Prison étasunienne
Les États-Unis, l’État qui se considère depuis longtemps comme un exemple de liberté et de démocratie, détient depuis longtemps un record que les autres pays ne sont pas prêts de leur disputer : on y emprisonne plus que dans n’importe quel autre pays du monde. Les personnes résidant aux États-Unis représentent seulement 5 % de la population mondiale : parmi celles-ci, 2,4 millions sont des détenue-e-s, soit le quart de la population totale des prisonniers à l’échelle du globe.
La population carcérale y a augmenté de 700 % entre 1970 et 2005, mais l’augmentation la plus significative concerne les profits liés au secteur des prisons privées : + 1.600 % entre 1990 et 2009. Il n’y avait avant 1980 aucune prison privée à but lucratif, mais de telles sociétés ont usé ces trois dernières décennies de leurs énormes profits pour peser sur la vie politique étasunienne et accélérer la croissance de cette part singulière de marché.
Les déclarations faites par la « Corrections corporation of America (CCA) », la plus grosse entreprise mondiale du secteur carcéral, montrent l’intérêt de la société pour le maintien par le gouvernement de mesures juridiques draconiennes qui contribuent à un taux d’incarcération massif : « notre croissance dépend de notre capacité à obtenir de nouveaux contrats… Tout changement législatif relatif à la drogue ou à l’immigration clandestine par exemple pourrait faire varier le nombre de personnes arrêtées et condamnées, et donc réduire d’autant le nombre de places occupées dans nos structures pénitentiaires ».
Dans un article datant du 23 avril 2008, le New-York Times affirmait que l’emprisonnement systématique pour des délits mineurs tels que payer avec un chèque en blanc ou détenir de très petites quantités de marijuana expliquait ce taux d’incarcération particulièrement élevé aux États-Unis. En outre, les périodes d’incarcération y sont beaucoup plus longues.
En 2010, au plus fort de la crise, les deux plus grandes sociétés privées du secteur carcéral, la CCA et le groupe GEO, ont réalisé trois milliards de dollars de bénéfices. Cet argent, comme celui mis dans le sauvetage des banquiers de Wall Street, a été prélevé sur le compte des contribuables à l’instigation des politiciens, fédéraux ou d’État, et mis entre les mains d’un nombre relativement faible de dirigeants qui gèrent le système carcéral privé. L’emprisonnement de masse est devenu une source de revenus colossaux, et la répression qui s’exprime par le biais des arrestations et des condamnations en est un préalable. L’État se montre comme le véritable auteur d’une réalité économique qui marginalise toute une partie de la population pour ensuite en tirer profit.
Les minorités raciales et ethniques continuent d’être représentées de manière disproportionnée au sein du système de justice pénale. 77 % de tous les jeunes qui purgent une peine à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle sont des personnes de couleur. En outre, pour la première fois de toute l’histoire du pays, les populations d’origine latino-américaine représentaient en 2011 la majorité des prisonniers fédéraux aux États-Unis, le gouvernement fédéral ayant décidé d’accorder une attention accrue aux poursuites en justice des immigrants illégaux. En 2004, au niveau national, la moitié des détenus étaient desAfro-américains et 25 % des Hispaniques.
Dans ces prisons, les programmes de réhabilitation sont explicitement présentés comme économiquement peu « intéressants ». Rien d’étonnant à ce qu’au moment de leur libération, les ex-détenus soient fondamentalement privés de toute capacité à retrouver un emploi. Ce qui favorise la marginalisation sociale en augmentant la probabilité que les ex-détenus retournent à plus ou moins long terme dans l’enfer carcéral… au plus grand profit du lobby des prisons.
Les profits de l’infâme système carcéral révèlent toute l’exploitation de la partie la plus faible de la classe ouvrière étasunienne. Aucune loi ni réforme ne pourra changer quoi que ce soit au problème car c’est le patronat qui les écrit, et il le fait pour servir le capital. Et les geôliers sont ses fondés de pouvoir…
Capitaine Martin