Les personnes venant des pays sub-sahariennes au Maghreb sont prises au piège entre les discours politiques migratoires sécuritaires que prônent l’UE et l’hypocrisie du Maghreb.
14 avril 2013
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Les personnes venant des pays sub-sahariennes au Maghreb sont prises au piège entre les discours politiques migratoires sécuritaires que prônent l’UE et l’hypocrisie du Maghreb.
Après ma deuxième participation à un Forum social Mondial (Tunis 2013), je me suis dit qu’il était important de partager ma réflexion sur la question des migrations des sub-sahariens au Maghreb. Ayant vécu pendant 10 ans dans cette partie du continent et surtout, impliqué bénévolement corps et âme pour la défense des droit humains des sub-sahariens au Maghreb ; je peux me permettre d’affirmer, comprendre plus ou moins la cruauté des politiques migratoires des pays développés. Je le dis sans hésitation : ces politiques sont machiavéliques.
Ces politiques laissent entendre à l’opinion publique internationale que l’aide au développement accordée par les pays développés aurait pour but de décourager les migrants potentiels de quitter leur pays ; mais, que l’immaturité démocratique de ces pays, combinée à la corruption de leurs dirigeants seraient la cause de la mauvaise gouvernance et du chaos qui séviraient malgré tout sous ces latitudes. Je ris quand je vois que la rhétorique de ces politiques qui n’a pour seule conséquence que de nous faire tourner en bourrique. Lier l’aide au développement et la fameuse lutte contre « la migration clandestine » me rappelle bien l’adage « déshabiller Saint Paul pour habiller Saint Pierre » Deux saints pour un seul et même Dieu !
Le Forum social mondial de Tunis est terminé ! Quelle expérience en avons-nous tiré ?
Je suis presque toujours le même : meurtri et indigné. Je me questionne jour et nuit sur ce que je pourrais encore faire après 12 ans de lutte acharnée, alors que rien n’a changé pour les sub-sahariens au Maghreb… Leur situation a même encore empiré après l’assassinat du guide libyen Kadhafi, présenté de tous bords comme l’intraitable arnaqueur et vendeur de sommeil à l’UE pour la gestion « concertée » des flux migratoires. La situation des subsahariens continue de se dégrader de jour en jour et cela est connu de tous, même des instances internationales. Les morts et disparus se comptent par milliers, les survivants portent chaque jour de leur vie les séquelles de leur passage par les pays du Maghreb. Et souvent même, gardent au fond d’eux cette histoire horrible qui n’alimente que haine, rancune et dégoût de l’autre. Je me pose la question de savoir s’il y a bien des africains dans les instances onusiennes ? Et si oui, pourquoi ne prennent-ils pas la parole pour s’élever contre cette tragédie humaine qui se déroule au Maghreb ? Cette machine à tuer, à broyer, à massacrer, en douceur ! Une prison à ciel ouvert, un carnage aux portes de l’Europe des droits de l’Homme. Oui ! Un carnage sans bruit. Petit à petit, les sub-sahariens meurent, disparaissent, sont oubliés sans que cela ne suscite la moindre question ou la moindre pitié comme s’il s’agissait là d’une guerre justifiée.
Je m’étonne que l’on soit resté si tolérant en Afrique subsaharienne à l’égard des européens et des maghrébins ! Les africains parlent toujours de Dieu. La peine que nos parents se donnent en parcourant des kilomètres chaque dimanche pour aller écouter la bonne nouvelle !!! En tant que croyant, je me permets de demander à Dieu pourquoi ne montre-il pas son visage aux jeunes africains qui crient jour et nuit, espèrent son secours et n’ont pour seule réponse que celle des passeurs, qui leur promettent l’aventure et l’espoir de survivre et d’aider leurs familles restées au pays. Et voilà qu’ils se retrouvent piégés au Maghreb… Tripoli, Bengazi, Bargate, Ghate, Oubari, à Tinelcom, à Djanet, à Choucha, à Tunis, à Sfax, à Rabat, à Casa, à Layounne, à Oujda, à Finideq’ à Nador, à Gourougou, à Mawarri , à Magnhia, à Oran, à Alger, à Gardaia, à Tamarasset, à Tissawati… Je vais même encore plus loin en demandant à Jésus si les gens qui l’ont crucifiés étaient des africains ? Ou si le Prophète Mohamed a découvert avoir un traitre noir africain ? Si non, pourquoi s’acharner toujours contre nous ?
Toutes les villes citées ci-dessus se situent au Maghreb et rappellent une histoire à chaque jeune sub-saharien ayant traversé le Maghreb, soit pour étudier, soit pour s’y installer et travailler, soit pour atteindre l’Europe. Les deux premières raisons existent mais sont dénigrées par les maghrébins et les européens pour qui la seule et unique raison qui explique la présence des sub-sahariens au Maghreb, c’est leur volonté de se rendre en Europe. Cette idée est d’ailleurs largement véhiculée par tous les médias internationaux. Les subsahariens au Maghreb ne seraient jamais que de passage vers l’Europe… Ce discours arrange à la fois, les européens, les maghrébins, certaines ONG et associations chercheurs d’or, des chercheurs, des médias.
Qui pourra alors, chers frères et sœurs subsahariens, inverser la courbe de la pensée ? Qui pourra dire que le Maghreb est une destination de choix pour certains d’entre vous ? Qui pourra dire que ce sont les rafles au faciès dont vous êtes victimes quotidiennement, qui vous poussent finalement à reconsidérer votre choix et à vous retourner vers l’Europe ? Qui pourra dire à la face du monde que vous êtes des prisonniers et que nous n’avez pour seul rêve que de sortir de votre prison ? (alors même que cette prison passe pour être une jolie destination touristique pour les vacances des occidentaux…) Qui pourra dire au monde que le Maghreb n’est pas un continent à part ? Que c’est l’Afrique ! (même si certains agrégés maghrébins continuent d’appeler africains ceux qui sont en fait des subsahariens !) Qui pourra faire une thèse de doctorat sur le sujet la migration sud-sud et montrera que la migration Maghrébine vers le sud du Sahara existe bien, elle aussi, et qu’elle est bien acceptée alors que l’inverse n’est pas toléré ? Qui nous enseignera la tolérance à nous, sub-sahariens, alors que la notion de tolérance est dans notre sang !
A l’heure où nous faisons le bilan du Forum Social Mondial de Tunis, rentrés chez nous, en Europe, en sécurité, je pense à tous ceux qui sont restés là-bas, au Maghreb, et qui pleurent. Qui se sont confiés pendant le Forum Social, qui ont témoigné des humiliations qu’ils vivent au quotidien, et qui continuent de pleurer en se demandant comment faire pour éviter à leurs enfants de vivre le même drame ?
Fabien Didier YENE
Coordinateur du Collectif des Communautés Sub-sahariennes au Maghreb
Membre du FALDI (Forum des associations des luttes démocratiques et de l’immigration)
Fabien Didier YENE
« Liberté de Circulation et d’Installation de tous, partout! »