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25 avril 2024

L’enquête sur le bombardement de Bouaké se heurte à la raison d’Etat, MAM mise hors de cause



12 avril 2013 | Par Michel Deléan

 Michèle Alliot-Marie, qui était visée par une plainte pour « faux témoignage » et « complicité d’assassinat » dans l’affaire du bombardement de Bouaké, comme l’avait révélé Mediapart le 21 novembre dernier, vient d’être discrètement mise hors de cause par la Cour de justice de la République (CJR).

 La commission des requêtes de la CJR, qui filtre les plaintes déposées contre les ministres et anciens ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, a en effet classé sans suite, le 21 février, la plainte qui avait été déposée par plusieurs familles de militaires français, selon des informations obtenues par Mediapart. Une décision que ces familles « ne comprennent pas », selon leur avocat, Jean Balan, qui entend continuer à se battre.

La plainte pour « faux témoignage » visait MAM en qualité de ministre de la justice de Nicolas Sarkozy (2009-2010), et celle pour « complicité d’assassinat » ses fonctions de ministre de la défense de Jacques Chirac (2002-2007).

Michèle Alliot-Marie

 Retour en 2004. Après la guerre civile ivoirienne qui a laissé une nation divisée en deux, les soldats français de la Force Licorne peinent à ramener la paix dans le pays. Le 6 novembre, à Bouaké, deux Sukhoï de l’armée de l’air ivoirienne bombardent le camp français et font 10 morts (dont 9 soldats français) et une quarantaine de blessés. L’affaire déclenche le départ précipité de 8 000 ressortissants français.

  Sur le plan judiciaire, l’affaire de Bouaké donne lieu depuis 2005 à une information judiciaire pour « assassinats » et « complicité d’assassinats », qui a d’abord été confiée au tribunal aux armées de Paris, puis, la juridiction spéciale ayant été supprimée le 1er janvier 2012, au tribunal de grande instance de Paris. Entravée par la raison d’État, cette enquête ne donne aucun résultat.

 En décidant de saisir la CJR du cas de MAM, Me Balan a souhaité dénoncer à nouveau le rôle des autorités françaises dans cette affaire, qui ont d’abord laissé filer les pilotes (des mercenaires biélorusses) auteurs de ce bombardement meurtrier, et n’ont, soi-disant, pas réussi à les identifier ni à les retrouver depuis fin 2004.

 Se nourrissant des témoignages engrangés dans l’instruction du dossier de droit commun, l’avocat estime que l’enquête a été « sabotée » par MAM, alors ministre de la défense. Il en veut pour preuve le fait que 15 mercenaires biélorusses, qui avaient été arrêtés après le bombardement, ont été retenus quatre jours par les autorités françaises avant d’être relâchés. Ces mêmes autorités françaises ont par la suite prétendu ne pas connaître leurs identités et ne pas pouvoir aider la justice à les retrouver.

L’un des Sukhoï

 « Il s’agissait d’ouvriers de maintenance, se justifie alors MAM. Seuls des officiers de police judiciaire auraient pu les interroger, les militaires n‘avaient aucun droit de le faire. » Ce que conteste formellement l’avocat des victimes. Quoiqu’il en soit, ces mercenaires ont été remis au consul de Russie.

 Quant aux pilotes des Sukhoï, les auteurs du bombardement, rapidement arrêtés au Togo parmi un groupe de huit autres mercenaires, le gouvernement français n’a pas demandé à se les faire remettre, ni à les faire interroger…

 Pour toutes ces raisons, Me Balan et les familles des victimes estiment que les plus hautes autorités françaises ont sciemment entravé l’enquête judiciaire, sur fond de raison d’État.

Dans sa décision (dont Mediapart a pris connaissance), la commission des requêtes de la CJR estime qu’il est impossible de poursuivre MAM pour « complicité d’assassinat », car en droit, il aurait fallu que les actes dénoncés soient « antérieurs ou concomitants au fait principal », et non pas postérieurs. Argument imparable.

Pour ce qui est de l’accusation de « faux témoignage », la commission des requêtes se borne a déclarer que « les déclarations de Mme Alliot-Marie ne constituent pas une altération volontaire de la vérité portant sur les circonstances essentielles des faits d’assassinat dénoncés ». En conséquence de quoi, estime la commission des requêtes, « en cet état, les faits allégués n’apparaissent pas susceptibles de recevoir une qualification pénale ».

 La décision de la commission des requêtes n’est susceptible d’aucun recours.

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