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27 avril 2024

La Turquie entre Islam et capitalisme


 

La Turquie entre Islam et capitalisme

Écrit par Mohamed Bouhamidi
Jeudi, 13 Juin 2013
Le 17 décembre 2010, à vingt-six ans, à Sidi Bouzid, un trou perdu au centre de la Tunisie, face aux bureaux du gouverneur, s’immole Tarek-Mohamed Bouazizi, plongé encore plus profond dans la misère par la mort de son père ouvrier agricole, puis par la perte des terres hypothéquées de son oncle, devenu son beau-père, selon les règles sociales en vigueur dans plusieurs régions d’Afrique du Nord. Les flammes qui ont consumé son corps ont incendié l’ordre politique, qui lui a confisqué sa charrette de légumes et sa balance de marchand ambulant irrégulier. Elles laisseront intact jusqu’à aujourd’hui l’ordre social et économique que l’ordre politique de Ben Ali devait défendre en prélevant au passage sa part de richesse et celle de son clan.
A lire La Curée de Zola ou les révélations de la presse sur la porosité entre pouvoir et argent en Occident, Ben Ali ne faisait ni pire ni plus que ses sponsors français et américains. Il le faisait moins discrètement, mais peut-on avoir un dirigeant arabe qui assure la normalisation avec Israël, la tranquillité et la sécurité de ce dernier, puis sa prospérité et son hégémonie sans dictature et sans le respect scrupuleux des règles du FMI et du marché ? Le tout est de savoir tenir la rue en occupant la tête des gens pour les empêcher d’occuper la rue et éventuellement de tenir la rue si des idées de révolte bouillonnent dans la tête. Entre les deux, les gammes de la ruse sont infinies, il suffit de tenir éloigné le baril d’explosifs accumulés dans la colère et la misère des gens d’une éventuelle étincelle. Pendant l’incendie tunisien, le dispositif de contrôle a été parfait. L’exaspération et la colère ont été dirigées contre Ben Ali, symbole de l’économie d’ouverture au marché extérieur et de ses tares morales : corruption, népotisme, clanisme, dictature, etc. Mais jamais contre l’ordre économique de domination colonialiste et impérialiste qui génère et reproduit cet ordre pourri partout dans les pays qu’il pénètre et domine. Existe-t-il un seul pays subjugué qui échappe à cette loi des maffias ? En connaissez-vous un seul dans la Françafrique ? Ou dans l’aire de domination américaine ?
Les maîtres du Facebook, des médias mainstream, des réseaux « sociaux » et ces nouvelles écoles de subversion créées par les ONG de la CIA ont réussi à capter leur exaspération pour concentrer la colère des Bouazizi sur le « dictateur » et les détourner du principal responsable : l’ordre impérialiste. Vont-ils réussir dans la durée ? Ils ont pour atouts d’autres maîtres en matière de contrôle et de manipulation de la conscience : leurs vieux amis Frères musulmans avec qui ils ont fait le coup de feu contre le nationalisme arabe et contre l’URSS « athée ». D’autant qu’au fil du temps et du passage des pétromonarchies aux plaisirs du capitalisme de casino, l’idéologie liée au wahhabisme est devenue une idéologie du capitalisme débarrassée des scrupules des devoirs religieux de charité, de compassion, de solidarité, etc.
La mise en place de cet ordre islamo-capitaliste en dehors des pétromonarchies n’a connu un début d’application qu’en Turquie. Il bafouille en Tunisie, au Yémen, en Egypte, où il n’a pas encore réussi à s’emparer de la totalité du pouvoir d’Etat ni à s’imposer comme force de domination, ni même comme force légitime de gouvernement. C’est une grande surprise pour tous que les forces politiques islamistes données pour les plus « légitimes » et les plus « habilitées » aux yeux des masses musulmanes rencontrent ces difficultés à faire passer dans la réalité politique leur prétention de représenter une ordonnance divine. La Turquie semblait sortir du lot et offrir au mouvement islamiste, par les « succès économiques » de l’AKP, une légitimité interne si puissante qu’elle permettait à Erdogan de se passer des règles démocratiques et offrir aux islamistes non turcs une légitimité qui les dispensait d’efforts et de débats.
Les facteurs de ralentissement et les indicateurs de la faiblesse du « modèle turc » ont commencé à agir dès 2011/2012 : 2,2% de croissance turque en 2012, difficulté de poursuivre dans l’usage inconsidéré du crédit pour créer une demande interne, le poids des 295 milliards de dettes privées (la Turquie n’a pas de dette avec le FMI), et à court terme, les répercussions de la récession en Europe et dans le Monde arabe qui assuraient aux industries turques la plus grande part des débouchés de sa production, les 9 à 10% d’inflation qui érodent le pouvoir d’achat et la demande interne, tout en attaquant la monnaie locale, le creusement des inégalités et enfin le clientélisme qui fait que les bénéfices de la croissance vont aux clans liés au… PKK.
Le destin de l’AKP scellera-t-il celui de la révolution allumée par Bouazizi et celles des autres pays : Yémen, Egypte, Libye ? La révolte turque prouve tous les jours que si l’invocation religieuse séduit par ses promesses tacites de justice, elle n’exonère personne des inégalités. C’est aussi en Turquie que se poursuit une histoire de Bouazizi.

 

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