hitlérien, la criminalisation de l’usage du terme harki, la criminalisation de la négation du génocide arménien, etc. Très franchement, pour un pays qui se targue de rationalité cartésienne, ce n’est pas la meilleure façon de purger le passif postcolonial. Il aurait mieux valu procéder à une lecture sereine de l’histoire de France, et de pointer ses points noirs une bonne fois pour toutes et de les expier d’un trait, dans une démarche solennelle qui n’aurait pas manqué de grandeur. Le pouvoir français a préféré établir une hiérarchie dans ce domaine-là et voilà que ses repentances successives prennent l’allure d’un chemin de croix humiliant pour l’amour-propre national. C’est la solution la moins judicieuse. Car après l’Algérie, restera Thiaroye (Sénégal) et le Cameroun.
La contribution totale des trois pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc) s’est élevée à 256 778 soldats, 26 543 tués et 129 368 travailleurs. L’ Afrique noire (Afrique occidentale et Afrique équatoriale) a, pour sa part, offert 164 000 combattants dont 33 320 tués, l’Indochine 43 430 combattants et 1 123 tués, l’île de la Réunion 14 423 combattants et 3 000 tués, Guyane-Antilles 23 000 combattants et 2 037 tués.
Ahmed Ben Bella, un des futurs chefs de file de la guerre d’indépendance algérienne et premier président de l’Algérie indépendante, figurait parmi les blessés de la bataille de Monte Cassino. Il en est de même de la campagne d’Allemagne : sur les 9 237 tués, 3 620 étaient des enrôlés du Maghreb, et sur les 34 714 blessés, 16 531 étaient maghrébins. Il n’était pas question alors de pistage génétique, de «test ADN» ou d’«immigration choisie» pour leur enrôlement, de «seuil de tolérance» pour leur sang versé à profusion pour une guerre qui se présentait pour eux comme «une querelle de blancs».
Les colons blancs des colonies britanniques de Rhodésie Nyassaland, du Kenya, d’Ouganda, d’Inde ou du Pakistan ne se sont pas constitués en lobby pour occulter l’histoire coloniale ni peser sur le débat sur l’identité nationale, ni, non plus, réclamé et obtenu pour des raisons électoralistes le vote d’une loi sur le «rôle positif de la colonisation».
Les pieds-noirs font partie de la colonisation et n’existent que dans un seul pays, l’Algérie. Curieux qu’il n’y ait pas eu de phénomène pied-noir en Afrique noire. Pourquoi les privilégier au détriment des populations des autres pays, alors que le code de l’indigénat ne s’appliquait pas à eux, preuve irréfutable de leur appartenance à la société coloniale. Il parait malsain, en termes de cohérence intellectuelle, de mettre sur le même plan l’exploitation, l’oppression, la dépersonnalisation pluriséculaire des colonisés, leur mise en esclavage et la traite dont ils ont été l’objet, et les mésaventures d’anciens colons, fourvoyés par la politique de leur gouvernement.
Les pieds-noirs ressortissent du même monde que le pouvoir colonial : colons, ils jouissaient des mêmes droits et obligations que leurs compatriotes de France. Ils n’étaient pas soumis au code de l’indigénat. Ils étaient des colons, la population autochtone des colonisés.
Le paradoxe français réside dans ce fait qui explique les dérives du débat public. Si le «rôle positif de la colonisation» constitue désormais un dogme inaltérable de la pensée française contemporaine, il est à espérer que le débat apporte sa contribution à la démonstration du «rôle positif des colonisés par rapport à leur colonisateur».
Pourquoi Paris pousse-t-il au pourrissement dans la crise malienne ? Quel est son intérêt dans une intervention militaire étrangère dans ce pays ? Les divergences de vues et d’intérêts entre l’Algérie et la France sur le Mali et sur la plupart des autres questions internationales ne rendent-elles pas, sinon impossible, du moins encore plus difficile une entente entre Paris et Alger ? L’Algérie et la Syrie sont les derniers bastions du «Front du refus», après l’invasion de l’Irak et le rapprochement forcé de l’Égypte avec Israël. Aujourd’hui, la Syrie est en proie à une guerre civile terrible. Par quels moyens les artisans de ce «nouvel ordre» mondial comptent-ils s’y prendre en Algérie qui semble – jusque-là, du moins – résister à cette entreprise subversive ?
Là aussi, les rapports entre la France et l’Algérie sont inversés. J’ose espérer que la France en a tenu compte dans son évaluation stratégique. L’ Algérie est chez elle au Sahara et dispose d’une frontière commune de 1 800 km avec le Mali, soit infiniment plus que la totalité du métrage de la France avec ses pays limitrophes (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Suisse). Cela est si vrai, d’ailleurs, que la France aurait proposé au Maroc de lui effacer ses dettes militaires en échange d’une intervention militaire marocaine dans le Nord-Mali, en substitution de la France.
– Désarticuler le maillon intermédiaire de l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone, constitué de l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais.
– Affaiblir économiquement l’Iran, sous embargo depuis trente ans, et la Russie.
– Fixer la Syrie et la Russie sur cet abcès de fixation le temps de procéder au déroutement du trafic gazier du détroit d’Ormuz vers la Méditerranée orientale avec des terminaux en Syrie et en Turquie.
Pour les initiés, c’est la fameuse bataille du projet transeuropéen Nabucco contre le projet russe North and South Stream.
L’écharde nord-malienne s’explique aussi dans ce contexte. L’ Algérie, ultime survivant de l’ancien «Front du refus arabe», flanquée de surcroît désormais de deux régimes néo-islamistes, la Libye et la Tunisie, est ainsi rivée au sol par le dossier du séparatisme du nord du Mali.
Vous avez demandé, sur un ton sarcastique, que des psychiatres se portent volontaires pour soigner les dirigeants arabes. De quoi souffrent-ils, selon vous ?
Pas du tout sarcastique, mais le triste constat d’une triste vérité. La pathologie du leadership arabe est une combinaison de plusieurs maux alliant confusion mentale sur fonds de mégalomanie, de sénilité, d’analphabétisme, de corruption et de veulerie.
Deux dirigeants arabes sont des parricides, le sultan Qabous d’Oman, et l’émir du Qatar, Cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani, tous deux situés dans le giron occidental et cités en exemple de démocratie.
Un troisième, celui d’Abou Dhabi, doit son trône au fait que son père, Cheikh Zayed, a évincé son propre frère, Cheikh Chakhbout, du pouvoir, alors que la famille régnante saoudienne abrite la plus forte concentration d’atrabilaires cacochymes.
En plein printemps arabe, deux princes héritiers saoudiens décèdent en moins d’un an. Le sang neuf c’est bon pour les régimes séculiers, pas pour les théocraties.
La France inflige un camouflet à l’émir de Qatar, en refusant un visa au prédicateur préféré du camp atlantiste, l’Égypto-Qatariote Youssef Qaradawi, mais le vibrionnaire qatari ne moufle mot et investit compulsivement dans l’économie vacillante française. Sans comparaison avec l’Algérie où le bras d’honneur français fait l’objet d’un retour à l’envoyeur immédiat, frais de port compris.
Le Hamas tire contre Tel-Aviv des missiles Fajr 5 livrés par l’Iran et la Syrie au péril de nombreux combattants les acheminant, et le mouvement islamiste palestinien sunnite, par alignement sectaire, remercie… la Turquie, l’allié stratégique majeur d’Israël pendant le dernier demi-siècle, ainsi que le Qatar, qui abrite naturellement la plus grande base américaine de la zone, au service de la défense israélienne.
Une camisole de force et quelques coups de pied à l’arrière-train, question d’activer leurs méninges, à tout le moins pour ceux qui en ont.
Que va-t-il se passer dans le monde arabe dans les quelques années à venir, à la lumière des événements – parfois d’une violence inouïe – qui s’y déroulent ?
Pour la première fois dans l’histoire moderne arabe, les islamistes sont au pouvoir dans la quasi-totalité des pays arabes, du golfe pétromonarchique wahhabite rétrograde aux gouvernements néo-islamistes des rives de la Méditerranée (Égypte, Libye, Tunisie).
C’est une chose de pratiquer l’opposition démagogique sans responsabilité, c’en est une autre de se frotter aux dures réalités de la gestion quotidienne des responsabilités.
Sous la bannière de l’islam atlantiste, une dizaine de bases militaires occidentales se sont déployées aux points stratégiques du monde arabe (Bahreïn, Qatar, Abou Dhabi, Koweït, Djibouti, sultanat d’Oman), sans compter les facilités dont ils disposent en Libye, au Maroc et en Jordanie. Songez que les deux pays musulmans d’Europe, l’Albanie et la Bosnie, qui sont tant redevables aux «arabes afghans» de leur indépendance – Ben Laden en personne a combattu en Bosnie en 1995 pendant un semestre – se sont abstenus de voter en faveur de la Palestine, le 29 novembre 2012, sur l’octroi du statut d’État observateur, alors que la Palestine a préexisté à cet état croupion qu’est la Bosnie depuis la nuit des temps.
– En accordant la priorité à la destruction de pays arabes, sous couvert de lutte pour la démocratie, plutôt qu’à la libération de la Palestine, les pétromonarchies, les régimes les plus rétrogrades au monde, se sont révélées les commanditaires de leur propre mercenariat en vue de leur auto-asservissement. Un phénomène unique dans l’histoire du monde.
– Le néo-islamisme pro-américain est, lui, apparu le gestionnaire de l’ordre rentier pétromonarchique, comme en témoigne le règlement de la dernière offensive israélienne de Ghaza.
Le devoir des patriotes arabes, où qu’ils se trouvent, est de mener, de pair, un combat sans relâche contre le discours disjonctif occidental et la confusion mentale arabe, avec une vigueur particulière contre l’islam pathologique, lequel, en dix ans, du fait de la destruction des Bouddhas de Bamyane (Afghanistan) et les sanctuaires de Tombouctou (Mali) nous a aliéné près de la moitié de l’humanité. En toute impunité, en raison sans doute de l’immunité de leurs protecteurs, l’Arabie Saoudite et le Qatar, les deux plus importants pourvoyeurs de djihadisme erratique et partant de régression du monde arabe et islamique, par dévoiement du combat national de libération de l’emprise israélo-américaine.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et Sarah L.
René Naba est animateur du blog
http://www.renenaba.com/
-Dernier ouvrage paru : Média et démocratie, la captation de l’imaginaire un enjeu du XXIe siècle, Golias, novembre 2012.
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